VHC : l’impatience grandit face au rationnement des traitements

Publié par jfl-seronet le 23.05.2016
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ThérapeutiqueAADVHChépatite Cantiviraux à action directe

Le 18 mai dernier, plusieurs collectifs et associations (1) ont réclamé un accès universel aux traitements contre le VHC. Objectif ? En finir avec la politique de rationnement conduite depuis dix-huit mois par le ministère de la Santé, une politique de plus en plus contestée. Explications

Le 25 mai prochain, Marisol Touraine devrait participer à la Journée nationale de lutte contre les hépatites virales… dont le thème est : "Quelles perspectives ?". Participer… plutôt apparaître sur une vidéo. A sa décharge, la manifestation phare de cette journée, un séminaire au ministère de la Santé, tombe en même temps que le conseil des ministres. Peut-être d’ailleurs cette apparition sur écran est-elle plus prudente qu’une prestation en direct devant un parterre d’experts des hépatites, de militants et de personnes concernées ? Cela expose moins aux critiques voire aux huées, car les sujets de mécontentement ne manquent pas. Plus prudente aussi, car on ne connaît pas dans le détail la nature de l’annonce de la ministre de la Santé (il y en a toujours lors de ces journées). Il sera sans doute question de l’arrivée des Trod VHC (test rapides d’orientation diagnostique) dont l’arrêté ministériel se fait attendre… depuis des mois. Il sera peut-être question des futures négociations sur les prix des antiviraux à action directe et, plus probablement, d’un élargissement des critères d’accès aux nouveaux traitements, mais on n’en connaît ni la nature, ni l’ampleur, ni l’échéance. Aujourd’hui, ce sont des critères restrictifs qui s’appliquent ; se trouve ainsi organisé un rationnement dont la principale explication est le prix très élevé des médicaments. La demande des experts des hépatites, médecins comme militants, est celle d’un accès universel aux traitements contre le VHC. Autrement dit que toute personne vivant avec le VHC, quel que soit le stade de sévérité de la maladie, ait accès à un nouveau traitement, dont les taux de guérison sont particulièrement élevés (de 90 à 95 % selon les situations et les combinaisons).

"L’Etat doit agir au lieu de subir"

C’était tout le sens de la conférence de presse organisée le 18 mai à Paris par plusieurs associations et collectifs (1) qui ont demandé à l’Etat de s’engager maintenant vers un "accès universel contre le VHC". Pour l’inter-associatif : "L’Etat doit agir au lieu de subir". Subir, c’est accepter les prix exigés par les laboratoires et faire le choix du rationnement concernant l’accès aux soins, en "limitant les prescriptions aux personnes ayant une fibrose du foie avancée".

Dans un communiqué (18 mai), les associations expliquent que "cette restriction d’accès aux soins bafoue notre constitution et nos principes d’accès à la santé". Subir, c’est donc accepter une stratégie (le traitement sélectif) qui vient "en totale contradiction avec les efforts déployés par ailleurs pour lutter contre l'épidémie de l'hépatite C, avec le soutien du gouvernement, à savoir le renforcement des dispositifs de réduction des risques et le développement du dépistage". Pour l’inter-associatif, la position actuelle est donc "inconstitutionnelle" et "absurde" en termes de cohérence des politiques publiques de santé.

Agir, cela consisterait à utiliser "tous les outils légaux" qui sont à la disposition de l’Etat "pour importer ou produire des traitements génériques". "Le mécanisme de la licence d’office rendu possible dans le cadre des flexibilités de l’Accord international sur les droits de propriété intellectuelle qui touchent au commerce (Adpic) est, ainsi, prévu dans le code de la propriété intellectuelle français", rappelle l’inter-associatif. Reste que cette solution n’a pas été retenue par la France. Pourtant, a avancé le docteur Françoise Sivignon, présidente de Médecins du Monde, lors de la conférence de presse, plusieurs pays ont déjà utilisé dans le passé ce mécanisme concernant des médicaments. C’est le cas du Brésil, du Canada, de l’Egypte, de l’Italie, de la Thaïlande, du Zimbabwe, de la Gambie, du Ghana, de la Malaisie, de l’Indonésie.

