VIH : "Alléger le traitement antirétroviral sans en compromettre l’efficacité"

Publié par Renaud Persiaux le 31.07.2011
68 189 lectures
Notez l'article : 
0
 
Thérapeutiqueallègement des traitements

De plus en plus efficaces, de mieux en mieux tolérées, de plus en plus simples à prendre. Jusqu’où pourra-t-on aller dans l’allègement des thérapies antirétrovirales ? Jean-Michel Molina, chef du service des maladies infectieuses de l’Hôpital Saint-Louis (Paris), et président de l’AC 5, l’instance d’évaluation des essais cliniques de l’Agence nationale de recherche sur le sida et les hépatites virales (ANRS), nous donne son point de vue.

Molina1.jpg

Comment définiriez-vous l’allègement thérapeutique ?
L’allègement recouvre plusieurs domaines. D’abord, une certitude, quel que soit le traitement il est souhaitable, lorsque cela est possible, de l’alléger. Mais rappelons que depuis leur introduction en 1996, les trithérapies ont fait d’énormes progrès. [rappelons qu'aujourd’hui encore, une trithérapie comporte classiquement deux analogues nucléosidiques ("nucs"), associés soit à un non nucléosidique ("non nuc"), soit à une antiprotéase boostée par ritonavir, ndlr]. En 2011, la grande majorité des personnes prennent leur traitement en une fois par jour, parfois deux. Mais la tendance est de permettre au plus grand nombre de pouvoir prendre le traitement une seule fois par jour, en tout cas chez les personnes ayant un virus ne présentant pas de résistance. Ensuite, le principe de base en matière d’allègement, c’est d’alléger le traitement sans en compromettre l’efficacité. Le plus évident, c’est d’abord de diminuer le nombre de comprimés à prendre, tout en gardant une multithérapie.

Vous parlez des co-formulations, les  "combos", qui contiennent deux voire trois molécules dans le même comprimé…
Oui, aujourd’hui, on choisit les traitements les moins contraignants possibles, avec le moins d’effets indésirables. De nouvelles combinaisons à dose fixe, de nouvelles co-formulations, permettent de réduire le nombre de prises. Atripla, commercialisé par les laboratoires Gilead et BMS en 2009, est la première trithérapie en un seul comprimé par jour. Elle associe Truvada (qui contient du ténofovir et de l’emtricitabine, deux molécules de Gilead) et Sustiva (efavirenz) de BMS.

Le problème, c’est que Sustiva a des effets psy (vertiges, cauchemars, trouble de l’humeur, irritation, dépression…) chez une proportion non négligeable de personnes. Dans ce cas, l’allègement concerne le nombre de prises, mais pas les effets indésirables…

Certes, mais tous les patients ne présentent pas d’effets indésirables et de nouvelles co-formulations vont arriver très prochainement sur le marché, dans un contexte très concurrentiel. La prochaine combinaison tout-en-un sera l’association de la rilpivirine et du Truvada (laboratoires Janssen et Gilead). La suivante, un "quad" développé par Gilead seul avec des molécules "maison", l’elvitegravir, un nouveau booster appelé cobicistat et le Truvada encore. Mais ViiV Helthcare développe aussi sa propre trithérapie en un comprimé, associant le dolutégravir et Kivexa.

On parle aussi d’épargner la toxicité des analogues nucléosidiques, les "nucs", tels que Truvada et Kivexa, qui constituent pourtant aujourd’hui la base de toute trithérapie antirétrovirale.
Les stratégies thérapeutiques sans nucléosides sont loin d’être validées aujourd’hui. Il faut aussi rappeler que la toxicité à long terme de Truvada et de Kivexa n’a rien a voir avec celle des premiers nucléosides, l’AZT et surtout la stavudine [Zerit, ndlr], qui provoquaient des lipodystrophies [troubles de la répartition des graisses], et des neuropathies [douleurs dans les membres]. Ce n’est plus le cas des "nucs" de seconde génération. Aujourd’hui, on peut prévenir et détecter les toxicités de ces nouvelles combinaisons de nucléosides en surveillant des paramètres biologiques sanguins, ce qui permet de les interrompre à temps si besoin.

Certes, mais sur la durée des toxicités même faibles peuvent s’accumuler, d’où l’idée d’alléger le traitement. Pouvez-vous expliquer la distinction entre traitement d’attaque et traitement de maintenance, et qu’en pensez-vous ?
On distingue, en effet, deux phases dans le traitement antirétroviral. L’attaque (ou induction), au début, quand la charge virale est élevée et qu’il faut combiner plusieurs molécules pour obtenir une puissance antirétrovirale maximale. Dans cette situation, la trithérapie reste la règle, et une observance maximale est requise. Si la régularité des prises n’est pas suffisante, ou si la puissance antirétrovirale nécessaire n’est pas atteinte, il y a risque d’émergence de résistances. Les choses sont différentes lorsque la réplication virale est contrôlée depuis plusieurs mois, et que le virus réside principalement dans les cellules réservoirs, de façon latente. A ce moment-là, un traitement de suite (ou de maintenance) semble possible, pouvant potentiellement nécessiter une puissance antivirale moindre, autorisant possiblement un allégement, une épargne de molécules.

