Une vie de zèbre (10) : on croit rêver !

Publié par jfl-seronet le 30.01.2018
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CulturephotoNino Migliori

Un rendez-vous autour de la culture ! C’est ce que vous propose l'équipe de Seronet. Evidemment, les Séronautes ne nous ont pas attendus pour publier textes et avis sur des événements culturels, pour échanger des conseils et c’est tant mieux. Notre idée est celle d’un feuilleton, plus ou moins régulier, qui brasse découvertes et arts, curiosités et livres, idées et trouvailles culturelles. Disons que nous faisons nôtre ce proverbe africain : "Un homme sans culture ressemble à un zèbre sans rayures". Cette semaine, des photos italiennes, Marlene sous toutes les coutures et des garçons bien sous tous rapports.

La matières des rêves de Nino Migliori

En passant d’une salle à l’autre, on a peine à imaginer que l’ensemble des œuvres présentées à la Maison européenne de la photographie (MEP) est du même auteur : le photographe italien Nino Migliori. Les techniques sont si différentes, les styles si divers (la photo naturalisme, les expérimentations formelles, le travail sur le polaroïd, les séries d’œuvres de commande) qu’il faut se pincer pour se dire que c’est le même œil qui a su capter et créer tout cela. Il faut dire que cette exposition à caractère rétrospectif présentée à la MEP couvre plus de soixante ans de carrière du photographe bolognais. Les premières salles sont consacrées à ses œuvres anciennes marquées par un certain formalisme et un évident réalisme que transcende un noir et blanc aux lumières plus que soignées. Durant des années, l’artiste s’est intéressé à sa région, l’Emilie Romagne, où se situe Bologne. Il a exploré (années 50 et 60) la vie de quartier, les gens (tous horizons, toutes classes sociales) qui la composent et la façonnent. Cela donne des images à la fois réalistes et parfois qui semblent être des décors. L’artiste sait saisir les moments, les regards, les attitudes qui font basculer une image de vie quotidienne et lui donnent un sens si profond qu’on en reste, souvent estomaqué.

Les autres salles présentent des œuvres plus expérimentales où sont utilisées différentes techniques : tirages photographiques spéciaux, monotypes, oxydations, pyrogravures, chimiegrafie ou impressions numériques. C’est parfois réussi, mais globalement (je trouve) moins séduisant que ses premières photographies. Il y a cependant de très belles réussites comme les deux photographies d’aliments dans des bocaux, le travail sur la ville de Tatahouine en Tunisie (des photos des maisons troglodytes locales) et la recherche crépusculaire et terrifiante sur le batisphère de Bologne avec la série "Lumen".

La seconde partie de l’exposition nous dévoile donc le goût prononcé du photographe pour l’expérimentation, nous faisant passer des "hydrogrammes", conçus avec des gouttes d’eau déposées entre deux plaques de verre et qui évoquent certaines toiles du peintre américain de Jackson Pollock  aux "sténopéogrammes", des images en mouvement prises avec une camera obscura ou des "cellogrammes", qui captent des effets éphémères de lumière.

La lumière, elle est aussi à l’œuvre dans l’autre exposition qu’accueille jusqu’au 25 février 2018 la Maison européenne de la photographie : "Obsession Marlene" (2).

Marlene sous toutes les coutures

Marlene (Dietrich… pour les étourdi-e-s) en impératrice rouge, en vénus blonde, en agent X27, en maman, en espionne, en chanteuse, en vamp, en criminelle, en témoin à charge, en star, en chanteuse aux armées, en gala. Marlene à la plage, sur un bateau, au restaurant, dans sa chambre, en pose, en rires, en moue. C’est une incroyable sélection de portraits de la star que propose Pierre Passebon avec "Obsession Marlene". Pierre Passebon est un admirateur éclairé et un insatiable collectionneur, un obsessif sans doute. Il a réuni aujourd’hui plus de deux-mille photographies de Marlene Dietrich, icône du 20e siècle incroyablement moderne et intemporelle. L’exposition de la MEP présente près de deux-cents photographies issues de cette imposante collection. Impressionnante aussi par la qualité des artistes qu’elle comporte puisqu’on y voit des œuvres d’Edward Steichen, Irving Penn, Richard Avedon, Milton Greene, François Gragnon, George Hurrell, Antony Armstrong-Jones, Cecil Beaton, Willy Rizzo, Lee Miller, etc.

