VIH et charge virale : l'indétectabilité pose questions
Ces derniers mois, les débats sur la charge virale, l'indétectabilité et la transmission, ont permis de poser de nouveaux jalons concernant la prévention et la sexualité. Dans ce contexte, le site Femmes et sida (CNRS et Inist) s'est posé la question de savoir si la notion d'indétectabilité était ou non en train de modifier les "constructions de la maladie". Le site y a consacré un article. Présentation.

Aujourd'hui, l'objectif médical dans la prise en charge du VIH est, pour simplifier, de permettre l'obtention rapide d'une charge virale indétectable dans le sang et de restaurer le système immunitaire. Dans son article, le site Femmes et sida constate que la "notion d’indétectabilité (…) semble aujourd’hui centrale dans le discours biomédical" et, de ce fait, qu'elle modifie les constructions mentales que les personnes touchées se font du VIH en général et de la maladie telle qu'ils la vivent. Femmes et sida avance même l'hypothèse que cela "affecte la relation médecin/patient".
Comme il vaut toujours mieux définir les concepts sur lesquels on base une théorie, Femmes et sida rappelle que "la charge virale représente la quantité de virus présente dans le sang" (on parle en langage scientifique de charge virale plasmatique). L'objectif principal du traitement anti-VIH est "d’empêcher la progression vers le sida" et pour cela de permettre à la personne de rester au dessus de 500 T4/mm3 ou, si la personne n'a pas autant de T4, d'en restaurer le nombre pour tendre vers cet objectif. Pour atteindre cet objectif, le traitement anti-VIH doit rendre la charge virale dans le sang indétectable, c'est-à-dire inférieure à 40 ou 50 copies/ml en fonction des tests utilisés par les labos en France. Ce qui est attendu d'un traitement qui marche, c'est une "meilleure restauration immunitaire", une limitation des résistances, une remontée des T4, moins de problèmes de santé, un succès du traitement sur le long terme et donc une amélioration globale de la santé. Tout cela, on peut le retrouver développé dans le Rapport d'Experts dirigé par le professeur Yeni. Voilà pour le contexte de la prise en charge.
Femmes et sida explique que la charge virale constitue donc "le critère biomédical objectif dominant dans le traitement du VIH." Ceci est d'ailleurs autant valable pour le médecin que pour la personne qui est soignée. Ce critère actuel dominant qui définit le succès ou l’échec du traitement est, on s'en doute, indispensable, très utile, mais, c'est la thèse de Femmes et sida, il n'a pas que des qualités. Soyons clair, il ne s'agit pas de remettre en cause la pertinence d'avoir une charge virale indétectable, mais de se demander si la place dominante et parfois exclusive de ce critère ne comporte pas un "danger de réductionnisme". Pour Femmes et sida, ce danger, c'est que la complexité de la maladie soit occultée car "réduite à un déterminant immuno-virologique bien défini." Du côté du médecin, il y a le risque que seule la charge virale indétectable compte et peut importe les moyens employés et leurs conséquences (effets indésirables, médiocre qualité de vie…) chez la personne soignée. Ce "réductionnisme" estime Femmes et sida peut avoir pour conséquence (beaucoup de personnes suivies s'en plaignent d'ailleurs déjà) des consultations écourtées ou bâclées sur le mode : "Si c'est indétectable, pas besoin d'aller voir plus loin". Il peut aussi conforter le médecin dans son rôle d'expert omniscient satisfait de sa réussite cette fois sur le mode "Mon malade est indétectable. Je suis le meilleur !" On le voit des perspectives peu réjouissantes pour qui attache de l'importance à une relation entre malade et médecin qui tienne plus du partenariat que de la domination.
Du côté de la personne soignée aussi, cette question de l'indétectabilité aurait des conséquences. Certaines bonnes comme la satisfaction d'avoir "un état de santé satisfaisant", plus d'armes pour lutter contre le sentiment de honte ou de culpabilité que certaines personnes ressentent ou encore une amélioration des "rapports avec l’entourage puisque le statut de malade, atténué, ne sera rappelé que par la prise des médicaments et le suivi clinique". D'autres sont moins bonnes. Femmes et sida parle ainsi du décalage qui peut exister entre une normalisation thérapeutique (le traitement marche) et une vie psychologique, sociale ou affective très difficile. Il y a aussi, on l'a vu, le sentiment de ne pas être écouté dans ses demandes par le médecin. L'article du site avance aussi l'idée que "le sentiment de guérison et de non infectiosité pourrait jouer sur la réévaluation [par le personne soignée] des stratégies de prévention et de prise de risque dans sa vie sexuelle." Ce qui, du reste, ne se pose pas forcément ni uniquement comme un inconvénient. L'avis du Conseil national du sida estime ainsi qu'il s'agit plutôt d'une chance ou d'une bouffée d'air pour les personnes séropositives.
