Vieillir avec le VIH : une enquête officielle

Publié par Olivier Jablonski le 25.06.2013
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InitiativeCCCV 2013

Les enjeux sur le vieillissement des personnes vivant avec le VIH n’ont pas échappé à la Direction générale de la Santé. Elle a demandé au cabinet Plein Sens de réaliser une étude sur la "prise en charge des personnes vieillissantes vivant avec le VIH/sida". Les résultats ont été présentés lors la conférence de consensus communautaire sur Vieillir avec le VIH (CCCV), organisée par AIDES. Présentation des points marquants.

On le sait, le nombre de personnes séropositives de plus de 50 ans s'en va croissant. Ce constat s'accompagne de demandes et d'inquiétudes, pointées depuis plusieurs années par les associations de soutien. Vieillissement physique prématuré, craintes sur les risques sociaux, isolement, perte de revenus à l'arrivée à la retraite pour des personnes ayant eu des parcours de vie difficiles, voici les grandes questions qui se posent. Mais aussi, et très concrètement, quid de l'accueil d'une population vieillissante porteuse d'une pathologie chronique dans les établissements pour personnes dépendantes, quand on sait que le VIH reste un facteur de stigmatisation important. Enjeux auxquels la Direction générale de la santé vient de répondre par la publication de deux études, présentées lors de la conférence de consensus.

Le premier volet de l'étude, réalisé par le cabinet Plein sens, centré sur les personnes de plus de 60 ans, visait à répondre aux questions sur le vécu du VIH pour dresser un panorama des constats auxquels la santé publique devra répondre. L’enquête de Plein sens a été réalisée sous forme d'entretiens avec 54 personnes composant un panel représentant la diversité de la population séropositive : hommes, femmes, nationalité française ou étrangère, orientation sexuelle. Seules 13 personnes avaient plus de 70 ans, ce qui limitait la portée de l'étude pour étudier les situations de grande dépendance. Les personnes ont été recrutées via cinq hôpitaux et par un recrutement via les associations de soutien (9 personnes). Du fait de son échantillon, cette étude ne peut être exhaustive. Elle a donc une visée exploratoire. Toutefois les auteurs ont tenté le plus souvent possible de recouper leurs constats avec d'autres études notamment l'étude Vespa (VIH : Enquête sur les personnes atteintes) dont l’objectif est de décrire de façon précise la vie des personnes séropositives en France.

Démographie des personnes vivant avec le VIH de plus de 60 ans

En 2010, l'Inserm (Institut national de la santé et de la recherche médicale) estimait à 10 % la part des plus de 60 ans chez les personnes vivant avec le VIH, soit 10 à 11 000 personnes en France (on ne compte ici que les personnes connaissant leur statut sérologique). 10 %, c'est nettement moins que dans la population générale où 29 % des personnes ont plus de 60 ans. Impact de l'histoire jeune de l'épidémie et probablement du nombre important de décès dans les années noires.

A cette différence s'en ajoute une autre. Chez les plus de 60 ans, les femmes et les personnes d'origine sub-saharienne sont moins présentes que chez les personnes vivant avec le VIH de moins de 60 ans. En revanche, les homosexuels sont plus présents.

Une situation économique plus favorable et inattendue par rapport à celle des personnes vivant avec le VIH plus jeunes

Constat novateur de l'étude, la situation économique des plus de 60 ans séropositifs, est plus favorable que celle de leurs cadets. Situation qui peut sembler étonnante au premier regard mais qui se comprend pour deux raisons sur lesquelles nous reviendrons. La proportion de propriétaires de logement est ainsi deux fois supérieure, l'accès aux soins est plus facile avec moins de bénéficiaires de la CMU (2 à 3 fois moins) et les revenus sont plus importants (revenu médian 1,3 fois plus élevé). Si la situation économique est donc globalement plus favorable, les situations individuelles restent très diverses, passant de la grande précarité à l'aisance matérielle.  Pourquoi donc cette situation plus favorable chez les séropositifs actuels à l'entrée au 3ème âge ? Les auteurs de l'étude l'expliquent de deux manières. Tout d'abord, il faut prendre en compte la situation économique du pays durant la vie active des personnes étudiées. Cette situation était meilleure que celle des générations plus jeunes. Il y a, par ailleurs, un effet de cycle de vie : les personnes âgées de plus de 60 ans ont été infectées, pour les plus jeunes, au moins après 30 ou 35 ans, à un moment donc où la plupart d'entre elles avaient déjà "une situation" établie. La génération plus jeune (celle entre 50 et 60 ans) a pu être "être frappée à 20 ans, ce qui a interdit à certains toute forme de capitalisation économique".

Comment vit-on avec le VIH après 60 ans ?

