Ungass sida : une déclaration qui pose questions

Publié par jfl-seronet le 23.06.2016
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MondeUngass 2016

Une Assemblée générale des Nations Unies sur la fin du sida s’est tenue du 8 au 10 juin dernier à New York. Une déclaration politique qui trace la stratégie pour les années à venir y a été adoptée… dans la douleur. Les populations clés y ont été un sujet de discorde entre pays progressistes et des pays dont les politiques de santé publique malmènent les minorités. Objectifs, enjeux, problèmes et questionnements. Seronet fait le point.

Il y a toujours un petit quelque chose de gênant (et parfois même de pénible) à la lecture des communiqués de l’Onusida, une satisfaction béate sur tous les sujets. Un peu comme si l’institution onusienne s’était donnée pour règle de ne jamais dire du mal de quoi que ce soit (même lorsque les sujets fâchent), de ne pas pointer ce qui pose réellement problème, de jamais dénoncer les erreurs. On en veut pour preuve récente le communiqué fait à l’issue de la réunion de haut niveau de l’Assemblée générale des Nations Unies sur la fin du sida (10 juin). L’Onusida y met en avant des "engagements d’action ambitieux" qui tracent la "voie pour mettre fin au sida comme menace de santé publique d’ici à 2030". Bon, ce n’est pas si simple, ni si idyllique que veut le faire croire l’agence onusienne.

Certes, lors de cette réunion de haut niveau, les 193 Etats membres des Nations Unies se sont engagés à mettre en œuvre un "agenda ambitieux pour en finir avec l’épidémie de sida d’ici à 2030", mais la déclaration politique qui a été adoptée n’est pas aussi "progressiste" que l’Onusida l’avance. Certes, un "ensemble d’objectifs spécifiques assortis d’échéances qui doivent être atteints d’ici à 2020" a été couché sur le papier, mais d’importantes incertitudes demeurent quant à son financement… et donc à sa réelle mise en œuvre. Certes le lancement de cette réunion a été placé sous le sceau de la "défense de l’égalité", de la "défense des droits humains" et du "refus de la stigmatisation et la discrimination". Mais, là encore, tout ne s’est pas déroulé dans cet esprit. Pas du tout même.

Objectifs ambitieux et vœux pieux

La déclaration politique adoptée indique que les efforts de lutte contre le sida doivent s’intensifier dans les cinq années à venir. De toute façon, il n’y a pas d’autre choix si on veut mettre fin à l’épidémie de VIH/sida d’ici 2030. Et l’objectif ne va pas être facile à atteindre car si on assiste à une baisse des contaminations, il n’en demeure pas moins que 36,7 millions de personnes vivent avec le VIH dans le monde, dont la plupart en Afrique subsaharienne. Et que le nombre de personnes sous traitement anti-VIH a atteint 17 millions. C’est bien, mais on reste bien loin du traitement universel. Comme le rappelait récemment un expert du VIH, Stefano Vella : chaque année, un million de personnes a accès aux traitements ; parallèlement, deux millions de personnes s’infectent.

La Déclaration politique 2016 appelle le monde à atteindre les trois objectifs suivants :
1 - Ramener à moins de 500 000 le nombre de nouvelles infections à VIH dans le monde d’ici 2020
2 - Ramener à moins de 500 000 le nombre de décès liés au sida dans le monde d’ici 2020
3 - Eliminer la stigmatisation et la discrimination liées au VIH d’ici 2020.

La Déclaration politique qui a été adoptée affirme que ces objectifs ne pourront être atteints qu’avec un "leadership fort et l’implication des personnes vivant avec le VIH, des communautés et de la société civile".

Un des moyens concrets d’atteindre ces objectifs qui s’inscrivent dans le cadre de l’Agenda 2030 pour le développement durable est de "multiplier par deux le nombre de personnes sous traitement. Fin 2015, le nombre de personnes sous traitement anti-VIH a atteint 17 millions, soit plus que l’objectif de 15 millions de personnes fixé pour 2015. Les dirigeants se sont engagés à faire en sorte que 90 % des personnes (enfants, adolescents et adultes) vivant avec le VIH connaissent leur état sérologique vis-à-vis du VIH, que 90 % de ces personnes soient sous traitement antirétroviral et que 90 % des personnes sous traitement aient une charge virale indétectable. Autrement dit, il s’agit d’atteindre la cible 90-90-90 pour faire en sorte que 30 millions de personnes vivant avec le VIH puissent accéder au traitement d’ici à 2020.

