VIH en France : données stables, mais fragiles

Publié par Fred Lebreton le 29.11.2022
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ChiffresVIHépidémiologie

Comme chaque année, à l’occasion du 1er décembre, Journée mondiale de lutte contre le sida, Santé publique France (SPF) a communiqué les chiffres de l’épidémie de VIH et des IST en France. Des données stables, mais de plus en plus fragiles. Décryptage.

« Environ » 5 000 découvertes de VIH

« Environ » 5 000 découvertes de séropositivité au VIH ont eu lieu en 2021 en France. Tout est dans le mot « environ », écrit, noir sur blanc, sur la diapositive de Santé publique France (SpF). Françoise Cazein, épidémiologiste chez SpF, explique comment ses équipes sont arrivées à ce chiffre. Les chiffres des découvertes sont récoltés à l’aide d’outils de collecte de données médicales, tels que le Système national des données de santé (SNDS) et l’enquête LaboVIH pour le dépistage en laboratoire de ville. À partir des 2 917 déclarations reçues par Santé publique France, ce qu’on appelle des données brutes, les équipes de SpF ont corrigé la sous-déclaration pour arriver à une estimation de 5 013 découvertes de VIH en 2021. Un nombre stable par rapport à 2020 (4 856 découvertes). Cette stabilité fait suite à une forte diminution entre 2019 et 2020 (-22 %), expliquée en partie par la diminution de l’activité de dépistage avec la crise de la Covid-19, mais possiblement aussi par une moindre exposition au VIH liée aux mesures de distanciation sociale, explique SpF.

Comment expliquer cette fragilité dans le système surveillance du VIH en France ? La réponse est multifactorielle selon SpF. Bien sûr, il y a l’impact de la crise sanitaire de la Covid-19 qui a continué de mobiliser tout le système de santé en 2021, mais ce problème d’exhaustivité des données VIH remonte à bien avant l’apparition de la Covid-19. En cause, la fameuse déclaration obligatoire (DO), un service en ligne où chaque nouveau diagnostic de séropositivité au VIH doit être renseigné par les biologistes et les cliniciens-nes. Comme chaque année, SpF pointe du doigt une sous déclaration plus au moins importante, selon les régions. En 2021, le niveau de complétude des DO n’a jamais été aussi faible, explique l’épidémiologiste. Au niveau national, 59 % des DO ont été renseignées par les biologistes et les cliniciens-nes. Par ailleurs, le taux de participation des laboratoires de biologie médicale à l’enquête LaboVIH est de 66 % en 2021, en baisse par rapport aux années précédentes (72 % en 2019 et 2020, 81% en 2018 et entre 85 % et 89 % jusqu’en 2017).

Le dépistage reprend… doucement

Tout n’est pas si noir… Le dépistage a repris en 2021 et les premières données du premier semestre 2022 dépassent celles du premier semestre 2019, un signe encourageant. En 2021, 5,7 millions de sérologies VIH ont été réalisées par les laboratoires de biologie médicale. L’activité de dépistage du VIH, qui avait diminué de 13 % entre 2019 et 2020 en lien avec l’épidémie de Covid-19, a ré-augmenté en 2021 (+8 % par rapport à 2020), sans toutefois retrouver le niveau de 2019. Les données du SNDS montrent que le nombre de tests de dépistage du VIH remboursés (hors tests gratuits et hors hospitalisation publique), suit des tendances annuelles proches de celles issues de LaboVIH. Au 1er semestre 2022, le nombre de dépistages remboursés rattrape et dépasse de 5 % celui du 2e semestre 2019 (extraction Santé publique France en novembre 2022).

Par ailleurs, depuis janvier 2022, le dépistage du VIH en laboratoire de biologie médicale, sans ordonnance, sans rendez-vous et sans avance de frais (VIHTest) concerne tous les assurés-es sociaux et leurs ayants droit, dont les bénéficiaires de l’aide médicale d’État (AME). De janvier à septembre 2022, 157 803 tests ont été remboursés dans le cadre de ce dispositif (source SNDS, extraction CNAM, novembre 2022), concernant à parts égales hommes et femmes. Malheureusement, SpF ne dispose pas des données de découvertes VIH sur VIHtest, donc il est difficile de savoir si ce nouveau dispositif touche les personnes les plus exposées au VIH.