Traitement universel

Le gouvernement a, aujourd’hui, différentes possibilités. Il peut renégocier les prix actuels en misant sur le fait que si le volume d’achats augmente (L’Etat achète plus de traitements) les prix baisseront. Il peut avoir recours au mécanisme de la licence d’office pour frapper les esprits et mettre un coup d’arrêt aux exigences tarifaires des laboratoires. Manifestement, le ministère de la Santé ne veut pas tenter le bras de fer, surtout qu’il lui faut pour cela l’aval du ministère des Finances. Il peut, enfin, élargir les critères d’accès aux nouveaux traitements. C’est-à-dire décider qu’il n’y a plus de critères sélectifs et que toute personne vivant avec le VHC doit avoir accès aux nouveaux traitements. C’est ce que demandent prioritairement les associations. Dans cette dernière hypothèse, reste la question du calendrier. Les associations veulent l’élargissement maintenant, l’Etat pourrait le rendre effectif pour 2017. Le ministère de la Santé va demander à la Haute autorité de santé (Has) de plancher de nouveau sur les critères et de faire une proposition actualisée, c’est une obligation légale. Reste à espérer qu’elle viendra vite et préconisera l’accès universel. Actuellement, ce sont les critères restrictifs de la Has qui s’appliquent.

Les malades s’impatientent

En attendant, les associations de patients, les personnes vivant avec le VHC s’impatientent. Les demandes d’un accès large aux nouveaux traitements datent de deux ans maintenant. Il devient intenable pour des personnes atteintes d’une hépatite C chronique de s’entendre dire par leurs médecins qu’elles ne sont pas assez malades pour accéder aux nouveaux traitements, d’autant que les anciens médicaments ne sont quasiment plus prescrits (2). C’est de cela qu’ont témoigné Véronique et Frédéric. Véronique a une fibrose bien avancée. Son médecin lui a dit qu’elle n’était pas assez malade pour avoir le traitement. Avec son compagnon, Véronique a le projet de faire un enfant. Elle en parle alors à son médecin, explique qu’elle ne voudrait pas "avoir l’épée de Damoclès" qu’est une éventuelle contamination de son enfant au cours de la grossesse ou de la naissance. Véronique n’entre pas dans les critères de la Has : pas de traitement pour elle. Aujourd’hui, enceinte de quatre mois, elle ne peut pas prendre les nouveaux traitements, ils ne sont pas recommandés lorsqu’on est enceinte. "Je vis dans un pays qui a toujours pu soigner tout le monde. C’est la première fois que je me vois refuser un traitement", explique Véronique à la fois désabusée et en colère. Mêmes sentiments chez Frédéric, 56 ans, qui a appris il y a deux mois son infection. Frédéric connaît une grande fatigue, des difficultés de concentration. Il explique même s’endormir au bureau. Son état de santé l’a obligé à prendre du champ et à ne quasiment plus travailler. Ce qui est un problème important pour cet homme qui dirige une petite entreprise de dix personnes. Il est suivi par un spécialiste, mais n’a pas encore de traitement. Son médecin lui a expliqué qu’il n’était pas assez malade. "Je ne connaissais pas le VHC. J’ai découvert ce monde. Il n’est pas question que j’attende six mois pour avoir un traitement. J’en ai parlé autour de moi ; tout le monde est scandalisé. Cela fait trente ans que je cotise et je vais être obligé de payer un traitement sur mes deniers personnels. Je suis venu à cette conférence de presse bien que je ne sois pas très en forme, mais je tenais à le faire car cette situation me révolte", explique-t-il.

Génériques : le plan B !

