Vieillir avec le VIH : faisons le point

Publié par Fred Lebreton le 04.02.2021
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Lundi 25 janvier, Sidaction proposait son premier webinaire intitulé « Vieillir avec le VIH ;  une vie positive pour les plus de 50 ans ». En introduction, Florence Thune, directrice générale de l’association, annonçait : « On est bien heureux de vieillir avec le VIH »,  tout en questionnant  les effets des traitements anti-VIH sur le long terme. Pour Corinne Le Huitouze, responsable des programmes associatifs de Sidaction, il faut anticiper ces questions : « En 2030, il y aura 17 000 personnes vivant avec le VIH de plus de 75 ans en France ». Retour sur ce webinaire et les pistes de réflexion qu’il lance.

Un besoin d’aide psychologique

Premier intervenant du webinaire, Axel Vanderperre, fondateur et président de Utopia_BXL. De formation en recherche clinique, le chercheur belge a présenté les résultats de Santé Positive VIH, une étude qu’il a menée sur les personnes vieillissant avec le VIH. Axel Vanderperre explique que parmi les 20 000 personnes vivant avec le VIH en Belgique, la moitié est âgée de 50 ans ou plus.

L’enquête Santé Positive VIH s’est faite sous forme d’un questionnaire inter associatif proposé en ligne. Au total, 86 personnes ont répondu avec une grande majorité d’hommes (83 %). Parmi les points importants qui sont ressortis, le poids des comorbidités chez les personnes qui vieillissent avec le VIH, un sentiment d’isolement affectif et un besoin d’aide psychologique exprimé par 40 % des répondants-es. En ce qui concerne leur vie sexuelle, seules 31% des personnes en étaient satisfaites. Autre point de vigilance, la nécessité d’améliorer la capacité des personnes à exprimer leurs besoins, notamment auprès de leur médecin généraliste. En effet, seules 31 % des personnes abordaient le VIH avec leur médecin généraliste.

Suite à cette enquête en ligne, une première journée Santé Positive a été organisée en septembre 2020 en Belgique. Une rencontre entre personnes concernées d’abord prévue en présentiel, et puis, Covid-19 oblige, adaptée en format virtuel. Cette journée avait pour but de briser l’isolement des personnes vieillissant avec le VIH. Suite à ce travail collectif effectué entre personnes concernées, pairs-es associatifs-ves et professionnels-les de santé, un projet de programme de soutien à la santé mentale a été lancé.

Inégalité dans le secret

La Dr Agnès Villemant, médecin généraliste et infectiologue à l’hôpital Bichat (AP-HP, Paris) et membre du Corevih IDF Nord a présenté les données de l’étude intitulée : « Du vécu biologique au vécu biographique ». Cette étude sociologique, menée en lien avec Aude Belliard et Sarah Yvon, sociologues au Cermes3 (1) s’est basée sur des entretiens semi-directifs conduits entre janvier et avril 2020 avec 32 personnes vivant avec le VIH âgées de 60 ans et plus. Des personnes suivies pour le VIH dans les services de maladies infectieuses des hôpitaux de Beaujon, Pontoise, Bichat et Delafontaine.

Il est ressorti de ces entretiens que les personnes vieillissant avec le VIH étaient victimes d’une multitude de discriminations fondées sur leur âge, leur orientation sexuelle, leur identité de genre, leur niveau social, leur origine sociale et culturelle. Parmi ces discriminations, Sarah Yvon a pointé du doigt ce qu’elle appelle « une inégalité dans le secret ». C’est-à-dire la contrainte de révéler son statut sérologique à des personnes de son entourage quand on ne sait pas lire et/écrire le français, ce qui est le cas de certaines personnes qui sont en parcours migratoire (une majorité des personnes qui ont participé à ces entretiens). Pour l’équipe qui a mené cette étude, la prise en compte de ces contraintes et discriminations est primordiale pour améliorer la prise en charge des personnes vieillissant avec le VIH.