Enfin, Santé publique France a communiqué sur les données de ventes d’autotests VIH par les pharmacies, incluant les ventes en ligne. Après une diminution de 22 % des ventes entre 2019 et 2020 (de 79 500 à 62 300), les ventes ont augmenté de 3 % en 2021 (environ 64 100 autotests vendus).

Qui est concerné-e ?

Quels sont les groupes ou populations les plus concernés par les découvertes de VIH en France, en 2021 ? Sur la base des estimations produites, les hommes représentaient 69 % des découvertes de séropositivité VIH en 2021, les femmes 29 % et les personnes trans 2 %. La proportion de femmes, qui avait augmenté jusqu’en 2019 (33 %), a diminué les deux années suivantes (29 % en 2020 et 2021). La proportion de personnes trans a augmenté progressivement depuis quelques années (0,6 % en 2016 à 1,9 % en 2021). Les principaux modes de transmission des personnes ayant découvert leur séropositivité en 2021 étaient les rapports hétérosexuels (51 %) et les rapports sexuels entre hommes (44 %) chez des personnes cis. Le nombre d’infections était plus rarement lié à des rapports sexuels chez des personnes trans (2 %) et à l’usage de drogues injectables (1 %). Les enfants de moins de 15 ans diagnostiqués-es pour une infection à VIH entre 2010 et 2021 représentent un peu moins de 1 % de l’ensemble des diagnostics sur cette période. La plupart d’entre eux-elles (90 %) ont contracté le VIH par transmission mère-enfant (TME), 5 % par transfusion sanguine dans un pays autre que la France et 4 % lors de rapports hétérosexuels. Parmi les enfants contaminés par TME, près d’un tiers était né en France.

La moitié des découvertes en 2021 (51 %) concernait des personnes nées à l’étranger, dont 32 % étaient nées en Afrique subsaharienne, 7 % sur le continent américain, 5 % en Europe et 7 % dans une autre zone géographique. Les femmes cis et les personnes trans étaient plus souvent nées à l’étranger que les hommes cis (respectivement 77 % et 69 % vs 39 %). La majorité des personnes contaminées par rapports hétérosexuels était née à l’étranger (70 %), dont 76 % en Afrique subsaharienne. Parmi les HSH, 27 % étaient nés à l’étranger, dont 33 % en Afrique subsaharienne, 24 % sur le continent américain, 15 % en Europe et 28 % dans une autre zone géographique. Parmi les UDI, 54 % étaient nés-es à l’étranger, principalement en Europe (70 %). Parmi les personnes trans nées à l’étranger, 63 % étaient nées sur le continent américain. Après une diminution du nombre de découvertes de séropositivité VIH entre 2019 et 2020, beaucoup plus marquée chez les personnes nées à l’étranger (-28 %) que chez celles nées en France (-14 %), le nombre de découvertes s’est stabilisé en 2021, quelle que soit la population considérée. En revanche, l’évolution depuis 2012 diffère selon les populations : une diminution est observée jusqu’en 2020 chez les HSH nés en France, ainsi que chez les hétérosexuels-les nés-es en France. Inversement, une augmentation est observée chez les HSH nés à l’étranger et chez les personnes trans infectées par voie sexuelle. Un point très intéressant soulevé par France Lert (présidente de Vers Paris Sans Sida) pendant la présentation de ces données : depuis la crise sanitaire, les étrangers-ères sont moins arrivés-es en France (étudiants-es, travailleurs-ses, réunification familiale mais aussi personnes arrivées sans titre de séjour). Comment en apprécier l'impact sur l'épidémie ? SpF n’a pas de réponse précise, mais admet un impact possible du à une baisse des flux migratoires notamment en provenance d’Afrique subsaharienne.

29 % de diagnostics tardifs

Autre donnée intéressante, les personnes ayant découvert leur séropositivité en 2021 avaient un âge médian de 37 ans : 15 % étaient âgées de moins de 25 ans, 62 % de 25 à 49 ans et 23 % de 50 ans et plus. La proportion des plus de 50 ans, qui s’était stabilisée autour de 20 % entre 2014 et 2017, a eu tendance à augmenter depuis. La part des moins de 25 ans est stable depuis 2017.