C’est là qu’intervient d’abord l’idée de monothérapies d’antiprotéases boostées...
Les antiprotéases associées au ritonavir [Norvir, booster] sont d’excellents antiviraux qui ont un double avantage : ce sont des molécules très puissantes (elles écrasent la réplication virale de façon très importante) et en cas d’échec virologique, le risque de résistance du virus est moindre qu’avec les autres molécules. Cependant l’essai MONARK a montré que quand on commence un traitement, il faut éviter une monothérapie d’antiprotéase et utiliser une trithérapie. En revanche, une fois la réplication virale parfaitement contrôlée, certaines études (les essais MONOI et MONET) ont montré, qu’en maintenance, les antiprotéases boostées utilisées seules sont capables de maintenir la charge virale indétectable chez une large majorité de personnes, presqu’aussi bien, mais pas tout à fait quand même, que les trithérapies classiques. Il n’a pas été démontré que cette stratégie permet de diminuer les effets indésirables à long terme, et les risques de blips [remontée ponctuelle de la charge virale qui redevient alors détectable, ndlr] ne sont pas encore bien connus.

Problème là encore, les antiprotéases boostées sont souvent mal tolérées, notamment à cause des diarrhées…

Oui, les diarrhées sont souvent observées avec certaines antiprotéases, mais les plus récentes entraînent peu ou pas de diarrhées. Cependant, dans les stratégies d’allègement les antiprotéases sont des molécules très utiles. Des études sont en cours pour évaluer l’association aux antiprotéases d’un seul nucléoside au lieu de deux, ce qui pourrait réduire les effets secondaires.

Que pensez-vous des trithérapies intermittentes, quatre jours sur sept, en maintenance, la stratégie que Jacques Leibowitch veut tester dans l’essai Iccarre ?
Ce projet fait suite à l’observation de données intéressantes chez un petit groupe de patients. Il a été discuté à l’ANRS, et des propositions ont été faites pour l’améliorer. L’analyse de l’observance dans une telle étude est difficile et représente un enjeu essentiel. Des essais de ce type sont actuellement en cours en Europe chez les adolescents où le traitement est interrompu le week-end. Ce type de stratégie doit, en tous cas, faire l’objet d’études rigoureuses avant d’être utilisé en pratique courante.

Que sait-on des effets de l'Allegement sur les réservoirs, l’inflammation, les complications, l'UTILISATION DU traitement comme MOYEN DE prévention ?
Toutes ces questions sont importantes et font l’objet de discussions à l’ANRS. Du fait de la baisse de la mortalité et de la morbidité liées aux maladies opportunistes, d’autres risques, cardio-vasculaires, osseux, hépatiques, cancers, sont devenus de plus en plus fréquents. L’inflammation et l’activation du système immunitaire jouent probablement un rôle et l’évaluation de nouvelles molécules n’ayant pas d’action antivirale est en cours de discussion. [Si leur intérêt était démontré, certaines molécules à l’action anti-inflammatoire pourraient venir en complément des antirétroviraux, mais il faudra balancer le bénéfice qu’elles apportent par rapport à leurs effets indésirables dans une utilisation à long-terme, ndlr].

Où en sont les formulations qui permettraient une diffusion de longue durée dans l’organisme ?
Les études se poursuivent dans ce domaine, mais il n’y a pas de révolution probable à court terme. La rilpivirine, un antirétroviral sur le point d’être commercialisé [il a été approuvé aux Etats-Unis au mois de mai, ndlr], a fait l’objet d’études préliminaires avec des formulations nanotechnologiques permettant possiblement des injections mensuelles. Cependant, le développer avec une seule molécule sera insuffisant : il faudra combiner plusieurs molécules pour espérer une efficacité suffisante.

Enfin, qu’en est-il des recherches sur le vaccin thérapeutique, dont on a l’impression qu’elles sont au point mort et que personne ne s’y intéresse vraiment ?
Les essais de vaccins thérapeutiques se poursuivent à l’ANRS avec un projet en cours d’examen à l’Afssaps [l’Agence française du médicament, ndlr]. Il s’agit d’un enjeu, là encore, très important pour essayer de contrôler la réplication virale en l’absence de trithérapie, au mois pendant un certain temps.

On suspecte que les différentes stratégies d’allègements ne seront pas ENVISAGEABles chez tout le monde. Comment savoir chez qui cela peut être sans risque et utile, dans un BUT d’individualisation du traitement aRV ?
Il sera important de pouvoir identifier les personnes chez qui les différentes stratégies seront possibles. Il n’est pas question de compromettre l’efficacité pour alléger le traitement. L’analyse de la qualité de vie des personnes est également très importante pour s’assurer que toute solution d’allègement procure réellement un bénéfice.

Qui dit allègement dit réduction des coûts…
La réduction des coûts est une question importante en santé publique, mais elle ne passe pas seulement par la réduction du traitement. La disponibilité prochaine des génériques pourrait permettre une réduction du coût des trithérapies, mais une juste prescription des traitements et des examens complémentaires est aussi un bon moyen de réduire les coûts de la prise en charge du VIH.

Propos recueillis par Renaud Persiaux

Commentaires

Portrait de lounaa

au sujet du truvada car chez moi il à etait pire que le combivir au sujet des lypo et autres effets indésirables ....