Une vie de zèbre (15) : Angels in America

Publié par jfl-seronet le 01.03.2020
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Culturethéâtre

Cette semaine, on revient sur Angels in America, la magnifique et puissante pièce de Tony Kushner sur le sida et l’homosexualité (mais pas seulement) connaît un très beau succès à la Comédie française, où la pièce multiprimée, fait son entrée au répertoire.

C’est en 1991 que la pièce Angels in America (« Angels in America : A Gay Fantasia on National Themes ») est créée aux États-Unis, d’abord à San Francisco, puis à New York au Public Theater. C’est une œuvre monstre, écrite entre 1987 et 1989, tant par sa durée (deux parties : Le Millenium approche et Perestroïka, pour un total de près de cinq heures) que par les thèmes qu’elle aborde : le sida, l’homosexualité, la culpabilité, Ethel et Julius Rosenberg (1). Chaque partie a été créée séparément. On doit cette pièce majeure au dramaturge et écrivain Tony Kushner. Dès sa création, la pièce connaît un important succès. L’auteur reçoit le prix Pulitzer et un Tony Award. Elle sera montée dans de nombreux pays et dans de nombreuses versions. La pièce a été représentée pour la première fois à Londres au National Theatre dans une mise en scène de Declan Donnellan, en 1992. En France, c’est Brigitte Jaques-Wajeman qui la crée pour le festival d’Avignon, puis qui la reprend au Théâtre d’Aubervilliers. Une série télévisée (six chapitres d’une heure) avec Al Pacino, Emma Thompson, Mary-Louise Parker, Patrick Wilson et Meryl Streep, est réalisée par Mike Nichols. Elle sera diffusée aux États-Unis sur HBO en 2003, puis sur Canal+ en 2004 et sur France3 en 2008. La série connaît un fort succès, tout comme la pièce. Cette dernière inspire un opéra à Peter Eötvös, qui le crée au Théâtre du Châtelet, à Paris, en 2004).

En mai 2008, la pièce est présentée au théâtre du Rond-Point à Paris dans une mise en scène énergique et assez troublante de Krzysztof Warlikowski. Le spectacle, joué en polonais et surtitré en français, fait un tabac. Et cela d’autant que la pièce (très longue et qui comprend de nombreux personnages) est peu montée en France. Dans ces notes de création, le metteur en scène polonais indique : « La plus petite unité divisible de l'être humain n'est pas constituée d'une mais de deux personnes ; l'unité de la personne est une fiction ». Pour aborder cette saga, cette « comédie humaine hallucinée », qui témoigne avec une « lucidité impitoyable des errances de l'individu dans un monde déboussolé par l'effondrement des valeurs (la religion, le communisme, les utopies) », le metteur en scène a choisi de traiter le spectacle sur plusieurs niveaux mêlant un réalisme proche du boulevard au baroque le plus débridé, le sérieux et l'humour. Au centre de la pièce, il y a notamment le personnage de Roy Cohn, avocat véreux ayant réellement existé, tristement célèbre, entre autres, pour ses combats contre les mouvements gays - alors que lui-même était homosexuel. C’est un des axes forts de la pièce que cette homosexualité détestée, cette homophobie intérieure qui taraude presque autant que le désir. Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si le sous-titre originel de cette pièce est « Fantaisie gay sur des thèmes nationaux »,  car l’œuvre de Kushner souligne les contradictions de la société américaine (qui sont celles de tout le monde) pour « les faire entrer en collision, en ajoutant encore à la confusion par un subtil mélange entre la réalité et l'illusion ».

Que raconte la pièce ? À New-York, à l'automne 1985, plusieurs histoires personnelles et plusieurs aventures collectives se conjuguent. Il y a Prior et Louis, qui s'aiment, mais la maladie (le sida) les sépare. On trouve aussi un couple mal accordé, Harper, femme un poil déjantée, quasi lunaire, à la fragilité maximale, et Joe, troublé par une sexualité incertaine et des croyances religieuses pesantes. Il y a un grand avocat d'affaires, Roy M. Cohn, impliqué dans les scandales financiers et politiques du parti de Reagan ou du maccarthysme antérieur, et dont la vie est aussi en danger. Il vit avec le VIH, mais se refuse à l’admettre. Son attitude est plus que déni. Il y a Belize, infirmier miséricordieux, freiné du double handicap d'être Noir et drag queen… dans une société bien moins ouverte qu’elle ne se croit. Il y a aussi le fantôme d'Ethel Rosenberg et un Ange qui élit Prior comme prophète d'un Occident mal portant, avant de rejoindre ses congénères dans un paradis aride et déserté par Dieu… Tous aiment, souffrent, luttent, se mesurent à de grands enjeux, désemparés face au grand rêve perdu de l'Amérique.