Par ailleurs et c’est une donnée inquiétante, en 2021, 29 % des infections à VIH ont été découvertes à un stade avancé de l’infection (moins de 200 CD4/mm3 ou stade sida). Une proportion qui ne diminue pas depuis plusieurs années, ce qui constitue une perte de chance en termes de prise en charge individuelle, et un risque de transmission du VIH aux partenaires. Le nombre de diagnostics de sida en France en 2021 a été estimé à 1 062. Ce nombre, qui avait diminué jusqu’en 2018 pour atteindre 1 031, se stabilise depuis. Les personnes diagnostiquées en stade sida en 2021 avaient un âge médian de 47 ans. Parmi elles, 62 % ignoraient leur séropositivité (proportion stable depuis 2019), et donc n’avaient pu bénéficier d’ARV et 17 % connaissaient leur séropositivité, mais n’avaient pas été traitées par ARV. Seules 17 % avaient reçu des ARV. L’ignorance de la séropositivité avant le diagnostic du stade sida concernait 70 % des HSH, 56 % des hétérosexuels-les et 33 % des UDI. Enfin, le taux des diagnostics précoces est lui aussi en diminution (il est passé de 31 % en 2015 à 24 % en 2021).

Sidep, l’avenir de la surveillance VIH ?

En conclusion, SpF précise que dans un contexte d’augmentation continue de l’activité de dépistage du VIH et des IST jusqu’en 2019, une baisse avait été observée en 2020, liée à l’épidémie de Covid-19. En 2021, une ré-augmentation a été observée pour l’ensemble de ces dépistages, permettant de retrouver le niveau de 2019 pour les IST, mais restant encore inférieur au niveau de 2019 pour le VIH. SpF insiste sur l’importance de remobiliser les professionnels-les de santé et les populations clés sur l’importance du dépistage du VIH et des IST. Un dépistage précoce des personnes et de leurs partenaires, suivi d’une mise sous traitement rapide, est indispensable pour briser les chaines de transmission, affirme l’agence nationale de santé publique. Par ailleurs, suite à la forte baisse de l’exhaustivité des données de surveillance des dernières années, celle-ci doit absolument être améliorée, afin de pouvoir disposer d’indicateurs robustes au niveau national et territorial, indispensables au suivi de la stratégie nationale de santé sexuelle 2017-2030, conclue SpF.

En point presse le 24 novembre, Seronet a interrogé SpF sur la possibilité d’intégrer le dépistage du VIH au Sidep (Système d'information de dépistage populationnel), un système de surveillance qui vise au suivi exhaustif de l'ensemble des tests effectués en France dans les laboratoires de ville et dans les laboratoires hospitaliers pour la recherche du Sars-CoV-2. Réponse de Florence Lot, responsable de l’unité VIH, hépatites et IST de SpF : « C’est l’avenir de la surveillance et cela permettrait de ne plus avoir à réaliser ces enquêtes auprès des laboratoires et avoir une exhaustivité sur la surveillance du dépistage. Clairement, c’est un objectif poursuivi, mais le dossier avance lentement car d’autres pathologies sont également intéressées par ce système. Ça ne va pas démarrer immédiatement pour le VIH ». Une réponse un peu frustrante pour les acteurs-rices de la lutte contre le VIH et comme le sentiment que le système de surveillance du VIH en France est à bout de souffle, embolisé par la crise sanitaire ou encore la récente crise du Monkeypox. Quelques jours avant cette présentation, Eve Plenel, directrice de la Santé publique de la ville de Paris, tirait la sonnette d’alarme lors du congrès de la SFLS : « Mon seul regret étant peut être qu’on est encore un peu aveugle sur la dynamique de l’épidémie en France sur ces trois dernières années (…). On manque d’une vision fine de ce qui s’est réellement passé depuis trois ans. On est dans un moment où la lecture de l’épidémie est difficile ». Elle n’a pas tort et cette présentation a donné l’impression, à demi-mots, d’une inquiétude, voire d’un appel au secours des équipes de Santé publique France qui semblent manquer de moyens humains et financiers pour accomplir correctement leur mission de surveillance du VIH et des IST. De quoi alimenter le plaidoyer des associations.

