Aids 2020 : un monde en Prep !

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ConférencesAids 2020

Un monde en Prep ? Nous n’en sommes pas encore là ! Reste que cette 23e édition de la conférence internationale sur le sida a accordé une bonne place à cet outil de prévention avec des résultats d’études sur la forme injectable de Prep, les difficultés d’accès, l’acceptabilité de l’outil par les communautés. De son côté, l’Agence nationale de recherche sur le sida et les hépatites virales (ANRS) a publié un rapport qui fait le point sur les caractéristiques de l’épidémie de VIH en France (2013-2018) et fait état, lui aussi, de la Prep.

C’est une des nouvelles importantes dans le domaine de la prévention biomédicale. D’ailleurs, dans une interview au site Pharmaceutiques (8 juillet), le Dr Laurent Finkielsztejn, responsable médical du laboratoire ViiV Healthcare France, ne ménageait pas ses effets : « L’un des événements de la conférence sera à coup sûr la présentation les 8 et 9 juillet des résultats finaux de l’étude HPTN-083. Menée sur 4 600 participants dans diverses régions du monde, elle démontre l’efficacité d’une injection bimestrielle de cabotégravir en prophylaxie pré-exposition. C’est la première fois qu’on prouve qu’un médicament à action prolongée est capable de prévenir l’infection au moins aussi bien que le traitement Prep oral quotidien ». De fait, l’annonce a beaucoup été reprise par les sites d’infos spécialisés dans le VIH.

Plus efficace en injection

La Prep, administrée en injection toutes les huit semaines, est plus efficace pour la prévention du VIH que la Prep par voie orale chez les hommes gays et bisexuels et les femmes trans, ont confirmé les chercheurs-ses de l'étude HPTN-083 lors de la conférence. Les conclusions de l'étude ont été annoncées, il y a deux mois, rappelle le site d’infos aidsmap, lorsqu'elle a été interrompue prématurément car il y avait clairement moins d'infections chez les personnes à qui on avait proposé la Prep injectable que chez celles à qui on avait proposé la Prep orale. À l'époque, les chercheurs-ses pouvaient seulement dire que le médicament injectable n’était « pas inférieur » au médicament par voie orale.

Dans sa présentation au congrès, le chercheur principal de l'étude, Raphael Landovitz (Université de Californie), a pu dire que les injections bimensuelles du médicament cabotégravir avaient dépassé un seuil préétabli démontrant leur supériorité, en termes de prévention du VIH, par rapport aux doses orales d'un comprimé combiné de fumarate de ténofovir disoproxil et d’emtricitabine (Truvada). L'étude a recruté 4 566 hommes gays et bisexuels et femmes trans, qui ont été répartis pour recevoir soit des injections de cabotégravir associées à des comprimés de placebo, soit des comprimés de Truvada avec des injections de placebo. Il y a eu 39 infections chez les personnes ayant pris les comprimés (1,22 % d'incidence annuelle) et 13 infections chez les personnes ayant reçu les injections (0,41 % d'incidence). Cela signifie qu'il y a eu 66 % d'infections en moins chez les personnes ayant reçu les injections que chez celles prenant les comprimés. On ne sait pas si  les infections sont le résultat d'une mauvaise adhésion puisque la concentration médicamenteuse et les données sur la résistance n’ont pas encore été analysées. Les effets indésirables les plus notables étaient une réaction au point d'injection chez les personnes recevant des injections de cabotégravir et une diminution de l’élimination de la créatinine (une mesure de la fonction rénale) chez la plupart des participants-es dans les deux groupes.

Quand on lui demande s’il devait conseiller aux personnes la Prep en injection ou en comprimés le Dr Landovitz répond : « Je dirais que c’est un choix personnel. Mais ce sera génial d’avoir le choix et de ne pas dépendre seulement d’un traitement en comprimés pour avoir une protection efficace. Nous espérons bientôt savoir si les femmes cisgenres auront droit, elles aussi, à ce choix et nous devons également découvrir si la Prep en injectable peut convenir aux personnes qui s’injectent des drogues et aux hommes trans ».

Références : Landovitz RJ et al. HPTN083 interim results: Pre-exposure prophylaxis (PrEP) containing long-acting injectable cabotegravir (CAB-LA) is safe and highly effective for cisgender men and transgender women who have sex with men (MSM,TGW). 23rd International HIV Conference (Aids 2020: Virtual), abstract OAXLB0101, 2020.