Solitude et précarité

Derniers intervenants de ce webinaire, Christophe Mathias et Rémy Hamai de l’association Les Actupiennes ont présenté les premiers résultats de leur étude nommée « Situation sociale, économique, affective et de santé des personnes séropositives au VIH vieillissantes ». L’association est partie du constat que, s’il existait des données conséquentes d’ordre thérapeutique dans la littérature scientifique sur les personnes vieillissant avec le VIH, il demeurait, en France, un grand manque de données sociologiques. L’étude qualitative, qui est toujours en cours, dure depuis un an et demi. Elle se fait sous forme de focus groupes avec une grille d’entretien « souple » qui laisse une part importante à la libre expression des personnes interrogées. À ce jour, 39 personnes vivant avec le VIH de 50 ans ou plus ont été interrogées dans six villes françaises. Des profils divers avec 22 hommes et 17 femmes. Prochainement, un focus groupe sera proposé à des personnes trans. L’âge moyen des participants-es est de 60 ans, la personne la plus âgée a 79 ans. Huit personnes sont en parcours migratoires. Le point commun de ces personnes est qu’elles ont toutes eu ou ont encore des comorbidités (dont neuf personnes qui ont eu une hépatite C traitée et guérie). Le premier constat des Actupiennes sur la base de ces entretiens est que les personnes vieillissant avec le VIH sont plus touchées par la solitude et la précarité.  Sur 39 personnes, 28 étaient célibataires et 11 en couples. Le sentiment d’isolement est partagé par 19 personnes. Cet isolement est à la fois dû à un sentiment de rejet venant des autres (sérophobie), mais aussi à un auto-isolement imposé par crainte de subir un éventuel rejet. Seize personnes préfèrent rester célibataires et 11 n’ont plus du tout de vie sexuelle. « Depuis ma maladie, je ne fréquente pas ; j’ai peur », déclare une des participantes. La stratégie I = I (indétectable = intransmissible) est comprise par les personnes, mais ne semble pas faciliter pour autant les rencontres, car le Tasp serait trop dur à expliquer aux partenaires d’après une majorité des répondants-es. Le VIH reste une barrière et un blocage dans la vie affective et sexuelle de la plupart des personnes de ces groupes, « surtout les femmes », précise Christophe Mathias.

Sur le plan économique et social, 15 des 39 personnes sont à la retraite, 13 vivent avec des minima sociaux, dont cinq au minimum vieillesse. Certaines personnes migrantes n’ont pas encore droit au minimum vieillesse, une aide qui est conditionnée à dix ans de résidence sur le territoire français. Les 39 participants-es sont locataires ou hébergés-es, deux sont en procédure d’expulsion.

Les traitements VIH pris depuis de nombreuses années, et leurs effets indésirables associés, ont engendré une certaine lassitude du traitement chez une majorité des personnes interrogées. Les traitements à long terme ont, selon le vécu des participants-es, un impact sur la fatigue, le sommeil, la libido, la digestion, la prise de poids et la santé mentale. Treize personnes ont déclaré ne pas être observantes dans la prise de leur traitement et six pratiquent l’allègement dit « sauvage » (2). Plusieurs personnes sont en allègement thérapeutique concerté avec leur infectiologue avec un comprimé par jour pris quatre jours consécutifs et une pause du vendredi au dimanche. Elles se déclarent très satisfaites et ressentent moins de fatigue chronique et quasiment plus d’effets indésirables. Un manque de coordination entre l’infectiologue et le-la médecin traitant est pointé du doigt par plusieurs répondants-es. De façon plus générale, la majorité des personnes qui ont répondu à cette enquête ont du mal à se projeter et ont peur pour leur avenir. Quinze personnes sur 39 ne veulent pas aller en Ephad (établissement pour personnes âgées dépendantes).

Les membres de l’association Les Actupiennes espèrent, qu’une fois cette étude terminée, les données récoltées permettront d’améliorer la prise en charge et de mieux répondre aux besoins des personnes vieillissant avec le VIH.

(1) : Cermes (Centre de recherche médecine, sciences, santé, santé mentale, société), est un laboratoire multidisciplinaire consacré à l’analyse sociale des transformations contemporaines des mondes des sciences, de la médecine et de la santé ainsi que leurs rapports à la société. Le Cermes3 est un laboratoire du CNRS, de l’Inserm, de l’EHESS et de l’Université Paris Descartes.
(2) : L’allègement dit « sauvage » est le fait de pratiquer un allègement thérapeutique sans concerter son médecin. Fortement déconseillé, cela peut avoir des conséquences néfastes sur le contrôle de la charge virale et les CD4.