Une vie de zèbre (2) : des images… loin des clichés !

Publié par jfl-seronet le 05.04.2016
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Culturephotographie

Un rendez-vous autour de la culture ! C’est ce que vous propose désormais l'équipe de Seronet. Evidemment, les Séronautes ne nous ont pas attendus pour publier textes et avis sur des événements culturels, pour échanger des conseils et c’est tant mieux. Notre idée est celle d’un feuilleton qui brasse découvertes et arts, curiosités et livres, idées et trouvailles culturelles. Disons que nous faisons nôtre ce proverbe africain : "Un homme sans culture ressemble à un zèbre sans rayures".

Glacés, trop glacés. C’est le sentiment qu’on peut éprouver à la vision de certaines des photographies de Bettina Rheims qui étaient exposées à la Maison européenne de la photographie à Paris jusqu’au 27 mars 2016 (un livre "Bettina Rheims", bien fait, publié par les éditions Taschen, a accompagné l’exposition). Sans doute parce que certains travaux exposés sont des commandes commerciales, trop calibrées, qui ne prennent guère de risque. Cela donne des photos de mode et des portraits de célébrités qui sont certes efficaces, techniquement d’une grande perfection (le rendu des peaux et des couleurs est de toute beauté), mais pas souvent frappants. On retrouve Madonna, Catherine Deneuve, Charlotte Rampling, Carole Bouquet, Marianne Faithfull, Kylie Minogue, Claudia Schiffer, Asia Argento, Tilda Swinton, Monica Bellucci, etc. Mais pas toujours dans des photos qui jettent une lumière nouvelle sur des vedettes ou stars mitraillées de flashs depuis des années.

Que nous apporte de plus ou de neuf le regard de cette artiste sur ces personnalités… parfois assez peu. On le ressent d’autant plus nettement que la photographe française marque très fortement les esprits lorsqu’elle s’engage dans d’autres chemins. En 1978, Bettina Rheims réalise des photos d’un groupe d’artistes (des acrobates et des strip-teaseuses). Au début des années 90, elle choisit d’aller plus loin (elle qui travaille alors depuis dix ans sur le corps et l’image de la femme) en cherchant, dans des portraits emprunts d’un grand tact, à questionner le genre, l’androgynie, la transsexualité. Ce sont quelques unes de ces photos, en noir et blanc, qui font tout le sel de cette exposition. On y voit des photos extraites de la série "Modern Lovers" (1989-1990), d’autres tirées de la série "Les Espionnes" (1992) et de la série consacrée à Kim Harlow ("Kim") en 1994. Les portraits sont d’une grande force, parce qu’on y trouve de l’audace et un grand respect des modèles, comme si l’artiste les avait compris et comprises… vraiment. On retrouve d’ailleurs cette qualité dans les images de la série "Gender Studies" qui poursuit le questionnement sur le genre.

Dans des salles encombrées de visiteurs, dans des passages beaucoup trop étroits pour y voir certains grands formats - la Maison européenne de la photographie a beaucoup de charme, mais c’est globalement assez pénible comme lieu d’exposition tant la circulation est mal aisée et l’accrochage mal adapté - ce qui frappe et séduit, ce sont bien ces images qui s’engouffrent dans la vie de femmes anonymes, au cœur des groupes que la société marginalise. Dans le fond, ils sont bien meilleurs dans ce qu’ils disent des autres, du monde, de leur vie, les portraits des femmes détenues… qu’a photographiées Bettina Rheims plutôt que ceux des stars. Fortes aussi sont les photographies qui viennent d’une des séries majeures de l’artiste : "Chambre Close"  (1990-1992). La nudité des femmes s’y confronte, dans un travail assez formidable sur les lumières et les couleurs, aux ambiances de chambres d’hôtel pouilleuses et défraîchies. C’est là qu’on comprend la grande singularité de cette photographe : une capacité à comprendre l’autre et à le traduire en image, à le montrer en cherchant à bousculer le spectateur sans faire de son modèle un objet de curiosité, à montrer une beauté qui ne s’impose pas d’emblée ou qui reste une énigme. C’est lorsqu’elle transcende les inconnu-e-s qu’elle est la plus brillante, la plus bluffante.

