Un sacré coup de vieux !

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InitiativeCCCV 2013

Militants de la lutte contre le sida, Graciela Cattaneo, Adeline Toullier, Alain Bonnineau et Franck Barbier ont été, comme administrateurs de AIDES ou salariés de l’association, à la tête de l’événement qu’a été en avril 2013, la conférence de consensus communautaire sur Vieillir avec le VIH (CCCV). Ils reviennent dans un texte sur cette manifestation, le contexte militant et politique dans lequel cette conférence s’inscrit.

EHPAD : établissement d’hébergement pour personnes âgées dépendantes. Il est des sigles que les militants de la lutte contre le sida ne s’étaient sans doute pas imaginés utiliser un jour. Et d’ailleurs, aux premiers temps de cette épidémie qui a 30 ans, durant ces années noires que les témoins d’alors évoquent, aujourd’hui encore, d’une voix blanche, qui pouvait parler du futur des personnes vivant avec le VIH ? Qui pensait que l’avancée en âge des personnes séropositives deviendrait, un jour, un sujet, une priorité ?

La vie avec le VIH a de l’avenir, et c’est tant mieux. Nous avons des raisons de nous en féliciter. Cela témoigne des progrès thérapeutiques majeurs qui ont jalonné ces trois décennies. Cela démontre la qualité de la mobilisation des premiers militants, leur haut niveau d’exigence et de compétence ; ce qu’ils ont permis d’obtenir… si vite. Sans cette mobilisation, unique en matière de santé, il y a fort à parier que nous n’en serions pas là aujourd’hui.

La vie avec le VIH a donc de l’avenir, mais celui-ci n’est pas sans interrogations, sans doutes, sans inquiétudes. Le projet d’une conférence de consensus communautaire sur le vieillissement avec le VIH est né d’une préoccupation grandissante des personnes fréquentant les actions de AIDES quant au futur, à la qualité de ce futur. Aujourd’hui, les personnes vivent et vieillissent avec le VIH. Leur espérance de vie est proche de la population générale. Elles doivent, comme d’autres, penser à demain, se projeter : avec quelles ressources vivront-elles ? Où se déroulera leur vie ? Quelle qualité de vie auront-elles ? Sur qui pourront-elles compter ? Des questions que toutes les personnes qui vieillissent se posent un jour ou l’autre. Evidemment, ce sujet n’est pas complètement nouveau, mais l’intérêt qu’il suscite est lui plutôt récent ; il a, en diverses occasions, été abordé. Ce fut le cas en novembre 2010 lors des Etats généraux sur la prise en charge globale des personnes vivant avec le VIH en Ile-de-France (1). La réflexion s’était alors focalisée sur les lieux de vie : les maisons de retraite, les EHPAD déjà. D’autres initiatives ont été développées depuis : réunions publiques, colloques, etc., jusqu’à la conférence "Vieillir LGBT – Ouvrir la porte au dialogue", organisée par le Centre LGBT Paris Ile-de-France, en novembre 2012.

AIDES a voulu proposer un événement différent : une conférence de consensus communautaire. Pas un colloque de plus, non, un événement qui réunisse, à parité, des personnes vivant avec le VIH, des professionnels du médico-social et des militants, des médecins et des chercheurs, des représentants politiques et des pouvoirs publics. La mission de cette rencontre ? Passer en revue tous les champs (la santé, la sexualité, les ressources, le lien social), identifier les problèmes et proposer des solutions concrètes consolidées par une double expertise : celle des personnes expertes du vivre avec et celle des experts professionnels. Ce choix est celui du respect de tous les acteurs, mais également celui de  l’efficacité puisqu’il a permis de produire des recommandations précises, réalistes et partagées pour les autorités de santé, les professionnels du médico-social, les médecins et acteurs de la recherche, les militants, les décideurs politiques et institutionnels.

Cette conférence de consensus communautaire n’est pas un objet isolé, elle s’inscrit dans un projet plus vaste, comprenant une part notable de recherche, visant à mieux identifier les besoins des personnes vivant avec le VIH avançant en âge. Elle n’est pas davantage un objet hors sol, tout au contraire, elle s’inscrit dans un contexte particulier. Contexte particulier à AIDES dont les choix stratégiques, l’investissement fort sur le dépistage pour ne citer que celui-ci, ont pu donner à certains le sentiment que l’association ne s’intéressait plus aux séropositifs, délaissait le soutien aux personnes… trahissait son histoire. Le reproche peut paraître injuste, mais comment ne pas en tenir compte et laisser croire qu’une partie de la lutte contre le sida, le soutien aux personnes, ne serait plus un enjeu.