Un schéma de prise simplifié

Dans un poster présenté lors la conférence mondiale sur le VIH, Stéphane Morel, chargé de mission en recherche communautaire pour l’association AIDES, a proposé un schéma de prise simplifié pour les personnes qui prennent la Prep s’appuyant sur les remontées des accompagnateurs-rices communautaires de AIDES à la Prep. L’accompagnement communautaire vise à proposer aux personnes qui viennent aux consultations Prep un entretien personnalisé afin de répondre à d’éventuelles questions et approfondir certains sujets comme les pratiques sexuelles exposant à un risque, les schémas de prise, les effets indésirables du traitement ou les éventuelles interactions avec l’usage de drogues en contexte sexuel (chemsex).

Cet accompagnement se fait également en ligne sur des groupes d’auto-support comme Prep Dial sur Facebook ou encore par téléphone. De ces accompagnements, trois questions récurrentes sont ressorties : comment débuter et arrêter la Prep : combien de pilules avant et après ? ; comment adapter sa prise de Prep à sa vie sexuelle ? ; que faire en cas de prise manquée ou décalée ?

Il est apparu de façon claire que le schéma de prise de Prep dit « à la demande » générait beaucoup de questions et parfois de l’angoisse chez certains-es usagers-ères. Ce constat laisse à penser que les brochures ou flyers qui expliquent les schémas de prises de Prep ne sont pas clairs, ni pour les professionnels-les de santé ni pour les usagers-ères de la Prep et qu’ils ne correspondent pas toujours à l’utilisation de la Prep dans la « vraie vie ». Pour simplifier les choses, les accompagnateurs-rices communautaires ont décidé de ne parler que d’un seul schéma de prise autour des notions de début et d’arrêt de la Prep et ce, peu importe que la personne soit en schéma continu (prise quotidienne) ou à la demande.

L’idée est simple : lorsque la personne sait qu’elle va avoir un rapport sexuel, elle commence par une double prise de Prep (deux comprimés entre 2 heures et 24 heures avant le rapport sexuel). Ensuite, elle continue à prendre une pilule toutes les 24 heures tant qu’il y a des rapports sexuels. Suivi d’une pilule par jour pendant deux jours après le dernier rapport sexuel (l’idée étant que chaque rapport sexuel soit protégé par deux comprimés de Prep avant et deux après). Elle peut ensuite stopper les prises à tout moment et reprendre à tout moment avec une double prise. Ce concept est similaire de l’approche recommandée par le guide « Who's 2019 PrEP guidelines » et il concerne uniquement les hommes qui ont des rapports sexuels avec des hommes (HSH). Il permettrait ainsi de simplifier l’explication et la compréhension de la prise de Prep et renforcer l’observance et l’assimilation du traitement par les usagers-es.

Référence : Morel S et al. Overcoming the dichotomy of daily and event driven PrEP regimens for MSM: Lessons learned from community support programs in France. 23rd International Aids Conference, abstract PED0759, 2020.

Quand la Prep évite trois quarts des infections

Dans un article publié le 4 juillet sur le site d’infos aidsmap, on apprend que la Prep a permis d’éviter les trois quarts des infections au VIH au Kenya et en Ouganda. Il s’agit de la plus forte réduction jamais enregistrée dans un programme de Prep en Afrique subsaharienne, présentée par Catherine Koss de l’université de Californie, à San Francisco.

L’étude Search (Sustainable East Africa Research in Community Health) a commencé en 2013 dans 32 communautés au Kenya et en Ouganda, dans un premier temps comme intervention de « dépistage et traitement ». En juin 2016, Search a commencé à proposer la Prep aux personnes vivant dans 16 communautés très exposées au VIH. Celles-ci comprennent des personnes en couple avec une personne séropositive, les personnes travaillant dans les industries du transport ou de la pêche, et celles qui se considèrent elles-mêmes comme étant à risque vis-à-vis du VIH. Sur les 15 632 personnes identifiées comme étant très exposées aux risques d’infection au VIH, 5 447 (35 %) ont commencé la Prep et l’incidence de VIH était de 0,35 %. En l’absence d’un groupe prenant un placébo, la comparaison a été faite avec les participants-es des deux années précédant l’accès à la Prep. Dans ce groupe de contrôle, l’incidence annuelle du VIH était de 0,92 %, ce qui signifie que le taux d’infection au VIH avait diminué de 74 % avec l’accès à la Prep. Cette réduction s’explique surtout par la chute de l’incidence chez les femmes, où le taux a chuté de 76 %. Chez les hommes, l’incidence a également diminué, mais seulement de 40 %, ce qui n’était pas significatif statistiquement. Bien que 83 % des participants-es ayant commencé le Prep l’aient arrêtée à un moment donné, 50 % d’entre eux-elles l’ont recommencée plus tard.