 

IST : le dépistage et l’incidence à la hausse
- Chlamydia : en 2021, 2,3 millions de personnes ont bénéficié au moins une fois d’un dépistage remboursé d’une infection à Chlamydia trachomatis. Après une diminution en 2020, le taux de dépistage a ré-augmenté en 2021 pour atteindre un niveau supérieur à celui de 2019 (+9 %). Plus des deux tiers des personnes testées étaient des femmes (70 %). Quel que soit le lieu de diagnostic, la très grande majorité des personnes avaient été contaminées par rapports hétérosexuels (pour environ 80 % d’entre elles).
- Gonocoque : en 2021, 2,7 millions de personnes ont bénéficié au moins une fois d’un dépistage remboursé d’une infection à gonocoque. Après une diminution en 2020, le taux de dépistage a ré-augmenté en 2021 pour atteindre un niveau supérieur à celui de 2019 (+6 %). Les trois-quarts des personnes testées étaient des femmes. Les HSH représentent la majorité des cas (70 % en Cegidd et 53 % en médecine générale).
- Syphilis : en 2021, 2,8 millions de personnes ont bénéficié au moins une fois d’un dépistage remboursé de la syphilis. Après une diminution en 2020, le taux de dépistage a ré-augmenté en 2021 pour atteindre un niveau légèrement supérieur à celui de 2019 (+3 %). Les deux tiers des personnes testées étaient des femmes. Les HSH représentent la majorité des cas (78 % en Cegidd et 73 % en médecine générale).
En conclusion, une ré-augmentation du dépistage des trois principales IST bactériennes au-delà du niveau de 2019 (sauf en Cegidd) et donc une augmentation du nombre de diagnostics (qui cherche trouve ?). SpF insiste sur la nécessité de poursuivre les efforts pour renforcer le dépistage, notamment en Cegidd.

 

La Prep augmente chez les HSH
Annie Velter, socio-démographe chez Santé publique France, a présenté les résultats du dernier volet de l’enquête Santé-Sexualité-Prévention « Rapport au sexe » (Eras) à destination des hommes ayant des rapports sexuels avec des hommes (HSH). L’édition 2021 s’est déroulée du 26 février au 9 avril 2021 sur un site internet dédié. Les conditions pour participer à cette enquête : être un homme âgé de 18 ans et plus qui a des rapports sexuels avec des hommes. Le questionnaire auto-administré demandait (entre autres) : « Lors de votre dernier rapport sexuel, quel outil de protection avez-vous utilisé (préservatif, Tasp, Prep, aucun) ? »
Au total, 18 474 personnes ont répondu en 2021, dont 15 506 qui se définissaient comme HSH, 14 475 qui ont déclaré un statut sérologique séronégatif et 3 866 qui déclaraient une pratique anale lors du dernier rapport sexuel. Sur ces 3 866 personnes, 966 étaient prépeurs et 2 900 non-prépeurs. Parmi les caractères sociodémographiques des 966 prépeurs, l’âge médian était de 37 ans ; 9 % déclaraient être nés à l’étranger ; 81 % déclaraient un niveau d’étude supérieur au bac et 56 % vivaient dans de grandes villes (plus de 100 000 habitants-es) dont 44 % en Île-de-France. Le profil de ces prépeurs était donc des hommes gays ou bisexuels, plutôt urbains et qui déclaraient à 62 % une situation financière confortable. Au niveau de la sexualité, 90 % des prépeurs s’identifiaient comme appartenant à la communauté gay (contre 71 % pour les non-prépeurs) ; 99 % utilisaient des applis de rencontres gays, 83 % fréquentaient des lieux de convivialité sexuelle entre hommes de type saunas ou backrooms ; 29 % étaient dans une relation stable avec un homme et 20 % avaient pratiqué du chemsex lors de leur dernier rapport sexuel (contre 4 % pour les non-prépeurs). Le nombre moyen de partenaires sexuels dans les six derniers mois était de 10 pour les prépeurs (contre 3 pour les non-prépeurs) et le nombre moyen de dépistages VIH dans les douze derniers mois était de 4 (contre 2 pour les non-prépeurs). Enfin 25,2 % déclaraient avoir utilisé la Prep lors du dernier rapport sexuel anal avec un partenaire occasionnel. Un chiffre qui augmente au fil des enquêtes Eras (6,3 % en 2017 et 15,8 % en 2019). En conclusion, cette enquête montre un échantillon important de prépeurs avec des profils diversifiés, mais les résultats ne sont pas représentatifs de l’ensemble des HSH, a expliqué Annie Velter.