Cette saison, la pièce entre au répertoire de la Comédie française. C’est une très bonne nouvelle. Pour des raisons techniques et de production, la pièce a été considérablement raccourcie (quasi de moitié). Dans son programme, la Comédie française explique que Angels in America est un « récit kaléidoscopique et un portrait complexe d’une génération combative qui réagit contre l’esprit de l’époque ». « Les ravages que provoque le sida consolident les forces ultras conservatrices dans leur lutte contre l’amour libre. Ces mêmes forces répugnent à considérer cette maladie comme un problème de santé publique qu’il faut résoudre ». Dans ce « climat impitoyable », on suit plus de vingt personnages, interprétés par huit acteurs, allant d’agents de voyages et d’avocats à des soignants et ex-drag queens en passant par des interventions divines et des minorités religieuses. C’est le cinéaste et metteur en scène Arnaud Desplechin qui dirige ce spectacle qui mêle des « scènes crépusculaires sur le pouvoir et l’hypocrisie, des apparitions hilarantes et des discussions intimes sur l’angoisse de la mort et de la déchéance ». Si cette pièce a été choisie, c’est parce que Tony Kushner a une écriture « hybride » qui permet de mettre en scène « la société américaine des années Reagan, mêlant politique et histoires intimes, réalisme et merveilleux avec, pour fil noir et narratif, l’épidémie de sida ».

Pourquoi cet auteur ? « Cent échos des combats d’hier viennent illuminer notre présent. De Trump, dont Roy Cohn fut le premier mentor, à Fukushima, le recul du temps n’éloigne pas mais enseigne », explique Arnaud Desplechin. Le metteur en scène dit apprécier aussi l’écriture de Kushner qui « emprunte au cinéma, à la télévision, à la comédie américaine comme au théâtre classique ». « C’est de cette « impureté théâtrale » que je suis tombé amoureux. Le mélange des genres propre à Kushner m’enchante : c’est Shakespeare, et Brecht, plus Broadway ! ».

Angels in America, de Tony Kushner (texte français : Pierre Laville), version scénique et mise en scène de Arnaud Desplechin. Comédie française, en alternance, jusqu’au 27 mars 2020. Durée : trois heures avec entracte. Compte tenu de son succès, la pièce devrait être reprise la saison prochaine.

L'Avant-Scène Théâtre consacre son numéro de janvier 2020 à la mise en scène d'Angels in America par Arnaud Desplechin. On y trouve des textes de ou des entretiens avec Pierre Laville, Éric, Ruf, Éric Fassin, Arnaud Desplechin, Gilles Costaz, François Regnault.

(1) : Ethel Rosenberg et son époux Julius Rosenberg sont un couple de new-yorkais communistes arrêtés pour espionnage au profit de l’URSS. Julius est arrêté le 17 juillet 1950 et Ethel le 11 août. Ils sont jugés coupables le 5 avril 1951 et exécutés sur la chaise électrique le 19 juin 1953 dans la prison de Sing Sing.

 

Commentaires

Portrait de luso

Bonjour,
Ça fait un mois que je regarde régulièrement au cas où des places apparaissent en désistement.
C'est complet de chez complet depuis des lustres, est-ce que quelqu'un pourrait m'avoir une place s'il vous plaît ?
AIDES, vous n'auriez pas une "invite" dans vos tiroirs des fois à me céder gratuitement ? Smile
On ne sait jamais, qui ne demande rien n'a rien.
Cordialement,
Luso

Portrait de Sophie-seronet

Hello,

Pour chaque représentation dans la salle Richelieu (où se joue Angels in America), des places à 5 euros avec une visibilité réduite sont disponibles une heure avant le début des représentations, auprès du Petit bureau.
Quand vous faites face au bâtiment de la comédie française, c'est un guichet extérieur qui se trouve sur la gauche.

Il faut arriver en avance et s'armer de patience parce qu'il y a toujours la queue.

Une autre astuce pour les moins de 28 ans : tous les lundis des places sont offertes, une heure avant le début les représentations, sur justificatif (1 place par personne dans la limite des places disponibles).

Bonne chance ! Sophie

 

Portrait de luso

Bonjour Sophie,
Merci pour ta réponse et l'astuce c'est bon à savoir.