Les populations clés… mal traitées

Comme on pouvait s’y attendre, la déclaration mentionne bien les femmes, les enfants et adolescents, etc., mais fait un blocage sur les populations clés. Dans son communiqué (10 juin), l’Onusida explique mollement : "En revanche, la déclaration politique n’apporte pas la visibilité requise pour les populations clés : les plus touchées dans les différentes régions". On entend par populations clés, les hommes ayant des relations sexuelles avec d’autres hommes, les travailleurs et travailleuses du sexe, les personnes usagères de drogues, les personnes trans, les personnes en détention, etc. Certains pays (la Russie, l'Egypte, l'Arabie Saoudite ou l'Iran… pour ne citer que ceux-là) n’ont aucune considération pour ces populations. Ces pays ont reproché à la déclaration de concentrer l’attention sur ces populations à risque. Cela a même été le sujet d’une passe d’armes diplomatique surtout avec la Russie. Cette dernière a demandé d’inclure dans les paragraphes sur les populations à risque une référence aux législations nationales et aux "valeurs religieuses et morales". Il faut "prendre en compte le droit souverain des gouvernements" de définir leur politique de santé publique, a expliqué Dilyara Ravilova-Borovik, une responsable russe de la santé, présente à New York. Ce point de vue défendu par certains pays est une nette régression par rapport à la précédente déclaration sur le sida. Cette vision est d’autant plus contestée que certains Etats et la plupart des organisations non gouvernementales n’oublient pas ce que dit l’Onusida. Il faut notamment parvenir à déployer des services de prévention et de soin adaptés pour 16 millions de gays, 13 millions de travailleuses et travailleurs du sexe, 7,5 millions de personnes usagères de drogue et 1 million de femmes trans dans le monde d’ici à 2020 pour parvenir à mettre fin au sida. Autrement dit, toute politique de lutte contre le sida qui fait le choix d’ignorer les populations clés, est vouée à l’échec. La situation du VIH en Russie en est un triste exemple.

Le 9 juin, la ministre française de la Santé Marisol Touraine a déploré que la déclaration de l’Onu ne mette pas davantage l'accent sur les populations les plus exposées à la contamination. "La France regrette que nous n'ayons pas été en mesure de prendre pleinement en compte les populations clés dans notre déclaration publique", a-t-elle souligné dans un discours devant la conférence sur le sida réunie à New York. "Nous devons toucher des populations qui sont particulièrement à risque : migrants, hommes ayant des relations sexuelles avec des hommes, prostituées, personnes trans ou détenus", a-t-elle rappelé. Croire qu'on peut juguler l'épidémie "sans avoir une telle stratégie ciblée (...) est une illusion". Comme d’autres, la ministre française a déploré que "certains pays dont la Russie fassent preuve d'une grande crispation sur ces sujets-là".

Les ONG en mode critiques

Les organisations non gouvernementales n’ont pas été en reste dans les critiques. Un grand nombre d’associations jugent le texte insuffisant. Elles estiment que la déclaration ne prend pas suffisamment en compte les populations les plus vulnérables. "Les Etats membres ne se sont pas mis d’accord sur des cibles concrètes d’accélération de l’accès aux droits, aux services et aux financements pour les populations clés. Contrairement à d’autres groupes vulnérables (comme les femmes, les jeunes filles et les enfants), elles ne sont citées que trois fois dans le texte", indique un communiqué de AIDES et Coalition PLUS. "Un signal inquiétant avait déjà été envoyé quand vingt-deux organisations non gouvernementales majoritairement LGBT n’ont pas obtenu l’autorisation de participer à cette réunion de haut niveau. Aujourd’hui, nos craintes sont confirmées. Il y a une vraie volonté d’effacer les populations clés de la feuille de route", déplore Alix Zuinghedau de Coalition PLUS. "Les Etats progressistes avaient pourtant la possibilité d’apporter des améliorations substantielles au texte puisque que la Russie avait, la veille, rouvert les négociations en "brisant le silence" (procédure extraordinaire des Nations Unies), officiellement pour des raisons de procédure", indique le communiqué. "Les Etats progressistes, dont l’Union Européenne, se sont insurgés de l'exclusion des vingt-deux associations gays, trans et de travailleuses et travailleurs du sexe. Mais, ils ont finalement renoncé à prolonger les négociations, qui était l’ultime chance d’améliorer le texte", explique Stéphane Calmon, administrateur de AIDES.

Les Etats membres de l’Onu n'ont donc pas été en mesure de prendre des engagements forts sur les populations clés, pourtant les plus exposées aux nouvelles infections à VIH.
"Comment va-t-on arriver à mettre fin au sida d’ici 2030 si les populations clés sont mises de côté ?" poursuit Alix Zuinghedau.

Fonds mondial, le dernier espoir ?

"Nos espoirs reposent maintenant sur le Fonds mondial, la seule institution internationale qui finance l’accès à la prévention aux soins et aux droits pour les groupes clés, même dans les pays où ils sont criminalisés. On ne pourra pas développer ces programmes indispensables sans financements supplémentaires. Le Canada a annoncé une contribution au Fonds mondial en hausse de 20 % : nous espérons que la France suivra son exemple", avance Stéphane Calmon. La conférence de reconstitution du Fonds mondial de lutte contre le sida, la tuberculose et le paludisme se tiendra le 16 septembre prochain à Montréal, au Canada. On verra si et comment la France et d’autres prennent ce qui sera un tournant dans la lutte contre le VIH/sida.