VIH en Côte d’Ivoire : « Il faut parler de nous ! » (4)

Publié par Fred Lebreton le 06.02.2022
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MondeAbidjan

Du 18 au 21 janvier 2022, un voyage de presse organisé par Espace Confiance, Coalition PLUS et AIDES était organisé à Abidjan en Côte d’Ivoire, pour rencontrer des associations communautaires de lutte contre le sida, des institutionnels et des personnes concernées. Le but de ce voyage ? Raconter ce que font les structures communautaires soutenues par le Fonds mondial de lutte contre le sida, la tuberculose et le paludisme et expliquer pourquoi il est crucial de renforcer ces financements, alors que se profile, cette année, une prochaine reconstitution des fonds. Quatrième et dernier épisode.

« Nous avons besoin de ces financements pour sauver des millions de vies »

Vendredi 21 janvier, 7h30. Cette fois-ci, hors de question d’être coincé-e dans les embouteillages et d’arriver en retard ! Nous prenons nos précautions en partant deux heures à l’avance : direction l’hôtel du Plateau où va se tenir la conférence de presse qui clôture ce voyage. Entouré d'eau, Le Plateau est le quartier d'affaires animé de la ville, où se trouvent les bâtiments gouvernementaux et immeubles de bureaux, ainsi que la cathédrale Saint-Paul, qui comprend une tour moderne en forme de croix.

Il est 10h30 lorsque la conférence commence. C’est le Dr Camille Anoma, directeur d’Espace Confiance, qui prend la parole en premier avec quelques mots de bienvenue. Il est suivi par des discours très convenus de l’ambassadeur de France en Côte d’Ivoire Jean-Christophe Belliard et du directeur de cabinet du ministère de la Santé Charles Aka Koffi. L’ambassadeur insiste sur le rôle de la France en matière de santé mondiale et dans la lutte contre le VIH/sida au niveau mondial. Il indique que la France ne ménage « aucun effort pour apporter sa contribution en terme financier pour permettre au Fonds mondial d’appuyer les États dans la lutte contre le sida ». De son côté, le directeur de cabinet insiste sur l’importance pour les femmes de se faire dépister et traiter afin de réduire la transmission de la mère à l’enfant. « Il faut convaincre les femmes qui vivent dans les campements et pour cela, les médecins sont disponibles pour la sensibilisation. Il faut savoir que le budget du ministère de la Santé, de l’hygiène publique et de la couverture maladie universelle augmente chaque année de 15 % », déclare Charles Aka Koffi.

Le discours le plus marquant de cette conférence est sans aucun doute celui de Jeanne Gapiya. Militante burundaise des droits des personnes vivant avec le VIH, Jeanne préside l’Association nationale de soutien aux séropositifs et malades du sida (ANSS, membre de Coalition PLUS) qui opère au Burundi et dont elle est la fondatrice. Elle est également membre du Conseil d’administration de Coalition PLUS. « Je m’appelle Jeanne Gapiya. Je suis une des rescapés-es du VIH. Je vis avec le VIH depuis 36 ans. Si je suis ici ce matin pour vous parler, c’est que je suis encore en vie. Je suis encore en vie grâce aux solidarités des associations du Nord et du Sud. J’ai eu mon premier traitement grâce aux militants-es de AIDES qui se sont mobilisés-es pour me trouver des traitements avant la mise en place du Fonds mondial contre les trois pandémies », déclare la militante dans un discours puissant et incarné. « Cette solidarité et ce partenariat équitable entre associations communautaires de lutte contre le sida du Nord et du Sud sont au cœur de la philosophie d’action de Coalition PLUS, que je représente aujourd’hui. Depuis 2008, nous mettons en commun les expertises d’associations pionnières, comme AIDES et Espace Confiance ici présentes, pour développer les services de santé communautaire, interpeller, quand c’est nécessaire, les pouvoirs publics, et conduire des projets de recherche », poursuit la militante. « Ensemble, nous construisons un grand mouvement international pour porter haut et fort les voix des personnes vivant avec le VIH et des communautés marginalisées les plus affectées par cette épidémie, car c’est ainsi, en nous impliquant systématiquement dans les programmes de santé qui nous concernent, que nous pourrons mettre un point final au sida », affirme la porte-parole de Coalition PLUS.

Jeanne Gapiya raconte à la salle ce que la délégation a pu observer lors de cette semaine : « Nous avons pu voir comment les travailleuses du sexe dépistent leurs collègues sur leurs lieux de travail, en toute confidentialité et sécurité. J’insiste sur ce point : ces personnes marginalisées et particulièrement vulnérables au VIH sont les mieux placées pour accompagner leurs pairs-es tout au long du parcours de soin, du dépistage à la prise en charge. Leur connaissance fine des pratiques et des codes de leurs communautés constitue une réelle expertise qui leur permet d’atteindre les personnes les plus éloignées des systèmes de santé », explique la militante. Elle insiste sur l’importance du Fonds mondial : « En pleine pandémie de Covid et face à la préoccupante régression des indicateurs clés de la lutte contre les grandes pandémies, nous avons plus que jamais besoin de ces financements. Nous en avons besoin pour rattraper les retards accumulés. Nous en avons besoin pour renforcer la réponse mondiale aux épidémies émergentes. Nous en avons besoin pour renforcer les systèmes de santé communautaire. Nous en avons besoin pour sauver des millions de vies » martèle Jeanne Gapiya. Elle explique qu’en 2020, pour la première fois en deux décennies d’existence, le Fonds mondial a constaté un recul de ses indicateurs clés, avec notamment une baisse de 22 % des dépistages du VIH et de 11 % de la fréquentation des services de prévention du VIH. « Ces chiffres sont très préoccupants et nous donnent de sérieuses raisons de craindre une augmentation des nouvelles infections, en particulier dans les pays à revenus faibles et intermédiaires comme la Côte d’Ivoire », déplore la militante. Et de conclure : « À quelques mois de la conférence de reconstitution du Fonds mondial, qui aura lieu, cet automne, aux États-Unis, nous sommes à l’heure des choix. Pour garantir le plein financement du Fonds mondial sur les trois prochaines années, nous estimons que 28,5 milliards de dollars sont nécessaires, dont neuf milliards pour la lutte contre le VIH ».

