VIH en Europe de l’Est, le fond de l’air effraie

Publié par Mathieu Brancourt le 30.07.2018
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ConférencesAids 2018

Bien que trop lents, les progrès dans la réponse à l’épidémie de VIH se voient partout, à une notable exception près. L’Onusida observe en Europe de l’Est et Asie centrale, une très forte résurgence des contaminations au VIH et des décès liés au sida. Une situation très inquiétante, reflet des reculs majeurs en termes de prévention et d’accès aux traitements, mais aussi des atteintes aux droits humains, notamment auprès des groupes les plus vulnérables à l’épidémie. Une rencontre autour de cette urgence a été organisée avec des acteurs de terrain et représentants d’instances internationales.

La situation en Europe de l’Est est au cœur de nombreuses sessions et présentations à Amsterdam, preuve de la volonté de mettre sous la lumière la catastrophe sanitaire qui sévit sur place. Pour mieux comprendre ce qui se passe et y répondre, les organisateurs ont voulu proposer une rencontre avec des acteurs de terrains, en présence de journalistes. "Il est crucial de faire connaître cette situation et l’urgence qu’elle revêt, sachant que l’immense majorité des contaminations qui s’y produisent le sont dans les populations clés, les personnes qui sont les plus éloignées du soin et par ailleurs discriminées", introduit Chris Beyrer, ancien président de la Société internationale sur le sida. Ces mêmes groupes qui sont depuis longtemps identifiés comme les communautés et comme priorité dans la victoire contre l’épidémie. Au-delà de la prévention, il y a l’enjeu du nombre de textes législatifs qui criminalisent la transmission ou la simple exposition au VIH. Chris Beyrer, rappelle qu’il coute quatre fois plus cher de pénaliser et d’enfermer une personne que de la soigner et la mettre sous traitement anti-VIH.

Michel Kazachkine, envoyé spécial de l’Onusida en Europe de l’Est et Asie centrale, donne un panorama de la situation. "75 % des cas concernent la Russie, 10 % l’Ukraine et les autres cas d’autres petits pays de la fédération de Russie. 56 % des cas de décès reliés au sida se situent en Russie et 24 % en Ukraine. C’est aussi une région où la mortalité remonte également avec les contaminations, ce qui, dans le cadre de la quête de la fin du sida, est inacceptable", développe l’ancien directeur du Fonds mondial. Notamment quand cela concerne des groupes stigmatisés et criminalisés dans la région, ce qui révèle la faible fiabilité des rapports officiels des autorités et leur véracité, notamment concernant le fardeau de l’épidémie porté par les travailleurs-euses du sexe. En Russie, 50 % des cas concernent des usagers de drogues. Avec une nouvelle population concernée : les migrants qui se déplacent pendulairement au sein de la fédération de Russie. Il y a aussi les personnes déplacées depuis l’annexion de la Crimée. "Ces chiffres sont notamment dus aux mauvaise lois [stigmatisantes et pénalisant les minorités] qui ne permettent pas de répondre à l’épidémie et d’atteindre les personnes concernées. Je suis peu confiant quant à la réussite d’inverser cette tendance", déplore Michel Kazatchkine. Pas d’éducation sexuelle, pas de capotes, pas de traitements de substitution, quasiment rien de financé par les autorités, et les rares choses faites sont menées par des ONG très courageuses, mais fragiles. C’est l’une des raisons qui alimente si fortement l’épidémie.

Des choses positives ?

Mais, dans cet océan de mauvaises nouvelles, quelques courants contraires sont visibles. Bizarrement, le responsable du Centre fédéral sur le sida en Russie, Vadim Podrovski, tient à revenir sur quelques avancées faites par le gouvernement russe. "En Russie, il y a des choses positives et négatives à dire. Le gouvernement a augmenté les financements pour le sida de 18 à 30 millions de roubles l’année dernière. Avec une volonté de traiter les personnes séropositives dépistées et d'augmenter leur nombre de 300 000 à 380 000 personnes sous traitement l’année dernière". Mais évidemment, cela ne peut faire de l’ombre à l’effarant abandon des groupes les plus vulnérables : "il y a des difficultés à accéder aux traitements pour les groupes les plus à risques", reconnait-il. Mais il y a, selon Vadim Podrovski, un signal positif en termes de soutien financier pour des programmes : "il va y avoir un essai de Prep qui doit se lancer à la fin de l'année et on espère pouvoir inclure le plus de personnes qui en ont besoin. Il y aura des guidelines l’année prochaine là-dessus.

Évidemment, tout cela reste très politique et tous les gouvernements devront se livrer à d'énormes actions pour changer les choses, sinon cela aura un énorme coût en termes de population. Michel Kazatchkine veut, avec l’exemple Russe, rester optimiste. "Récemment, Poutine a parlé de santé mondiale et publique concernant la Tuberculose et je pense que celle-ci est leur porte d’entrée pour lutter contre le VIH. La Russie commence seulement son implication dans la réponse à la santé mondiale", affirme-t-il encore.

Mais il y a définitivement urgence dans la région à accélérer la riposte, et cela passera par l’argent. Un argent qui viendra, vu son fonctionnement actuel, de moins en moins du Fonds mondial. "C’est la responsabilité des gouvernements d’investir et ils doivent prendre la suite des financements internationaux", défend Kazatchkine. Et là aussi, rien n’est acquis. En 2017, la couverture globale en traitements ARV en Russie plafonnait à 38 %.