Un des intérêts de cette exposition, c’est que ces clichés, en grande majorité, ont été assez peu vus. Avec des talents et sous des angles différents, chacun a immortalisé, à sa manière, une personne, un personnage, une personnalité de légende. L’éternelle, l’immortelle Dietrich. Une artiste exceptionnelle dont on apprend qu’elle a largement contrôlé son image et largement influencé les artistes qui ont été au service de cette image. Dans sa présentation, la MEP évoque, à raison, la beauté hors norme de la star et des portraits qu’on a faits d’elle. Ce qui est passionnant, c’est de voir, film après film, scènes après scènes, comment chacune des apparitions de Marlene Dietrich, comment chacune des images qu’on a fait d’elle ont participé un peu plus à la construction de son mythe. "Elle fut, plus et mieux que d’autres, sa propre création artisanale. Elle fut ce qu’elle voulait être, à la fois toujours pareille et éternellement recommencée", explique la MEP. Un mythe qui justifie bien une obsession. Un mythe qui est surtout une incroyable histoire. Une incroyable histoire, c’est aussi ce qui a tenté William Corlett. Un auteur britannique qui a, sans doute, tiré profit de sa vie personnelle pour écrire son roman le plus célèbre.

Deux garçons bien sous tous rapports (3)

Ancien acteur formé à la Rada (Royal Academy of Dramatic Art), William Corlett a travaillé comme acteur au théâtre et à la télévision avant de se consacrer à plein temps à l'écriture. On lui doit des pièces de théâtre et des romans pour adultes ainsi que des romans pour enfants. Ce sont d’ailleurs un roman pour la jeunesse "Le Portail de l'Eden" et la série des "Magician's House"", publiée entre 1990 et 1992, qui l’ont consacré comme écrivain. Mais le Britannique, né dans le Yorshire et décédé en France en 2005, est surtout l’auteur d’un très drôle et très subtil vaudeville gay : "Deux garçons bien sous tous rapports". Avec ce roman, William Corlett nous emmène en route pour une campagne anglaise de carte postale, mais moins apaisée qu’il n’y paraît. Nous voilà donc dans le village de Bellingford où vont bon train les commentaires entre villageoises et villageois depuis que le château local a trouvé des repreneurs. Il s’agit de deux citadins : Richard, producteur de théâtre et auteur de spectacles à succès, la cinquantaine, et Bless, son jeune compagnon, acteur sans emploi. Les deux amoureux, pour de vrai, débarquent dans un microcosme dont ils vont peu à peu éprouver les limites, arpenter les coulisses (aussi troubles que drôles). L’intérêt de ce roman faussement superficiel est de traiter avec une grande efficacité de l’homophobie, de l’acceptation de l’autre (qu’il soit gay, qu’il soit dingue, qu’elle soit lesbienne, qu’elle soit âgée…) et de brasser, l’air de rien, des notions et thèmes profonds. Ainsi, outre l’homosexualité et son acceptation sociale (toile de fond du roman), il sera question de l’identité sexuelle, de la folie quotidienne, de double vie, d’amour, de la dépendance aux sectes, etc. Sans jamais surchargé son propos, en maintenant un rythme soutenu, en ménageant à ses lectrices et lecteurs surprises, fausses pistes et ruptures narratives, avec une évidente empathie pour ses personnages, William Corlett livre un roman passionnant, amusant et édifiant : une belle leçon de tolérance.

(1) : "La matière des rêves", photographies de Nino Migliori. Exposition jusqu’ au 25 février 2018. Commissaires d’exposition : Alessandra Mauro et Laurie Hurwitz. Maison Européenne de la Photographie, 5/7 rue de Fourcy - 75004 Paris. Ouverture du mercredi au dimanche de 11h à 19h45.
(2) : "Obsession Marlene", exposition collective. Exposition jusqu’au 25 février 2018. Commissaire d’exposition : Pierre Passebon collectionneur. Maison Européenne de la Photographie, 5/7 rue de Fourcy - 75004 Paris. Ouverture du mercredi au dimanche de 11h à 19h45.
(3) : "Deux garçons bien sous tous rapports", traduit de l'anglais par Jean Rosenthal. Editions Pavillons Poche, 490 p., 10,90 euros.