800 décès d’enfants par an liés au sida

Après la conférence de presse, un petit buffet est organisé. J’en profite pour échanger avec Andréa Mestre, une militante franco-ivoirienne qui parle ouvertement de sa séropositivité dans les médias et sur ses réseaux sociaux notamment sur son compte Instagram suivi par 13 000 personnes. Andréa est aussi l’ambassadrice du Fonds national de lutte contre le sida en Côte d’Ivoire et, à ce titre, elle fait partie de notre délégation. « Ce voyage m’a permis de voir des populations très exposées au VIH qui sont invisibles comme les travailleuses du sexe. En tant que femme et mère vivant avec le VIH d’origine ivoirienne, j’ai pu voir tout le chemin parcouru dans la lutte contre le VIH/sida ici, mais il faut maintenir les efforts. Les femmes et jeunes filles de 15 ans et plus représentent plus de la moitié des nouvelles infections à VIH dans ce pays », déplore la militante. L’autre combat d’Andréa est la prise en charge pédiatrique des enfants vivant avec le VIH. Un combat qu’elle partage d’ailleurs avec Jeanne Gapiya. « L’accès au traitement pour les enfants est un sujet qui me tient à cœur. Il y a encore 800 enfants par an de 0 à 14 ans qui décèdent des suites d’une maladie liée au sida en Côte d’Ivoire. Cela n’est pas acceptable en 2022 », déplore Andréa. Et de conclure : « Nous avons tous les outils pour éradiquer le sida dans ce pays, mais il faut plus de moyens financiers. Nous sommes proches de la ligne d’arrivée et ça serait dommage de reculer. Il faut que le Fonds mondial maintienne et amplifie les financements en Côte d’Ivoire ».

Investir dans la méthadone

Même son de cloche de la part d’Aya Kouakou N'Guessan, chargée de plaidoyer pour Espace Confiance et Coalition PLUS. Aya met en place des stratégies de plaidoyer pour l’amélioration de l’environnement social et juridique des populations les plus exposées au VIH. Elle travaille aussi au renforcement du leadership communautaire. « Le but de ce voyage était de relever les succès et défis liés aux financements du Fonds mondial en Côte d’Ivoire. En touchant du doigt les opportunités et les acquis de ces financements, cela peut encourager les pays donateurs à donner plus ! », espère la plaideuse. « Un exemple concret : avec les financements du Fonds mondial, nous avons pu obtenir la mise à disposition de la méthadone. Mais, à ce jour, seules 17 personnes ont accès à ce traitement essentiel, alors qu’il existe une demande forte chez les usagers-ères de drogue. J’ai été très marquée par la visite du fumoir (voir article sur Seronet, mettre lien sur la journée 3). Les usagers-ères sont dans un environnement insalubre et une situation très vulnérable. Quand je vois comment la méthadone a transformé la vie de certains-es usagers-ères, je me dis qu’il faut investir dans ce programme » explique Aya Kouakou N'Guessan.

Rendez-vous cet automne

2022 est une année pivot pour le Fonds mondial. Janvier 2022 marque les 20 ans de la première réunion du Fonds mondial. C’est aussi l’année de la septième reconstitution des ressources de l’institution. Son directeur exécutif, Peter Sands, affirme que c’est la reconstitution « la plus risquée, exigeante et ambitieuse de toutes ». Elle se tiendra cet automne sur la Côte Est des États-Unis après s’être tenue en France en octobre 2019 à Lyon. L’organisation par les États-Unis est une nouvelle assez positive dans le sens où le gouvernement Biden a envoyé de bons signaux en nommant le Dr John Nkengasong, virologue camerounais réputé, à la tête de Pepfar (le massif plan gouvernemental américain contre le VIH/sida).

Pour moi le voyage touche à sa fin. Dans l’avion qui me ramène à Paris, je relis mes notes et repense à toutes ces rencontres et notamment à deux personnes qui m’ont particulièrement marqué. Le premier soir, près du village de Modest, un lieu improbable entre la lagune et la mer, une jeune femme travailleuse du sexe qui m’a interpellé au moment de partir : « Il faut parler de nous ! » Et puis la visite du fumoir, le troisième jour, quand Boubacar, usager de drogue sur liste d’attente pour la méthadone depuis un an, a insisté pour que je parle de cette attente : « Dites-leur qu’on en a besoin, Monsieur le journaliste ! » J’espère que la France sera à la hauteur des enjeux du Fonds mondial, cet automne. La société civile et les activistes de la lutte contre le sida seront présents-es pour rappeler les enjeux de ces financements et l’impact concret du Fonds mondial dans la vie des personnes concernées dans des pays comme la Côte d’Ivoire.

Merci à Chloé Le Gouëz, Léo Deniau et Margot Cherrid (AIDES), le Dr Camille Anoma (Espace Confiance), Jeanne Gapiya (Coalition PLUS), Aya Kouakou N'Guessan (Espace Confiance/Coalition PLUS) et Andréa Mestre.

Lire les épisodes 1, 2 et 3.