Contexte particulier à la façon dont notre société se saisit du vieillissement. Les motifs de curiosité, de colère, d’inquiétude et d’espoir ne manquent pas. Curiosité par exemple avec cette entrée en force de la "Silver economy" qui vise à structurer une filière industrielle autour des services aux personnes âgées… On parle même de Silver valley, version cheveux blancs de la Silicone valley. Colère lorsqu’on apprend que le contrôleur général des lieux de prévention de liberté, Jean-Marie Delarue, demande à ce que son champ d’intervention soit étendu aux EHPAD, tant les droits des personnes qui y vivent y sont parfois malmenés. Inquiétude lorsqu’on voit comment se nouent les premiers débats sur la future réforme des retraites… et ses implications notamment pour les personnes que la maladie chronique fragilise. Espoir enfin avec les projections qui montrent qu’il y aura plus de 20 millions de personnes âgées de 60 ans en 2030 contre 15 millions aujourd’hui et qu’elles seront 24 millions en 2040. De plus en plus de gens vieillissent et c’est une bonne nouvelle.

Curiosité, colère, inquiétude, espoir… il y a de cela aussi dans les témoignages des personnes qui vivent avec le VIH, mais surtout l’affirmation d’une volonté que des solutions adaptées soient mises en œuvre. Des solutions qui prennent en compte les spécificités de parcours si variés, si chaotiques et accidentés : des personnes au long compagnonnage avec le VIH, des personnes âgées récemment infectées, des personnes qui ont pu anticiper leur vieillissement, d’autres, les plus nombreux, qui ne s’étaient jamais préparées à une telle éventualité ; des personnes qui ont des difficultés sociales, affectives, médicales ; des personnes qui veulent qu’on trouve des solutions au vieillissement précoce qu’elles connaissent du fait des effets conjugués des traitements et du virus ; des personnes qui ont des frustrations, qui ont été confrontées à l’injustice, à l’exclusion. Des personnes qui ont aussi des envies, des projets, des espoirs, mais aussi des frustrations. Il y a sans doute au moins un point commun entre elles : l’envie de savoir de quoi l’avenir sera fait et ce qu’il convient de mettre en œuvre pour que ce futur soit le meilleur pour tous.

Contexte particulier enfin, parce que le gouvernement a décidé de se saisir du sujet et pas uniquement des seuls points de vue de la réforme des retraites ou du financement de la dépendance. Le gouvernement a pour volonté de proposer une vaste réforme d’adaptation de la société française au vieillissement de sa population. Les discussions et travaux parlementaires sur ce projet ont cours maintenant. Nous tenons là une occasion idéale et unique de porter les recommandations issues de cette conférence, de contribuer à leur prise en compte effective dans les futures lois et réglementations. Ce n’est pas l’unique vecteur que nous pouvons utiliser. Nous comptons porter ces recommandations au sein de la récente commission lancée, le 17 mai dernier, par Michèle Delaunay, ministre des personnes âgées et de l’autonomie, sur le vieillissement des personnes LGBT ; commission où AIDES est représentée. Nous le ferons également dans les COREVIH où nous sommes présents, dans les conférences régionales de santé auxquelles nous participons, auprès des collectivités territoriales avec lesquelles nos territoires d’action travaillent. Nous le ferons auprès des soignants sur des aspects de sensibilisation et de formation tant leur rôle est déterminant dans la qualité de la prise en charge. Nous devons porter ces recommandations partout où l’on réfléchit à l’amélioration de la prise en charge des personnes vivant avec le VIH, partout où elle est mise en œuvre.

Pour autant, la prise en compte de cette spécificité du vieillissement avec le VIH ne doit pas nous détourner des alliances naturelles que nous avons dans le champ des maladies chroniques. D’autant que, sur ce sujet, les points communs sont nombreux et les problématiques partagées par l’ensemble des personnes vivant avec une maladie chronique. Le travail avec [im]Patients Chroniques Associés, la participation au groupe de travail "Santé et vieillissement" du Collectif interassociatif sur la santé sont autant de signes que les avancées seront plus fortes si elles sont portées collectivement, par celles et ceux qui représentent les personnes qui vieillissent avec une maladie chronique. L’enjeu est grand : y aller maintenant, y aller ensemble, y aller en force !