Nombreuses sont les personnes qui sont aujourd’hui dans cette situation. SOS hépatites fédération publie de nombreux témoignages de ce genre sur son site. Certaines d’entre-elles ont choisi de ne plus attendre et de s’approvisionner en médicaments génériques. Deux possibilités : acheter des médicaments génériques à l’étranger en se rendant sur place avec une prescription de son hépatologue ; acheter sur Internet des médicaments génériques. L’importation de médicaments à titre individuel est possible. Elle est encadrée par la législation. L’agence nationale de sécurité du médicament (ANSM) a d’ailleurs réalisé une fiche en mars 2016 à ce propos. "Aujourd’hui, face au rationnement, des malades sont suivis en France avec des traitements génériques achetés sur un marché parallèle", explique le communiqué des associations. D’ailleurs, de nombreux acteurs proposent actuellement des médicaments génériques aux malades, aux professionnels de santé, aux associations. Le coût d’un traitement de douze semaines contre l’hépatite C est ainsi accessible pour un premier prix de 550 euros contre un prix facial des médicaments princeps de 46 000 euros en France, remboursé par l’Assurance maladie (soit quatre-vingt fois plus). 46 000 euros, c’est le coût du traitement avec Harvoni (sofosbuvir + lédipasvir) pour douze semaines. L’association sofosbuvir (Sovaldi) et daclatasvir (Daklinza) monte, elle, à 66 000 euros pour douze semaines. Cette folie des prix affecte la plupart des pays riches. "En Australie, le traitement coûte 84 000 dollars. Des patients ont donc eu recours à des traitements génériques dont le coût est de 1 000 dollars", rappelle Marianne L’Hénaff (TRT-5 et Collectif hépatites virales). Un Buyers club a même été créé. C’est une sorte de coopérative de personnes malades qui achètent des médicaments génériques faute de pouvoir payer les médicaments princeps dont elles ont besoin.

Génériques : qu’en est-il de leur efficacité ?

Bien évidemment, l’utilisation des médicaments génériques ne se fait pas à n’importe quelles conditions. Il faut s’assurer que les traitements sont efficaces et pas des contrefaçons. Qu’en est-il de leur efficacité ? "Une étude australienne a été présentée à la Conférence EASL de Barcelone (3). C’en était même le scoop. Elle a porté sur 450 personnes atteintes d’une hépatite C chronique traitées par des génériques. Les médicaments avaient été vérifiés (doses, efficacité). Les participants devaient s’inscrire sur un site, en lien avec l’étude, afin que soient récoltées les données établies par un bilan sanguin en termes de génotype, degré de fibrose et taux de charge virale. Le site faisait ensuite parvenir aux participants une ordonnance permettant d’obtenir son traitement. Au bout de quatre semaines, le même site demandait une autre analyse sanguine requérant les mêmes paramètres, puis même chose à 12, 24 ou 36 semaines. Au final, il y a eu 99 % de taux de réussite à la fin du traitement (RVS 12 : réponse virologique soutenue à 12 semaines), puis un mois après : 94 % de taux de réussite pour la version générique de l’association sofosbuvir + lédipasvir et 97 % de réussite pour la version générique de l’association sofosbuvir + daclatasvir. La tolérance était excellente et l’observance très bonne, sans doute parce que les personnes payaient elles-mêmes leur traitement", a expliqué Marianne L’Hénaff. Les génériques marchent, mais se posent tout de même des problématiques de contrefaçon potentielle (comment s’assurer qu’un générique est bon ?) et d’inégalité d’accès (il faut payer soi-même). Dans la situation française actuelle, l’utilisation des génériques anti-VHC qui n’ont pas leur AMM (autorisation de mise sur le marché), c’est le pis-aller, le plan B. la priorité pour les associations, c’est que l’Etat s’engage pour un accès universel et qu’il mette en place les moyens de rendre soutenable financièrement cet accès pour tous. Aux tarifs actuellement concédés par le gouvernement, traiter les 230 000 personnes vivant avec le VHC reviendrait à plus de dix milliards d’euros !