Enfin, Femmes et sida estime que la "notion d’indétectabilité pourrait modifier la représentation du VIH sur le plan socio-culturel et notamment dans les médias. L’infection à VIH/sida pourrait se voir banalisée et en perdant son caractère de gravité, aboutir à une notion de moindre nécessité de la prévention". Peut-être, mais tout indique que c'est déjà ce qui est à l'œuvre depuis l'arrivée des trithérapies en 1996 et bien avant que la question de la charge virale indétectable soit aussi dominante qu'actuellement.
Par ailleurs, "L’indétectabilité étant souvent associée à la notion de non-infectiosité aurait des conséquences sur les conceptions du droit et de la responsabilité et donc sur les décisions de justice", pointe l'article.
Comme on le voit, la question de l'indétectabilité est marquée par une certaine ambivalence. C'est d'un côté un gain médical majeur. De l'autre, le risque d'une réduction de la maladie à un seul paramètre biologique avec toutes les conséquences sur la relation entre la personne malade et son médecin. Le débat est ouvert.
Plus d'infos sur http://femmesida.veille.inist.fr/
Femmes et sida conseille pour aller plus loin de lire dans la presse scientifique :
Nouveaux traitements et indétectabilité du VIH. Un risque dans la relation médecin-patient ? ; B. Lebouché, J.J. Levy ; Médecine et Maladies Infectieuses, Volume 39, Issue 10, Supplement 2, October 2009, Pages H8-H11.
Photo : Jonathan Phillip
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Commentaires
ça me fait peur... Mais j'ai du rien comprendre !
Bien dit
Cet article de Femmes et sida montre très bien ce qui se passe lors des rendez-vous de bilan des personnes séropositives, en général. Effectivement, le "tout indétectable" cher aux médecins les transforme en Superman et Superwoman qui en oublient souvent la qualité de vie du patient infecté. Et de bâcler donc le côté psychologique de la personne parfois traumatisée longtemps par cette infection qu'on veut lui faire croire presque "banale". Et de minimiser aussi souvent les effets indésirables qui parfois rendent la prise de traitement un enfer ... jusqu'à parfois l'abandon pur et simple du traitement par le patient, ce qui est gravissime ... Ce qui me permet de rebondir sur le billet que j'ai posté il y a déjà quelques semaines de l'association Actions Traitements qui mène une enquête dans ce sens auprès des pvvih dans leur relation avec leur médecin, et qui reste d'actualié, pour celles et ceux qui l'auraient manqué !
http://www.seronet.info/billet_forum/appel-temoins-18316
« Le but est le chemin lui-même. L'éternité est ici. » Soyons nous-mêmes, en toute circonstance.
Sida et "représentations"
Quelques passages que je souligne :
J'avais évoqué il y a quelques mois que dans certains pays d'Afrique où les tests biologiques ne pouvaient pas être prescrits en routine, les médecins parvenaient cependant à assurer une prise en charge d'aussi bonne qualité grâce notamment aux examens cliniques approfondis. L'idéal bien sûr, c'est de s'adresser en France à des infectiologues qui ne rivent pas toute leur pratique sur ces résultats biologiques mais qui accordent autant d'importance à l'examen clinique. Je crois qu'un infectiologue qui reste derrière son clavier durant une consultation et qui ne touche pas le malade n'est sans doute pas l'infectiologue qui convient.
Comme je l'ai déjà indiqué à plusieurs reprises, cela montre aussi que l'histoire du sida, c'est également et peut-être surtout l'histoire des représentations que se font les médecins de la maladie et de son suivi, que s'en font également les malades (quand la maladie commence-t-elle ? par exemple), que s'en fait aussi la société... C'est ce que met bien en évidence cet article de Femmes et sida :
La "notion d’indétectabilité pourrait modifier la représentation du VIH sur le plan socio-culturel ."
Il est clair que si on regarde l'histoire du sida, chaque évolution dans la connaissance du virus et dans la prise en charge de la maladie a fait évoluer ces représentations socio-culturelles mais aussi la connaissance scientifique de la maladie. Et c'est le moteur même de la connaissance que de faire progresser les représentations. Il n'y a que de très rares vérités scientifiques définitives...
Les "représentations", c'est ce que l'inventeur de l'épistémologie, Bachelard, nomme les obstacles épistémologiques. Dès le début de son ouvrage fondateur La formation de l'esprit scientifique paru en 1938, Bachelard y définit ainsi l'obstacle épistémologique :
« Quand on cherche les conditions psychologiques des progrès de la science, on arrive bientôt à cette conviction que c'est en termes d'obstacles qu'il faut poser le problème de la connaissance scientifique. Et il ne s'agit pas de considérer des obstacles externes, comme la complexité et la fugacité des phénomènes, ni d'incriminer la faiblesse des sens et de l'esprit humain : c'est dans l'acte même de connaître, intimement, qu'apparaissent, par une sorte de nécessité fonctionnelle, des lenteurs et des troubles. C'est là que nous montrerons des causes de stagnation et même de régression, c'est là que nous décèlerons des causes d'inertie que nous appellerons des obstacles épistémologiques. La connaissance du réel est une lumière qui projette toujours quelque part des ombres. Elle n'est jamais immédiate et pleine. Les révélations du réel sont toujours récurrentes. Le réel n'est jamais « ce qu'on pourrait croire » mais il est toujours ce qu'on aurait dû penser. La pensée empirique est claire, après coup, quand l'appareil des raisons a été mis au point. En revenant sur un passé d'erreurs, on trouve la vérité en un véritable repentir intellectuel. En fait, on connaît contre une connaissance antérieure, en détruisant des connaissances mal faites, en surmontant ce qui, dans l'esprit même, fait obstacle à la spiritualisation.
