Une vie de zèbre (3) : Pour le meilleur… et pour le dire !

Publié par jfl-seronet le 10.05.2016
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Un rendez-vous autour de la culture ! C’est ce que vous propose désormais l'équipe de Seronet. Evidemment, les Séronautes ne nous ont pas attendus pour publier textes et avis sur des événements culturels, pour échanger des conseils et c’est tant mieux. Notre idée est celle d’un feuilleton qui brasse découvertes et arts, curiosités et livres, idées et trouvailles culturelles. Disons que nous faisons nôtre ce proverbe africain : "Un homme sans culture ressemble à un zèbre sans rayures".

Toute vie vaut d’être vécue, c’est l’évidence. Mérite-t-elle, pour autant, d’être racontée et publiée ? C’est sans doute la question que se posent les auteurs d’ouvrages de témoignages avant de se lancer dans la narration de leur parcours complet (façon "Toute ma vie en 500 pages") ou d’explorer une période plus circonscrite de leur vie (créneau "Mes meilleures années ou les pires en 500 pages"). On peut avoir, outre un effet de mode… c’est très tendance de parler de soi, plusieurs raisons à se raconter dans un texte, puis à le publier. Témoigner de sa vie peut tenir de l’acte cathartique, celui qui libère son auteur, tel un défouloir. Cela peut être le choix de partager une expérience afin qu’elle soit profitable, utile à l’autre, façon miroir pour que le lecteur s’interroge lui-même sur sa propre vie ou façon repoussoir ("Ne faites pas les mêmes erreurs que moi"). Cela peut même prendre les allures d’un manifeste politique.

Les raisons sont multiples à l’envie de parler de soi. Prolonger une notoriété ou la créer, faire découvrir un monde dans toute sa vérité, transcender sa vie et même faire œuvre littéraire. Cela ne surprendra personne, mais l’exercice délicat qui consiste à parler de soi dans un livre connaît des bonheurs divers… et parfois pas de bonheur du tout. Si l’on balaie rapidement quelques livres de témoignages de personnes vivant avec le VIH (ils sont assez nombreux) ou avec une hépatite virale (c’est nettement plus rare), on voit bien que les ambitions, notamment littéraires, sont variables et le résultat inégal.

Il y a, en effet, un monde entre le récit âpre, militant et politique de Laurent Jacqua ("J’ai mis le feu à la prison", éditions Jean-Claude Gauséwitch, 2010) et "On n’est pas sérieux quand on a 17 ans" de Barbara Samson (1) que son éditeur présente encore ainsi : "Un témoignage simple et fort, pour que son drame soit évité à d’autres, et que l’amour ne soit plus jamais porteur de mort". Un monde encore entre les ouvrages de Charlotte Valandrey dont le plus connu est "L’amour dans le sang" (2) et "L’orage de vivre" de Pascal de Duve (3) à la puissance littéraire certaine ou encore entre "Un mal qui ne se dit pas" d’Anne Bouferguène (4) que son éditeur lance ainsi : "Elle pensait qu'elle n'aurait jamais vingt ans. C'était en 1988. Elle était adolescente et venait d'apprendre qu'elle était séropositive..." et "Ma famille, mon sida. De la mort à la vie", par Patrick D (5). Et l’on pourrait encore citer "Virus de vie", de Jean-Luc Roméro, sorti en 2002, chez Florent Massot, certains livres d’Hervé Guibert (tous chez Folio)… On trouve même des récits de témoignages de proches de personnes vivant avec le VIH, c’est moins fréquent. Le plus emblématique est sans doute "Au cœur de la nuit. La mère d’une jeune victime du sida raconte", un ouvrage de Barbara Peabody, sorti aux Etats-Unis en 1984 et repris aux Presses de la Cité en 1989. Il est intéressant de voir (et la liste est loin d’être exhaustive) que le fait de vivre avec le VIH reste, aujourd’hui encore, un déclic pour témoigner et, lorsqu’on a beaucoup de chance, être publié. Cela commence également à venir pour les témoignages de personnes vivant avec une hépatite virale. Deux livres de témoignages, assez récents, viennent l’illustrer.