Bluffantes aussi sont les images de l’exposition "J'ai des droits" ; à leur façon, pas tant pour leurs qualités esthétiques ou artistiques (ce sont de très bonnes photos de reportage), mais par la force du sujet et le courage des personnes qu’on y voit. Cette série qui fait l’objet d’une exposition est consacrée aux personnes trans au Pérou. Ce travail, là encore emprunt de tact, marqué par une forte empathie pour les modèles, on le doit à la photographe Danielle Villasana, photojournaliste primée dont l'œuvre se concentre sur les questions de genre, d'identité, de santé et de politique sociale. Depuis 2012, cette photographe travaille avec les communautés trans un peu partout dans le monde. Cette exposition, soutenue par l’Onusida, a pour titre "Yo tengo derechos" (J'ai des droits). Elle met en avant des personnes, parfois jeunes comme Marco ou Naidu, en famille, en couple, en groupe d’ami-e-s, au boulot. Les portraits sont marqués de sourires, d’un bonheur qui ne cache rien des difficultés passées ou actuelles à être reconnu-e, considéré-e, accepté-e sans arrière pensée ou compassion… C’est ce que racontent aussi les courts textes qui accompagnent les photos et qui donnent la parole aux modèles. Marco explique "avoir trouvé sa voie" alors qu’il traversait une dépression, largement causée par le dénigrement de ses professeurs… "Qu’y a-t-il de mal à voir une personne s’efforcer d’être ce qu’elle est ?", interroge Marco sous son portrait. Elle est éclatante, Marina, la silhouette ceinte d’une marinière qui s’achève en robe noire. Elle est la première femme trans à participer à une émission musicale télévisée. "L’art aide à faire face aux problèmes. Pourquoi est-ce que nous ne sommes pas assez audacieux, audacieuses ? Pourquoi est-ce que nous ne décidons pas de suivre nos rêves ? Pourquoi nous imposons-nous des limites ? Pourquoi ne serais-je pas l’une des premières transsexuelles à participer à un concours très important connu au niveau international ?" Ce sont quelques unes des questions que Marina pose sous sa photo… Belle, cette série a bien évidemment une dimension pédagogique. D’une part, elle rompt avec les clichés habituels qui encombrent nos esprits et façonnent notre regard. D’autre part, elle affiche la fierté que les modèles trans ont d’eux et d’elles-mêmes, de leur parcours, de leur famille, de leur couple, de leur engagement militant comme professionnel.

Dans un monde normal, toutes les personnes devraient être égales, personne ne devrait être victime de discrimination pour quelque raison que ce soit. "Dans notre pays, il faudra faire beaucoup d'efforts pour que cette affirmation devienne une réalité", explique ainsi Eduardo Vega Luna, le Médiateur péruvien, cité dans le communiqué que l’Onusida consacre à l’expo "J'ai des droits".

Commentaires

Portrait de la-vie-en-rose

L'exposition Bettina Rheims est terminée mais "J'ai des droits", c'est jusqu'à quand ? C'est aussi à la Maison Européenne de la Photographie ?

Il y a bien un article sur le site de l'ONUSIDA, mais aucune information sur les dates et le lieu... 

Portrait de Pierre75020

Merci pour votre commentaite de l'exposition Bettina Rheims , je partage en général votre point de vue . Je préfère aussi les portraits des marginaux ou marginales à ceux des célébrités même s'ils sont réalisés avec talent et brio.

En revanche je n'ai pas vu la seconde exposition dont vous parlez.

Merci aussi pour ce rendez vous culturel qui allège les sujets souvent tristes des échanges sur ce site.

Portrait de Sophie-seronet

Hello,

Apparemment l'exposition Yo tengo derechos s'est tenue au Pérou du 4 au 9 décembre 2015. Voici un lien, en espagnol, sur l'exposition.

Et plein de très belles photos à découvrir sur le site de la photographe. Entre autres, des moments de vie incroyables, captés dans la série A light inside.

Bonne journée. Sophie

Portrait de Abo30

Tres bonne idee que ce rdv culturel pour echanger,faire decouvrir...

Cette photo est rayonnante! Exactement ce dont nous avons besoin.

 Merci a l'equipe pour ce choix