L'idée de partir de zéro pour fonder et accroître son bien ne peut venir que dans des cultures de simple juxtaposition où un fait connu est immédiatement une richesse. Mais devant le mystère du réel, l'âme ne peut se faire, par décret, ingénue. Il est alors impossible de faire d'un seul coup table rase des connaissances usuelles. Face au réel, ce qu'on croit savoir clairement offusque ce qu'on devrait savoir. Quand il se présente à la culture scientifique, l'esprit n'est jamais jeune. Il est même très vieux, car il a l'âge de ses préjugés. Accéder à la science, c'est, spirituellement, rajeunir, c'est accepter une mutation brusque qui doit contredire un passé."
Pour ceux que cela intéresse, ils pourront retrouver des passages plus importants de cet ouvrage sur internet. Voici un lien pour le passage in extenso ci-dessus :
- http://pst.chez-alice.fr/svtiufm/obstaepi.htm
Et pour corser le tout et juste pour illustrer la complexité quand il s'agit de faire avancer les "représentations", un schéma complexe qui indique comment les enseignants essaient de faire apprendre, c'est-à-dire de faire évoluer les "représentations" de leurs élèves afin qu'ils accèdent progressivement à des connaissances, désespérément toujours temporaires :Fier, exigeant et égoïste
A nous de jouer!
Je viens de lire votre commentaire et je me
Si tu y crois vraiment....
variation de t4
@ Murielle,
"Même sans espoir, la lutte est encore un espoir."
Ne soyez pas si catégorique. Pour toute forme de maladie, le morale et le bien être sont des facteurs utiles à un meilleur déroulement, en cela, de mon point de vu, elle a raison.
Les médecins qui l'encouragent ne sont pas forcément des charlatans, mais ils savent, sans doute, que dans le cadre de notre séropositivité il est préférable de garder de l'espoir.
Je n'ai pas lu dans son intervention qu'elle avait arrêté le traitement et qu'elle se soignait uniquement avec cette méthode, puisqu'elle dit voir ces médecins.
Ne soyez pas prompt à y aller trop fort, je ne jurerais pas sur le taux de réussite d'une telle attitude.
Moi aussi, je crois à une guérison, même si ma foi se base davantage sur la recherche et la médecine. Mais comme Murielle, j'adopte la positive attitude, car il m'est évident que je m'en porterais que mieux.
amicalement,
Kalisha Ka !
"Même sans espoir, la lutte est encore un espoir." Romain Rolland
Je me dois de lutter...
Nous esperons tous
Attention .....je tiens a préciser ....
Oki avec DBOY30
Bien dit DBOY30, comme lui je pense que tu dois continuer a te faire suivre régulierement par un medecin spé hiv et continuer les prises de sang.
Perso, ça fait au moins 10ans que ma CV est indetectable et mes cd4 n'on pas remonter d'un pouce pour autan...
je vous dirais m'en porte pas plus mal et comme dit frabro, il fut un temps ou la cv importait peu et la qualité de vie aussi car seul le fait de le rester comptait...
Elle se soigne comme elle veut...
le danger moi je le vois
c'est que la spiritualité ne soigne pas! par contre, la folie protège en quelques sortes, pendant un temps plus ou moins long!
J'en ai fait l'expérience, voici: je suis restée 7 ans avec ce secret; ce vrai secret, vu que je n'avais pas été avertie du test, je ne POUVAIS pas l'annoncer à mon entourage. Mes T4 se maintenaient à 700 environs et puis j'ai entrepris une psychothérapie, et mon médecin m'a bienheureusement encouragée à le dire, et mes T4 ont chuté à... 250. D'un coup. En 95.
Et là, j'ai entrepris ma première thérapie: maintenant et depuis longtemps, charge indétectable, T4 entre 8 et 900, tout va BIEN, et ma tête aussi.
Tout ça pour expliquer que c'est sûr le cerveau est fort, mais toujours un petit caillou viendra tout foutre en l'air...
Ceci dit , moi j'aimerais bien savoir de la bouche de la mystérieuse Murielle ce qu'il en est de son expérience (par exemple si elle est en thérapie?)
Effectivement
pas d 'amalgame