L’auteure d’"Accrochée à la vie. Journal d’une renaissance" (6) est la plus connue des deux : Giovanna Valls Galfetti. Pas pour elle-même, mais parce que son frère est actuellement Premier ministre en France. Pourtant, manifestement, elle gagne à être connue, elle qui a choisi de raconter sa vie d’une façon plutôt singulière. Son récit/témoignage est composé de textes — beaucoup de lettres et des extraits d’un journal — écrits sur un peu plus de six ans (2005-2012), encadrés de textes plus récents faits en 2014. Le récit/témoignage qui nait de ce mélange tient du kaléidoscope, mélangeant les impressions, les périodes, les émotions et les temporalités. Rien n’est dissimulé : tout est pudique et vrai. "Comme touchée par une vague glacée, je dois raconter sans frissonner ce qui m’a conduite à toucher le fond et à devoir tout reconstruire. Absolument tout", écrit dans le chapitre intitulé "L’Abîme". Sans frissonner… difficile pour le lecteur découvrant au fil des pages la vie de cette femme née dans les années 60, élevée dans une famille aimante, fragilisée par une histoire d’amour douloureuse qui fait l’apprentissage de l’héroïne, qui n’en connait rien, s’en trouve "cassée de l’intérieur", puis lourdement dépendante, quasi perdue. A 40 ans, elle "sort enfin du puits", vivant avec le VIH et le VHC. Mais auparavant, elle aura mis "longtemps à accueillir la maladie [en elle], à l’accepter sans [se] martyriser". Ce qui séduit dans ce récit, c’est sa construction habile, procédant par touches successives. Cette construction qui rend plus fort encore un récit jamais larmoyant, pas moralisateur, éclairant par ses qualités descriptives. On suit les rencontres (nombreuses et utiles) les soins en Espagne, la cure au Brésil pour se reconstruire. Il y a de l’apaisement, de la sérénité, des tarentules qui descendent le long des moustiquaires, des films sur ordinateur dont on ne voit que la moitié faute d’électricité, des espoirs, une reconstruction avec ces moments de faiblesse, cette vie sur ligne de crête. C’est parfois puissant, d’autres fois tout simplement normal, toujours juste et sincère. "Je finis par penser que la vie d’un ancien toxicomane, d’un séropositif est toujours incertaine parce que nous sommes vulnérables. Mais les émotions sont constructives, et il faut tout partager", écrit-elle. Tout partager, assurément. "Elle s’est battue comme personne pour se reconstruire et maintenant je la trouve forte, optimiste, positive, généreuse, aimable, entreprenante", écrit d’elle sa mère. C’est assez l’image qu’on retient de cette femme "accrochée à la vie".

Accrochée à la vie, Evelyne Pinelli l’est aussi ; dans un autre genre. Voilà plus de vingt-trois ans, qu’elle vit avec le VIH et l’hépatite C. En préambule à ses lecteurs, Evelyne Pinelli indique qu’elle est une "rescapée de la génération sida". "Tout au long de ces années, je me suis "accrochée" ; la maladie est un combat parsemé d’obstacles qu’il faut dépasser. Un combat contre soi-même, mais aussi contre les autres", écrit-elle. Ce combat est le sujet et la matière du "Droit de vivre" (6), récit d’une "histoire bien réelle" qui peut "arriver à chacun de nous", se décliner "à l’infini sur tous les continents". A 40 ans, Evelyne Pinelli apprend qu’elle est atteinte du VIH et du VHC. Cette co-infection est le résultat d’une transfusion sanguine qui lui a été faite à l’occasion d’un accouchement. Sa vie bascule alors selon la formule consacrée. Un basculement qu’Evelyne Pinelli, témoin et auteure, choisit de raconter dans un registre très noir voire mélodramatique : "Je viens de perdre huit kilos en trois semaines. Je vais mourir demain" ; "Je rentre à la maison en baladant la mort avec moi". "Il n’y a rien d’autre qu’une jeune femme devenue vieille en trois secondes". "J’ai encore de l’importance, une foule de choses à dire, à faire, des montagnes d’amour à offrir. Je n’ai pas fini. Pas fini. Pourquoi ne m’a-t-on pas coupé les jambes, les bras, les mains à la place de me dire que deux poisons mortels m’ont envahie ?". "Je suis une collègue atteinte d’un mal maudit". "Je n’existe déjà plus physiquement. Je me sens sale". Certaines formules, le premier chapitre de l’ouvrage en comporte de nombreuses, ont un côté nettement désespérant. On peut les lire au premier niveau ou y voir en creux les effets du regard sociétal du début des années 90. Une façon, derrière des formules parfois emphatiques, d’exprimer un profond et durable malaise, de signifier le vertige de l’annonce. La fin de cette première partie s’ouvre sur une rencontre : celle de Maxime, un homme plus jeune qu’elle, peintre en bâtiment.