Références : Koss Catherine A et al. Lower than expected HIV incidence among men and women at elevated HIV risk in a population-based PrEP study in rural Kenya and Uganda: Interim results from the SEARCH study. 23rd International Aids Conference, abstract no 875, 2020.

États-Unis : plus de 28 000 femmes sous Prep

Dans un article publié le 4 juillet sur le site d’infos aidsmap, on apprend qu’au moins 28 000 femmes ont initié un traitement de Prep aux États-Unis en 2017. Une étude des prescriptions de fumarate de ténofovir disoproxil/emtricitabine (Truvada) aux États-Unis a révélé que son utilisation en Prep par les femmes s'est multipliée par douze entre juillet 2012, date à laquelle son utilisation a été autorisée dans le pays, et la fin de 2017. Le nombre de démarrages ou de redémarrages de Prep est passé de 2 770 prescriptions individuelles en 2012 à 27 556 en 2017. Les prescriptions de Prep pour les femmes à partir desquelles les scientifiques ont travaillé, ont été recueillies dans les cabinets médicaux, les pharmacies, les hôpitaux et les cliniques externes. Les chercheurs-ses reconnaissent que leur méthodologie ne tient pas compte de nombreuses prescriptions, mais ils-elles calculent que leurs données couvrent environ 80 % de l'utilisation de la Prep au cours d'une année donnée. Ils-elles ont constaté que l'utilisation de la Prep était la plus élevée chez les femmes âgées de 25 à 34 ans et qu'il y avait une forte disparité géographique dans l'utilisation : 329 femmes pour 100 000 en ont pris dans les États du nord-est, pour seulement 140 pour 100 000 dans les États du sud, où l'incidence du VIH est plus élevée.

Références : Guest J et al. PrEP update in women in the US from 2012-2017. 23rd International Aids Conference, abstract 9302, 2020.

Afrique : une baisse considérable du VIH chez les femmes

Une seconde étude a démontré l’efficacité de la Prep chez les femmes en Afrique. La Professeure Deborah Donnell du centre de recherche en cancer Fred Hutchinson (Université de Washington) a annoncé lors de la conférence que l’accès à la Prep à travers l’étude Echo avait permis de réduire l’incidence du VIH de 55 % chez les participantes. Lancée en décembre 2015, Echo s’est achevée en octobre 2018. Elle a recruté 7 828 femmes en Eswatini (ex Swaziland), au Kenya, en Afrique du Sud et en Zambie. Elle visait principalement à comparer deux outils de contraception (implant et injection) afin d’évaluer si l’un ou l’autre augmentait, ou pas, les risques d’infection au VIH. Les résultats de l’étude présentés en juin 2019 ont démontré que ce n’était pas le cas pour aucun de ces deux outils de contraception.

Dans le cadre de l’étude, il a été recommandé, en novembre 2017, de rendre la Prep accessible à toutes les participantes. C’est ce qu’ont fait 543 des participantes (soit 26,6 %) rappelle le site d’infos aidsmap. « Seulement 25 % de femmes sous Prep dans l’essai Echo a permis une baisse de l’incidence du VIH de plus de 50 %. C’est l’une des rares données qui montre de façon rigoureuse que donner accès à la Prep aux femmes en Afrique permet une baisse considérable de l’incidence du VIH », a conclu Deborah Donnell.

Références : Donnell D et al. Incorporating PrEP into standard of prevention in a clinical trial is associated with reduced HIV incidence: Evidence from the Echo Trial. 23rd International Aids Conference (Aids 2020: Virtual), abstract OAC0105, 2020.

