Une vie de zèbre (9) : "Alors s'assit sur un monde en ruines une jeunesse soucieuse"

Publié par jfl-seronet le 05.12.2017
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Culturedicibilité

Un rendez-vous autour de la culture ! C’est ce que vous propose l'équipe de Seronet. Evidemment, les Séronautes ne nous ont pas attendus pour publier textes et avis sur des événements culturels, pour échanger des conseils et c’est tant mieux. Notre idée est celle d’un feuilleton qui brasse découvertes et arts, curiosités et livres, idées et trouvailles culturelles. Disons que nous faisons nôtre ce proverbe africain : "Un homme sans culture ressemble à un zèbre sans rayures" avec cette semaine un témoignage à la fois intime et politique : "Positif", de Camille Genton.

Elle en dit beaucoup… sur l’auteur, comme sur l’ouvrage, la citation retenue par Camille Genton en ouverture de son récit : "Positif" (1). Elle est tirée de la "Confession d’un enfant du siècle", d’Alfred de Musset. Ce chef d’œuvre de la littérature française du 19e siècle est un roman quasi-autobiographique où le badinage cède assez vite à la tragédie intime, un texte virtuose où l’on peut lire notamment ceci : "Ainsi, ayant été atteint, dans la première fleur de la jeunesse, d’une maladie morale abominable, je raconte ce qui m’est arrivé pendant trois ans. Si j’étais seul malade, je n’en dirais rien ; mais comme il y en a beaucoup d’autres que moi qui souffrent du même mal, j’écris pour ceux-là, sans trop savoir s’ils y feront attention ; car dans le cas où personne n’y prendrait garde, j’aurai encore retiré ce fruit de mes paroles de m’être mieux guéri moi-même, et, comme le renard pris au piège, j’aurai rongé mon pied captif". C’est cette phrase qu’a retenue Camille Genton. Une phrase particulièrement forte qui ouvre donc un récit qui, lui-même, ne manque pas de force ; une phrase extraite d’un magnifique livre d’amour, ce que le court récit de Camille Genton est, à sa façon, également.

De nombreux témoignages ont désormais été publiés sur la découverte de la séropositivité, depuis les débuts de l’épidémie de sida ; certains par de grands auteurs, d’autres par des inconnu-e-s. Cela faisait un moment qu’un éditeur important (en l’occurrence, Jean-Claude Lattès) n’avait pas publié un récit sur la découverte de la séropositivité ; pas tout à fait un texte littéraire, mais un témoignage bien fait, à la fois efficace et édifiant. De ce point de vue, le livre de Camille Genton est un texte assez hybride. Il frappe d’abord par une certaine singularité dans la première partie. Partie qui restitue très bien un esprit, une ambiance, un mode de vie avec un vrai sens de la narration, du style (cela m’a parfois fait penser à Françoise Sagan). Il décrit une bande d’ami-e-s — une tribu — avec une grande justesse, retrace des escapades, une vie faussement désinvolte, les affres de l’amitié (surtout lorsqu’elle est exigeante) et la découverte du grand amour. Tout sonne juste, tout y est… et cette partie est particulièrement intéressante à suivre, plus profonde que la superficialité qu’elle affiche… faussement.

Plus attendue, plus classique, est la seconde partie ; pourtant, elle concerne la découverte de la séropositivité (dans de mauvaises conditions) les répercussions sur Camille et son amour, Marc-Antoine, les premières relations avec le médecin. Là, le style opère moins bien, même si certains passages frappent pour leur énergie, leur sincérité. Mais le propos se fait plus démonstratif, parfois trop didactique. Ce qu'on retient c’est plutôt la chance qu’a Camille Genton de pouvoir compter sur un entourage particulièrement aimant et soutenant. Bien sûr, proches, parents, ami-e-s, amour sont décontenancés, bouleversés par l’annonce de la séropositivité du jeune homme (il est né en 1985), mais, même ébranlés, même inquiets, ils restent à ses côtés, résolument bienveillants.