Le récit d’Evelyne Pinelli fait alors un bond de dix-neuf ans et l’on se retrouve à l’été 2011, en juillet. Cela fait maintenant onze ans qu’Evelyne Pinelli a démarré un traitement contre le VIH, avec des effets indésirables importants qui ne passent pas. Dans un premier temps, le VHC n’a pas été traité, puis l’a été à plusieurs reprises sans succès. C’est ce récit qui occupe la suite de l’ouvrage ; pas complètement un récit sur la vie avec les médicaments, plutôt un récit sur les relations chaotiques avec le monde médical : des médecins, aux infirmiers. Au fil des ans, Evelyne Pinelli a trouvé une sorte de point d’équilibre dans sa prise en charge. Si elle est observante, malgré des effets indésirables importants, elle se révèle incapable d’organiser seule la prise de ses traitements, de gérer son pilulier. Elle peut compter dans un premier temps sur l’aide d’un infirmier qui passe régulièrement pour la soutenir, la conseiller et organiser ses prises. Cela dure quelques années. La machine qui roule s’embraye dès lors qu’un médecin généraliste qui la suit décide de ne plus prescrire le passage de cet infirmier. L’incompréhension d’Evelyne Pinelli se transforme en un sentiment d’injustice qui devient de la colère. Ce sont alors des tensions qui naissent entre une personnalité sensible, à fleur de peau et manifestement très rapidement à cran et le monde des professionnels de santé (à de très rares exceptions près). Dans une langue assez imagée, un ton parfois léger et le plus souvent cynique, Evelyne Pinelli décrit, par le menu, la colère qu’elle ressent vis-à-vis de son médecin ("le docteur D Ception"), les difficultés qu’elle subit, le mépris qu’elle ressent. On passe alors de la narration détaillée d’une "affaire personnelle" à une critique plus macro de la médecine en campagne, de la relation soignant/soigné, a fortiori dans une zone de désert médical. Ce n’est pas un hasard si l’auteure a choisi comme surtitre à son témoignage : "Survivre dans les déserts médicaux". Dans cette partie (les deux tiers du récit), la femme qui se "balade avec la mort en elle" a cédé la place à la combattante, la pionnière du VIH et de la co-infection. Elle y montre une volonté forte à se défendre, quasi obsessionnelle, à obtenir ce qu’elle considère comme son droit. On y verra aussi une illustration à la fois édifiante et surprenante d’une relation soignant/soignée qui part en vrille.

Chacun de ces deux témoignages a ses qualités conceptuelles ou stylistiques, ses limites aussi. Certains lecteurs, lectrices seront séduits, d’autres agacés par des registres ou des postures. Reste que témoigner est un acte de courage et se raconter dans un livre un exercice à la fois complexe et périlleux. L’écrivain et dramaturge, Jean-Luc Lagarce, l’avait compris et si bien dit : "Et parfois encore, nous devrons l'admettre, nous ne serons pas vus tels que nous croyons être en vérité, tels que nous aurions tant voulu qu'on nous aime. Se contenter du regard des autres et ne plus rien espérer, cesser de prétendre à notre vérité, notre vérité ce sont les autres qui nous l'accordent, notre vérité, elle restera secrète, tant pis, tant mieux, nous ne pourrons plus la dire".

(1) : "On n’est pas sérieux quand on a 17 ans", Barbara Samson, Livre de poche, 1996.
(2) : "L’amour dans le sang", Charlotte Valandrey, Le Cherche Midi, 2005, puis paru chez J’ai Lu.
(3) : "L’orage de vivre"¸ Pascal de Duve, Jean-Claude Lattès, 1994.
(4) : Un mal qui ne se dit pas" Anne Bouferguène, Robert Laffont, 2011.
(5) : "Ma famille, mon sida. De la mort à la vie", Patrick D, Publibook, 2004.
(6) : "Accrochée à la vie. Journal d’une renaissance", Giovanna Valls Galfetti. Traduit du Catalan et du Castillan par Edmond Raillard, 2015.
(7) : "Le droit de vivre", par Evelyne Pinelli. Eveil, 2015.

Commentaires

Portrait de Aradia

Deux combattantes que j'ai rencontrées, deux parcours atypiques, deux femmes fortes , deux livres forts en témoignage dont certains pourraient s'identifier.  

http://www.jolpress.com/sida-maladie-infection-cliches-vih-maladie-stigm...

Elle a beau être la soeur de Manuel Valls, c'est une femme comme vous et moi , simple et humaine.

http://www.elle.fr/Societe/Interviews/Giovanna-Valls-Galfetti-la-renaiss...