La référence à la mobilisation des débuts, à sa qualité, sa compétence, son niveau d’exigence n’est qu’un rappel à nos obligations d’aujourd’hui. Vieillir avec le VIH est une chance incroyable, un enjeu crucial. Nous avons toutes les cartes en mains. Rater cette occasion de changer la donne serait une erreur majeure… et cela nous donnerait un sacré coup de vieux !

Commentaires

Portrait de frederic16

Foutaise que de blabla.AMITIE

Portrait de Hestia

Oui, cela fait du bien de voir que Aides n’oublie pas le soutien aux personnes. Cela semble évident… ou pas… pas toujours. Il y a tellement ...

Ce que je regrette, c’est d’avoir beaucoup moins d’espoir que vous sur le vieillir avec le VIH et en France en plus … En fait, non pas directement sur le fait de vivre avec une maladie chronique, mais surtout sur (globalement) l’incapacité des pouvoirs publics, des structures, à être adaptés au vieillissement et à la perte d’autonomie des personnes.

Etre infecté par le VIH n'est plus un verdict de mort, il s'agit désormais de vivre avec une maladie chronique, de vieillir et donc de prendre sa retraite. Là, c’est plutôt pas mal, de quoi profiter… même si on peut craindre un vieillissement accéléré et d’autres pathologies qui peuvent faire leur apparition (diabète, infarctus… conséquence du traitement lors de la ménopause…). Est-ce une conséquence du VIH, des effets secondaires des médicaments ou alors le processus normal de vieillissement ? Il me semble que Aides a fait une enquête sur vieillir avec le VIH… je ne sais plus. En outre, quels sont les moyens financiers des pvvih après 60 ans ? Vous parlez d’EHPAD, de maison de retraite, vous avez vu le coût ? Quelles sont les ressources des personnes pour avoir accès à un lieu correct … surtout si ce lieu est médicalisé ?

J’ai un regard très critique sur les maisons de retraites et les EHPAD, MAPAD, USLD… qui ont déjà d’énormes difficultés à trouver du personnel qualifié, mais aussi à s’adapter aux pathologies des personnes. Ces lieux, (en particulier lorsque les personnes sont dépendantes) sont rarement bien adaptés aux diverses pathologies qui sont regroupées en leur sein, le personnel est souvent dépassé, voire exprime de la crainte par rapport à certaines pathologies (certaines maladies neurodégénératives, mais surtout les troubles du comportement).

L’état devrait faire des efforts immenses, investissement tant sur la formation du personnel, sur leur accompagnement (supervision), sur les diverses pratiques nécessaires dans ces lieux (outre les soins infirmiers ; kiné, psy, ergo…), mais aussi rendre ces lieux plus accueillants (en faire de vrais foyers de vie). Vous pensez vraiment que l’état et/ou les structures privées vont investir pour des personnes âgées dépendantes ? Tant que les personnes sont autonomes, il y a des structures adaptées, mais après…. avec ou sans VIH, c’est une autre histoire me semble-t-il, les personnes dépendantes n’appartiennent pas à la "silver valley"… Quand on voit la définition de la santé (santé globale) pour l’OMS et que récemment encore (à La Haye), on parle de « ce qui peut être fait pour maintenir l’indépendance chez les personnes âgées »,  si l’on ajoute à cela que le thème de la Journée mondiale de la santé en 2012 est « une bonne santé pour mieux vieillir », moi je me dis que l’on est bien loin du quotidien… du quotidien de tous, pas uniquement les pvvih.

Je trouve cela bien que Aides face du vieillissement un de ses axes d’action, mais je pense qu’il va falloir faire évoluer la société sur sa représentation de la vieillesse d’une part et sur vieillir avec le VIH d’autre part. Je crois que les gens n’aiment pas parler de ce qui leur fait peur, ils préfèrent oublier, poser dans un coin… vous dites que vieillir avec le VIH est une chance incroyable, et je vous rejoins là-dessus. Mais dans notre société il y a une telle course au jeunisme, à la bonne santé et au bien-être que ceux qui acceptent le vieillissement et se mobilisent pour accompagner et revendiquer les droits des personnes dépendantes sont trop peu nombreuses.

Merci encore pour votre article, votre mobilisation et votre passion. A mon niveau je ferai de mon mieux pour que les choses évoluent... Excusez-moi pour mon petit énertvement vis à vis des institutions... 

"De tous les évènements inattendus, le plus inattendu, c'est la vieillesse" Trotski