L'étude Plein sens s'est aussi consacrée à définir de grandes typologies afin de cerner la "diversité des situations et parcours". Six catégories, qui reflètent l'impact du VIH dans la vie et l'histoire de chacun.
- Le VIH à bas bruit : pour certains, le VIH n'a pas affecté de manière importante leur vie, il a entraîné un désordre, mais "somme toute" limité ;
- Le VIH apaisé : celui-ci a bouleversé la vie avec des épisodes sanitaires graves, un deuil, voire plusieurs. Mais le temps passant, les personnes ont construit un équilibre présenté comme "apaisé".
- Le déclassement : pour d'autres, l'apparition du virus a imposé d'importants changements dans leurs vies et les personnes ont vécu alors cette situation de manière douloureuse. Il y a alors la vie d'avant et celle d'après, d'où l'apparition d'un sentiment de déclassement, de dégradation, de ruptures. Dans ce groupe se trouve un certain nombre de migrants ;
- L'incapacité ou l'invalidité qui concerne les personnes définitivement handicapées par le virus et ses multiples conséquences ;
- Le VIH de surcroit : La vie a pu parfois être très "chaotique", "souvent dramatique", vie à laquelle se sont alors ajoutés le VIH et son "surplus de souffrances et de difficultés objectives comme subjectives". Le VIH est alors un élément parmi d'autres des difficultés de la vie passée et actuelle ;
- A ces catégories, s'ajoute celle des veuves, figures singulières des femmes qui disent se vivre comme "victimes" de la sexualité de leur époux et cumulent les handicaps sociaux liés à leur dépendance économique passée au mari. Elles conservent un sentiment "non apaisé" de trahison.

A l’avenir que faire ?

Au terme de l'étude réalisée par Plein sens, se dessine un portrait plus affiné des séropositifs de plus de 60 ans. On l'a vu (ci-dessus), la situation économique dessine un portrait qui est "somme toute conforme à celui d'un pays riche, et qui compte une importante classe moyenne, et doté d'un système de protection sociale efficace, au moins pour cette génération". A minorer toutefois pour les femmes, puisque leur niveau de ressources est significativement plus faible à l'âge de la retraite, mais c'est une situation que l'on retrouve aussi en population générale. Par ailleurs, les personnes ayant été en invalidité ont parfois des revenus plus favorables à l'arrivée à la retraite, car le régime de retraite peut être plus important que celui d'invalidité. L'invalidité n'a donc pas un effet de "disqualification radicale". En revanche, la migration tardive et le défaut de cotisation liés à des statuts d'occupation "dans les marges" ou à l'étranger compliquent sérieusement la situation des personnes qui se retrouvent alors au minimum vieillesse à l'âge de la retraite. Du point de vue des ressources financières, pour les personnes passées par les régimes d'invalidité, rien ne laisse entrevoir des problèmes spécifiques liés au VIH dans le traitement des droits avant et après 60 ans, le passage de l'invalidité à la pension d'invalidité puis à la retraite. C'est une vie hors de la sécurité sociale (à l'étranger ou dans des activités "aux marges" du droit) qui conduit au minimum vieillesse. Plein sens recommande d'anticiper la transition des droits lors du passage au statut de retraité. Si les niveaux de vie peuvent être très inégaux, l'étude pointe le bénéfice d'un système français de Sécurité sociale performant, si on le compare à d'autres pays. Ce système favorise grandement l'accès à l'assurance maladie, aux soins, à la qualité des soins et à la sécurisation des revenus (la retraite). Il a produit des "effets massifs de sécurisation des parcours" (santé et revenus). En matière de santé, les plus de 60 ans sont soignés et ont une grande confiance dans le système de soins. Au point qu'il est une "dimension forte du sentiment de sécurité vis-à-vis de l'avenir". L'accès aux services de santé est vécu par les personnes interrogées comme très bon. Le fait d'avoir un suivi personnalisé VIH offre une porte d'entrée vers les autres services de soins spécialisés.

Cette question de santé revient sous un autre angle : celle de la santé perçue en "net décalage" avec la réalité de santé réelle. Les personnes minimisent leur situation de santé malgré la présence de pathologies chroniques fréquentes. Ceci n'est pas un déni, mais un phénomène connu et courant. En effet, généralement, les malades opèrent une renégociation de leur perception pour vivre avec leur pathologie chronique au quotidien. Cette recomposition est stable avec le temps. Reste le sentiment de blessure chez certains, lié au VIH ou amplifié par le VIH, que "l'habitude ne surmonte pas".

Les personnes vivant avec le VIH vivent cependant plus souvent seules que la moyenne de la population. Ceci parce qu'une part d'entre-elles provient d'une génération d'homosexuels qui vivaient moins en couple que les hétérosexuels, ou parce que les personnes ont été plus souvent confrontées au veuvage. L'isolement affectif est donc plus fréquent, mais le lien social est multiforme, et provient de réseaux sociaux établis depuis longtemps, même s'il existe des situations d'isolement résultant du caractère "honteux" ou terrible de la maladie ou d'un déclassement lié à la migration ou la perte d'un train de vie.