De ce point de vue, ce récit courageux, marqué par un évident volontarisme, donne un espoir, montre qu’un cap peut être passé et que la personne vivant avec le VIH n’est plus forcément condamnée à être un paria. Encore que ce ne soit pas si simple, ni valable dans tous les champs de la vie. Car le récit de Camille Genton, s’il entend être une "ode à l’espoir et à l’amour", comme l’affirme son éditeur, se veut aussi une charge contre les discriminations. Dans ce domaine, l’ouvrage énonce clairement les choses, mais ce sont les interviews accordées par l’auteur qui sont plus efficaces encore, parfois plus fortes que la seconde partie du livre, dont elles sont, en vrai, le prolongement politique et militant. Ces interviews sont autant de tribunes qui dénoncent le traitement discriminatoire subi aujourd’hui encore par les personnes vivant avec le VIH. Un traitement discriminatoire entretenu par les règlements, les pratiques administratives voire les lois. L’auteur explique ainsi longuement dans une interview aux "Inrockuptibles" (2) les pratiques en matière d’assurances concernant les personnes vivant avec le VIH et plaide pour le droit à l’oubli dans la convention Aeras. Il revient aussi sur un des exemples de discrimination cités dans on livre : le refus d’entrée aux Etats-Unis (la loi a été changée ces dernières années et les Etats-Unis n’interdisent plus l’entrée des personnes vivant avec le VIH). Il montre un engagement né du téléscopage d’une maladie dans l’intimité d’une existence, d’un couple, d’une famille, d’une tribu.

Entrepreneur a 25 ans — il dirige alors une agence de communication — lorsqu’il découvre sa séropositivité, Camille Genton possède aujourd’hui plusieurs restaurants à Paris. Il réussit comme on dit et évolue dans un milieu privilégié, protégé d’une certaine façon. On pourrait croire, du coup, que la partie est plus facile pour lui, qu’il ne prend pas de risque particulier à témoigner ainsi, que c’est facile pour lui de dénoncer. A tort ! Car il en faut du courage pour parler de la vie avec le VIH — y compris de nos jours — pour dénoncer les discriminations, proposer une vision un peu nouvelle de la séropositivité. Si c’était si facile que cela, on imagine qu’ils et elles seraient plus nombreux à franchir le pas, à parler en public, à répondre à des interviews. Car ce sont bien ces nouveaux visages qui contribuent à changer la vision de la société sur la vie avec le VIH et ils sont peu nombreux, trop peu.

(1) : "Positif", par Camille Genton (Editions Jean-Claude Lattès), 16 euros. Les droits d’auteur sont reversés à Link. Link est un fonds de dotation créé et animé par des femmes et des hommes, entrepreneuses et entrepreneurs et cadres dirigeant-e-s d’entreprise, qui ont décidé de rassembler leur détermination et leurs moyens pour que soit enfin gagnée la bataille contre le sida.
(2) : "Camille Genton, l’entrepreneur qui prône le droit à l’oubli pour les séropositifs" par Vincent Bilem, "Les Inrockuptibles", 4 octobre 2017.

Un livre et un manifeste contre la sérophobie
"Dans le bouquin, je témoigne de mon expérience personnelle. Je donne des petites pistes de réflexion à la fin. Avec la pétition, j’ai souhaité faire un acte plus engagé, parce qu’il faut faire bouger les lignes. Je n’ai pas la prétention de les faire bouger moi-même, mais si, modestement, je peux faire avancer les choses, alors ça n’aura pas été inutile". C’est ce qu’expliquait Camille Genton en octobre dernier aux "Inrockuptibles", évoquant le lancement d’un manifeste contre la sérophobie : "Nous sommes positifs", signé, à ce jour, par 2 653 personnalités, militant-e-s, personnes concernées. "Nous sommes séropositifs, porteurs du VIH. Aujourd’hui, grâce aux traitements antirétroviraux, notre charge virale est indétectable, nous ne pouvons plus transmettre le virus et notre espérance de vie est la même que celle de la moyenne des Français. Un virus continue pourtant d’empoisonner nos vies. Un virus qui nous marginalise et nous renvoie sans cesse au statut de malade. Ce virus qui continue de se répandre dans la société malgré les progrès de la science et de la médecine est bien plus insidieux que le VIH. Ce virus de la discrimination et du rejet s’applique à nous comme une double peine". C’est par ces mots que s’ouvre ce manifeste qui dénonce différents domaines où sévit la sérophobie : l’entrée et le séjour dans certains pays étrangers, l’accès aux banques et aux assurances, des cabinets médicaux (dentistes ou gynécologues, par exemple), certains métiers et formations professionnelles, relations amoureuses et affectives, etc. Le manifeste revendique une égalité des chances et de traitement.