Un enjeu aussi en France

Comme on le voit, les nouvelles de la Prep ne manquent pas. Cet outil de prévention est également abordé dans le tout récent rapport publié par l’Agence nationale de recherche sur le sida et les hépatites virales (ANRS). On doit ce rapport au groupe « Indicateurs » de l’Action coordonnée 47 de l’agence, présidé par la professeure Dominique Costagliola. Le rapport dresse « un tableau de l’infection par le VIH en France entre 2013 et 2018, qui s’appuie sur l’ensemble des données issues des systèmes de surveillance, des enquêtes et des travaux de modélisation », explique un communiqué de l’ANRS. Parmi les nombreux items abordés, on trouve la Prep. Le rapport revient sur le dépistage du VIH et explique que ce dernier « ne peut croître que modérément, même avec une diversification des dispositifs et des recommandations d’élargissement et de répétition des tests ». « C’est pourquoi la protection contre l’acquisition du VIH doit garder un niveau élevé pour tous les dispositifs et s’améliorer pour la prophylaxie pré-exposition (Prep) », explique le rapport. « Dans la population HSH, si l’utilisation du préservatif a diminué dans les dernières années avec les partenaires occasionnels, le niveau de protection a augmenté avec la Prep. Celle-ci a un effet très net, en particulier à Paris où elle a été déployée auprès des HSH plus tôt, notamment sous l’impulsion de l’essai ANRS Ipergay et de la mise en place de la cohorte ANRS Prévenir. L’accès s’est amélioré grâce à la participation des Cegidd (centre gratuit d'information, de dépistage et de diagnostic des infections par le VIH et les hépatites virales et les infections sexuellement transmissibles). Le renouvellement (et bientôt l’initiation) des prescriptions en médecine de ville devrait aussi y contribuer. Le déploiement plus rapide de la Prep, depuis la deuxième moitié de l’année 2018, notamment en dehors de l’Île-de-France, devrait avoir un impact sur les chiffres de l’épidémie en 2019 et en 2020 », note le rapport. Il constate aussi que : « Les usagers de la Prep hétérosexuels sont encore très peu nombreux. Ceux qui en ont besoin pourraient en bénéficier si une promotion, jusqu’ici inexistante, était engagée ». Et les auteurs du rapport de conclure que « l’accélération de la baisse de l’épidémie dans les différents groupes doit être favorisée par un choix plus volontariste dans le cadre de programmes locaux et adaptés au contexte. La performance globale de la prévention combinée (accès effectif au dépistage, au traitement et à la Prep) sera déterminante pour parvenir au contrôle de l’épidémie ». L’objectif d’arrêt de la transmission du VIH d’ici 2030 reste d’actualité si les programmes reprennent après la crise sanitaire et innovent ». 

C’est un peu le point de passage obligatoire de chaque grande conférence de ce type. Pour parler de demain, il faut commencer à parler d’argent aujourd’hui. La dernière journée de la conférence du vendredi 10 juillet était consacrée aux enjeux de la lutte contre le sida. Autrement dit, comment faire pour que ce qui n’est pas atteignable en 2020, le soit vraiment en 2030. Elle a largement abordé la prévention (une plénière y était consacrée) tout comme les questions de financement. Des questions cruciales puisqu’il faut désormais faire face à une quatrième grande pandémie : la Covid-19. À suivre.

 

ANRS Ipergay
L'étude ANRS Ipergay est un essai de Prep « à la demande », au moment de l'exposition aux risques sexuels. Il a été mené en France et au Canada chez 400 hommes ayant des relations sexuelles avec des hommes séronégatifs. De 2012 à 2014, la première phase d'ANRS Ipergay a été réalisée en double aveugle : la moitié du groupe a pris par voie orale un comprimé contenant deux antirétroviraux (association TDF/FTC) au moment des rapports sexuels, l'autre un placebo. Il a été montré que la Prep à la demande diminuait de 86 % le risque d'être infecté par le VIH. La seconde phase, au cours de laquelle tous les volontaires ont reçu la Prep, a commencé dès la publication des premiers résultats fin 2014 et s'est terminée en juin 2016. Elle a montré une réduction relative de l’incidence du VIH de 97 %.

La cohorte ANRS Prévenir
La cohorte ANRS Prévenir, initiée en mai 2017, s'inscrit dans la continuité de l’essai ANRS Ipergay. Plus de 3 000 volontaires séronégatifs à haut risque d'être infectés par le VIH ont été recrutés en Île-de-France. Une prévention à base de Prep quotidienne ou à la demande leur est proposée.

Prep et IST
Les chercheurs-ses ont étudié entre 2012 et 2016 l’incidence d’infections sexuellement transmissibles (IST) d’origine bactérienne parmi des participants de l’essai clinique ANRS Ipergay. Ils-elles ont observé que l’incidence d’IST (syphilis, chlamydia et gonorrhée) était haute tout au long de l’étude, mais elle a augmenté lors du passage de la phase en double aveugle de l’essai clinique ANRS Ipergay à la phase ouverte. Les facteurs de risques d'IST étaient la prise de drogue et celle de produits érectiles pendant les rapports sexuels, ainsi qu'un nombre élevé de partenaires sexuels. Les auteurs-es concluent que les groupes présentant ces facteurs de risque devraient être la cible de futures interventions de prévention.

Source : Incidence and risk factors for STIs among MSM on Prep - A post-hoc analysis of the ANRS Ipergay trial.