Avec leur entourage, la majorité des personnes de cette étude dit vivre dans le secret avec des stratégies (le dire ou pas) qui ne sont pas différentes de celles qu'elles utilisaient auparavant. Toutefois, la situation a pu se simplifier par le fait de vieillir et de changer de situation (ne plus avoir besoin de le dire au travail puisqu'on est à la retraite, ou aux parents qui ne sont plus là). Les personnes vivant avec le VIH de plus de 60 ans ont-elles moins accès aux services sociaux que d'autres ? L’étude de Plein sens n'a pas permis d'identifier un tel problème, mais propose comme recommandation d'établir des dispositifs de soutien psychologique aux femmes séropositives veuves et plus généralement à toute personne vivant sa contamination comme une situation de victime.

Les auteurs font remarquer que même si certaines personnes ont eu une vie difficile, ce qui ressort de l'ensemble des interviewées détonne avec le "discours pessimiste et inquiet" de certaines enquêtes sur vieillir avec le VIH. Il leur semble que le sentiment dominant "est plutôt celui d'une relative sécurité et stabilité de l'économie générale de vie". Enfin le fait d'être à la retraite peut aussi d'une certaine manière "normaliser la situation d'inactivité de la période précédente et aussi mieux composer avec les aléas de la santé, notamment la fatigue. Une forme de normalisation de la maladie avec l'âge".

L'étude souligne que les résultats actuellement obtenus pourraient ne pas être les mêmes pour les prochaines générations, marquées par une histoire différente du VIH car touchées plus jeunes, en pleine période de démarrage dans la vie adulte et dans un contexte économique plus difficile.

La dépendance : une enquête sur les EHPAD
Réfléchir au problème de vieillissement, c'est aussi questionner la dépendance. Arrivées à un grand âge, une des solutions, est d'héberger les personnes dans des établissements médicaux spécialisés. C'est la fonction des EHPAD (établissement d'hébergement pour personnes âgées dépendantes), structures habilitées à  accueillir des personnes de plus de 60 ans. Mais dans la réalité l'âge moyen d'entrée est de 84 ans. L'autre volet de l'étude de Plein Sens visait donc à traiter de la sélectivité des EHPAD, dont celle liée au VIH et à proposer une série de recommandations. Cette étude a été menée en questionnant les différentes parties prenantes de la prise en charge des personnes âgées, des services concourant à l'orientation des personnes, des experts associatifs et un petit panel de huit établissements.
On entre dans un EHPAD quand un problème de dépendance survient, et non, par exemple, parce qu'on aurait le VIH, mais du fait de dépendances physiques ou cognitives liées au grand âge (Alzheimer par exemple). La population des personnes vivant avec le VIH chez les plus de 60 ans est en augmentation, mais la plupart ne sont pas en situation de dépendance. Actuellement seule une centaine de personnes séropositives est concernée par ce dispositif. Leur profil n'est pas connu et il est donc difficile d'établir les besoins de ces personnes et la qualité de l'accueil qui leur est faite dans les différents EHPAD  où elles vivent. Ces structures sont autonomes dans leur choix d'admettre ou pas une personne. La Direction générale de la santé (DGS) a confirmé qu'il existait des refus adressés à des personnes séropositives. Les travailleurs sociaux qui cherchent des places se heurtent parfois à des refus, interprétés alors comme de la discrimination. Si cette explication est plausible, elle n'est pas le seul motif possible de refus. Et généralement le premier argument de refus est le coût financier, c'est-à-dire le coût considéré comme onéreux de la prise en charge liée aux traitements anti-VIH quand ceux-ci ne sont pas pris en charge par la Sécurité sociale. Ce refus peut aussi concerner d'autres pathologies lourdes. D'autres raisons sont aussi évoquées : le VIH fait peur même dans les établissements médico-sociaux, une peur faite d'abord d'ignorance et donc "d'incompétence". Il y a aussi la charge de travail induite, le manque de compétences techniques ou encore l'incapacité pour certains établissements de prendre en charge des troubles non liés à l'âge (par exemple un usage de drogue, des personnes ayant vécu dans la rue). Il est généralement difficile d'interpréter les refus car les réponses fournies par les établissements sont laconiques a indiqué la DGS.
Par le visage même de l'épidémie VIH qui a fortement touchée les homosexuels, on peut se demander quels seraient l'accueil et les conditions de vie de ces personnes dans les EHPAD. La question a été posée aux établissements. Il n'y a pas pour eux de discrimination, car l'orientation sexuelle des résidents n'a pas à être connue. Les établissements ne connaissent donc pas l'orientation sexuelle de leurs résidents et s'en déclarent "indifférents". Ceci peut être interprété comme une "violence institutionnelle" produite sur les résidents qui n'auraient pas la possibilité de dire leur différence. L'étude Plein sens recommande, entre autres, de mener des actions de sensibilisation, d'éditer des documents d'information pour accompagner les demandes d'admission afin de désamorcer les réticences.