"Il n’est pas acceptable de dépister sans donner les moyens de se soigner"

"Quand on parle de l’épidémie d’hépatite C en France, on parle d’une épidémie silencieuse et diluée", a rappelé Aurélien Beaucamp, président de AIDES, lors de la conférence de presse. La France métropolitaine compte plus de 230 000 personnes vivant avec le VHC, entre 70 000 et 100 000 l’ignorent. "Pour ralentir la dynamique de cette épidémie, et tenter de l’éradiquer, il est urgent et impératif de développer significativement le recours au dépistage", a indiqué Aurélien Beaucamp. D’ailleurs les associations militent depuis des années pour pouvoir proposer des dépistages rapides et démédicalisés au moyen des Trod. Depuis des mois, les militants de AIDES se forment à la pratique du Trod VHC. "Avant la fin de l’année, l’ensemble des acteurs de l’association qui réalisent des Trod VIH auront été formés au Trod VHC. C’est-à-dire environ 500 personnes, soit un tiers des salariés et bénévoles de AIDES", a-t-il indiqué. Le dépistage est un des piliers de la lutte contre le VHC, mais il n’a de sens que s’il se combine avec des outils de prévention et de soins. "C’est pourquoi l’accès pour toutes et tous aux nouveaux traitements est une priorité, pour nous. En effet, comment convaincre des personnes de se faire dépister si elles ne peuvent pas directement accéder à des traitements efficaces qui peuvent leur permettre de se débarrasser de ce virus ? Comment expliquer aux personnes nouvellement dépistées qu’elles devront, si le stade de leur maladie n’est pas suffisamment avancé, rentrer chez elles et attendre ?", a interrogé le président de AIDES. Et de poursuivre : "Ce n’est ni concevable ni acceptable de dépister sans donner les moyens de se soigner. Il n’est pas non plus tenable de dire à des personnes qui viennent d’apprendre leur maladie qu’elles pourront avoir accès à un traitement qui permettra leur guérison, mais seulement lorsque leur état de santé se sera dégradé".

"Le gouvernement ne peut donner d’une côté, une impulsion forte au dépistage du VHC, via les Trods, une impulsion forte à la prévention, via le renforcement de la réduction des risques, et d’un autre côté, rationner l’accès au traitement. Les politiques de santé ont besoin de cohérence pour être efficaces. La stratégie gagnante contre l’épidémie à VHC passe par un accès inconditionnel et universel aux traitements innovants. Le gouvernement doit s’en donner les moyens par une renégociation des prix, par une fixation unilatérale de ceux-ci, voire par une licence obligatoire. Il faut maintenant en avoir le courage !", a-t-il conclu.

Fin immédiate du rationnement : une annonce le 25 mai ?

"Après 18 mois de rationnement, aucune réponse n’est apportée aux malades qui sont  injustement privés d’accès aux soins", a expliqué, de son côté, Yann Mazens, directeur de SOS hépatites fédération. "On assiste à un recul historique de l’accès aux soins", a taclé Françoise Sivignon, la présidente de Médecins du Monde. Désormais l’inter-associatif attend du gouvernement, que le 25 mai, il "prononce la fin immédiate du rationnement et le début de la lutte pour vaincre l’épidémie de l’hépatite C". "Le 25 mai prochain, journée nationale de lutte contre les hépatites, nous n’accepterons aucun report de l’accès aux traitements POUR TOUS", ont prévenu les associations.

Une tribune "Hépatite C : offrir un traitement à tous" a été publiée le 18 mai sur le site de "Libération". Elle est signée par le docteur Françoise Sivignon (présidente de Médecins du Monde), Didier Fassin (président du Comède), Aurélien Beaucamp (président de Aides), Pascal Mélin (président de SOS hépatites fédération), Jean-Michel Dellile (vice-président de Fédération addiction), Lucile Guénégou (coordinatrice du Collectif hépatites virales), Léonard Nzitunga (président de FNH-VIH), Danièle Desclerc-Dulac (co-présidente du Ciss) et Jean-Pierre Fournier (coordinateur du TRT-5).

(1) : Le Collectif hépatites virales, le TRT-5, la Fédération addiction, Médecins du Monde, AIDES, SOS hépatites fédération, le Coméde et le Ciss.
(2) : Certains traitements ne sont plus recommandés ou à utiliser dans des cas très particuliers.
(3) : Conférence internationale sur le foie qui s’est tenue du 13 au 17 avril 2016 à Barcelone.