Une vie de zèvre (15) : Œil ouvert sur êtres complexes

Publié par jfl-seronet le 31.12.2019
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Culturephotographie

Seronet a vu l’exposition Speed of Life consacrée au photographe américain Peter Hujar, présentée jusqu’au 19 janvier 2020 au Musée du Jeu de Paume. Une superbe découverte qu’on vous conseille vivement.

Autant le dire, l’exposition consacrée au photographe Peter Hujar au Musée du Jeu de Paume à Paris est une très belle et forte découverte. J’ignorais le travail de ce photographe américain rarement présentée en France. Une œuvre qui a sans doute aussi souffert d’une comparaison avec celle de Robert Mapplethorpe. Bien sûr, il existe des éléments qui facilitent cette comparaison : un même choix de thématiques (portraits, sexualité, nus masculins, noir et blanc, autoportrait, marginalité, etc.) et leur disparition des suites du sida (1987 pour Peter Hujar et 1989 pour Robert Mapplethorpe). La découverte de cette exposition montre bien qu’il y a une grande injustice à ne pas reconnaître ce photographe pour ce qu’il est : un authentique artiste, observateur avisé de son époque et de son milieu et amoureux fou de New York.

Tout commence dans les années 50. À l’issue de ses études secondaires (vers 1953) et jusqu’en 1968, Peter Hujar travaille comme assistant auprès de divers photographes publicitaires ; un travail alimentaire, mais qui lui permet d’acquérir techniques et métier. Durant cinq ans, il collabore à des magazines grand public ; ce qui le conduit à travailler comme photographe de mode. Il comprend au bout d’un moment que ce « n’est pas pour lui » et change complètement d’orientation. En 1967, il rencontre le grand photographe Richard Avedon qui le conseillera, mais surtout lui achètera des œuvres tout au long de la carrière ; il incitera même d’autres collectionneurs-ses à faire de même contribuant à la notoriété de son collègue. Un cap est franchi en 1973 lorsque Peter Ujar préfère alors mener une « vie d'artiste ». Il y gagne une plus grande liberté dans son travail tout comme une plus grande précarité financière. Peter Hujar est marqué par une grande exigence personnelle et artistique, et manifestement peu doué pour les concessions.

Dans le loft-studio qu’il occupe au-dessus d’un théâtre de l’East Village (au sud de Manhattan), le photographe braque son objectif sur celles et ceux qui « suivent leur instinct créatif et refusent les succès faciles », notent les commissaires d’exposition. Il réalise alors beaucoup de portraits d’une très grande force, voire d’une réelle singularité dans l’approche des modèles, la valorisation de situations, la mise en exergue d’une certaine marginalité. De ses photographies, Peter Hujar disait qu’elles sont « des images simples et directes de sujets difficiles et compliqués ». « Elles immortalisent des instants, des êtres et des pratiques culturelles dont l’existence est aussi fugitive que celle de la vie », expliquent d’ailleurs les concepteurs-rices de cette exposition.

En 1981, Peter Hujar a une brève liaison avec le jeune artiste David Wojnarowicz, avec qui il parcourt les quartiers délabrés de New York. Ce n’est pas le premier amant du photographe, il a vécu avec un jeune étudiant italien lorsqu’il était lui-même étudiant, puis avec l'artiste Paul Thek. Pour ne citer que ceux qui semblent avoir marqués sa vie. Il réalisera d’eux de magnifiques portraits qu’on peut voir dans cette exposition. Ils y croisent ceux de Susan Sontag, de l’écrivain William Burroughs ou de l’écrivain et journaliste Gary Indiana (1). Ces portraits rendent hommage à des personnalités qui ont du style. Ces portraits ont d’ailleurs fait la matière de son ouvrage le plus connu : Portraits in Life and Death.

En parallèle, le photographe n’a jamais délaissé la ville de New York qu’il a photographiée à toutes les périodes, comme « un petit monde vibrant d’une intense énergie créatrice, qui a depuis disparu ». Grand observateur de la scène LGBT new yorkaise, Hujar a photographié les lieux de drague fréquentés de la ville, des établissements comme le Stonewall Inn. Peter Hujar meurt en novembre 1987 d’une pneumonie liée au sida.

L’exposition Peter Hujar : Speed of Life » (la vie à toute vitesse) présente une sélection d’environ 140 photographies de cet artiste particulièrement important et influent qu’on découvre enfin largement. Organisée en deux parties, elle décline les différents aspects de sa pratique photographique marquée par la même beauté austère : le portrait en atelier, généralement posé, et qui constitue le cœur de sa pratique, mais également le nu, notamment masculin, et le paysage urbain de New York et de ses environs. Il faudra accorder du temps à la dernière salle de l’exposition. Librement inspirée par l’accrochage de la dernière exposition new yorkaise que Peter Hujar eu de son vivant, en 1986, à la Gracie Mansion Gallery, cette gigantesque salle mêle ces différentes thématiques (architecture, portraits, scènes quotidienne, animaux vivants ou dépouilles, éléments végétaux) en insistant sur la continuité stylistique qui unit ces images, par-delà leurs sujets. C’est assez magique de voir ce qu’un œil ouvert, à l’approche faussement simple, peut faire d’êtres complexes.

Peter Hujar, Speed Life, Jeu de Paume (1 place de la Concorde - Jardin des Tuileries parisien, jusqu'au 19 janvier 2020, ouvert du mardi au dimanche de 11h à 21h, le mardi jusqu'à 21h. Commissaires : Joel Smith, conservateur et chef du département de la photographie Richard L. Menschel, à la Morgan Library & Museum en collaboration avec Quentin Bajac, directeur du Jeu de Paume, pour sa présentation à Paris. Exposition organisée par la Morgan Library & Museum, à New York, et la Fundación Mapfre à Madrid, en collaboration avec le Jeu de Paume, Paris, pour sa présentation en France.

(1) : On lui doit notamment l’étonnant roman « Trois mois de fièvre » qui retrace le parcours d’Andrew Cunanan, qui assassina un beau jour de 1997 le couturier Gianni Versace à Miami. Le livre a été publié en France aux Éditions Phébus.

Pour aller plus loin...
Peter Hujar était le meilleur photographe de l'underground new-yorkais, par Julie Ackermann, Slate.fr, 17 octobre 2019.
Peter Hujar, l’avant-garde à vous, par Jérémy Piette, Libération, 21 octobre 2019.