VIH et Covid-19 : pas tous-tes égaux-les !

Publié par Fred Lebreton et Bruno Spire le 09.03.2021
3 496 lectures
Notez l'article : 
5
 
0
ConférencesCroi 2021

Selon une projection annoncée à la Croi, d’ici 2030, un quart des personnes vivant avec le VIH aux États-Unis auront plus de 65 ans et devront faire face à plusieurs comorbidités. Nous le savons : les personnes vivant avec le VIH ne sont pas toutes égales face au virus. Il en est de même pour la Covid-19. Le genre, l’âge, l’origine sociale et ethnique et les comorbidités sont autant de facteurs qui ont une influence sur les formes sévères et la mortalité liées à la Covid-19 et sur les complications liées au vieillissement avec le VIH. C’est ce qu’ont démontré plusieurs présentations lors de cette seconde journée de la Croi 2021, en édition virtuelle.

Deux virus, mêmes inégalités

En plénière de cette seconde journée de la Croi, le Dr James Hildreth (Nashville, États-Unis) est revenu sur les ressemblances frappantes dans les inégalités en santé pour les minorités ethniques face au VIH et à la Covid-19 aux États-Unis. Dans sa présentation, l’éminent immunologiste a rappelé qu’au tout début des années 1980, le VIH/sida était identifié comme une « maladie gay » avec tous les stigmates, l’homophobie et le déni du gouvernement républicain de l’époque (les années Reagan) qui allaient avec. En 1987, année où le président Reagan a prononcé le mot « sida » pour la première fois, il y avait 60 000 personnes infectées par le VIH aux États-Unis et on comptait déjà 28 000 morts. Entre 1985 et 1995, les diagnostics en stade sida ont augmenté de façon constante dans les communautés afro-américaines et hispaniques tandis qu’ils ont diminué chez les personnes blanches. Le dépistage trop tardif du VIH et un accès inégal à la santé peuvent expliquer cette disparité. Près de 40 ans après les premiers cas de sida identifiés (juin 1981), les minorités ethniques sont toujours touchées par le VIH de façon disproportionnée. Elles représentent aujourd’hui 55 % des nouvelles infections aux États-Unis en particulier chez les hommes gays et bisexuels noirs et latinos.

Pour la Covid-19, le déni politicien a été très similaire avec le président Trump (républicain, lui aussi) qui affirmait : « Tout est sous contrôle », au moment où le nombre de cas explosait aux États-Unis. En Chine, 70 % des personnes décédées des suites de la Covid-19 avaient une comorbidité, ce qui explique une mortalité plus élevée dans les minorités ethniques américaines où la prévalence des comorbidités est plus élevée (maladies cardiovasculaires, obésité, diabète, etc.), explique James Hildreth. Par ailleurs, les différences interethniques de mortalité liées à la Covid-19 sont importantes dans les États les plus pauvres des États-Unis avec, par exemple, dix fois plus de décès chez les Noirs-es comparés aux Blancs-hes dans le Michigan. « Ce n’est pas une exagération d’affirmer que la Covid-19 a été dévastatrice pour les personnes de couleur », déplore le Dr James Hildreth.

Pour lui, les facteurs clés de ces inégalités résident dans les déterminants sociaux de la santé : l’accès à l’éducation, aux soins de qualité, à un environnement de vie stable ou encore à des contacts sociaux et un statut économique. Il prend pour exemple les familles vivant dans des foyers multi générationnels avec des grands-parents qui vivent avec leurs enfants et petits-enfants dans des espaces exigus et qui sont très exposés à une forme sévère de la Covid-19 ou encore la surpopulation en prison où le taux de personnes noires et hispaniques incarcérées est largement supérieur.

L’immunologue poursuit sa présentation sur la sous-représentation des médecins noirs (5 % aujourd’hui alors que les personnes noires représentent 13 % de la population américaine) et la sous-dotation des médecins noirs dans les quartiers avec une forte densité de la communauté afro-américaine. « Il est nécessaire d’atteindre une équité dans l’accès aux soins en adaptant le système en faveur de ceux qui en ont le plus besoin », conclue le Dr James Hildreth. Ces deux épidémies doivent servir de plaidoyer pour combler le fossé entre les différentes populations afin que chacun-e puisse être traité-e en fonction de ses besoins. Pour cela, il faut une coordination entre les différentes institutions publiques.

(Mieux) vieillir avec le VIH

Alors que l’allègement thérapeutique et les antirétroviraux (ARV) à longue durée d’action viennent révolutionner la prise en charge des personnes vivant avec le VIH, se pose la question du vieillissement : quels sont les effets des traitements anti-VIH sur le long terme et comment prévenir certaines comorbidités ? C’était tout l’enjeu d’une série de présentations lors du deuxième jour de la Croi.

Les personnes vivant avec le VIH ont un risque plus élevé de perte osseuse et de fracture, en particulier après initiation des ARV où la perte de masse osseuse se situe entre 2 et 6 %, au niveau des hanches ou des vertèbres. Certaines cytokines (1) pourraient être responsables de cet effet indésirable, déclenché par les ARV. L’alendronate (2) (prescrit chez les femmes à la ménopause)  pourrait empêcher l’action des cytokines. Dans l’essai, on a administré pendant 14 semaines 70 mg d’alendronate à 26 personnes en comparant avec 24 personnes qui avaient un placebo au moment où l’on initiait les ARV. Après 50 semaines, il y a eu 2,7 % de perte osseuse mesurée sur les hanches chez les personnes ayant le placebo contre un gain de 0,5 % chez celles ayant pris l’alendronate. Une petite perte osseuse a été observée au niveau des vertèbres, mais moins qu’avec le placebo. Il n y a pas eu d’effets indésirables particuliers sauf pour une seule personne. Cet essai est encourageant, mais nécessite d’être testé chez un plus grand nombre de personnes et à plus long terme.

Autre comorbidité, le risque cardiovasculaire est plus important chez les personnes vivant avec le VIH sans qu’on en comprenne totalement bien les mécanismes. Une étude a recherché des biomarqueurs de l’inflammation afin de caractériser les réponses immunitaires T pour décrire différents profils de marqueurs selon les individus. Trois profils ont été identifiés. Deux profils sont plus représentés chez les personnes vivant avec le VIH, en lien avec une présence plus marquée de plaques d’athérome (plaques graisseuses fixées sur la paroi des vaisseaux sanguins) et l’autre en lien avec la décalcification artérielle. Une autre étude a évalué si les comorbidités cardiovasculaires étaient bien diagnostiquées et prises en charge. Des index de bonne prise en charge ont été utilisés pour plusieurs comorbidités. La comparaison s’est faite sur des groupes de personnes séropositives et séronégatives. Dans ces groupes, il y a une proportion équivalente de comorbidités cardiovasculaires. En revanche, les comorbidités semblent moins bien prises en charge chez les personnes vivant avec le VIH, mais à prise en charge égales, les risques cardiovasculaires entre personnes séronégatives et séropositives semblent similaires.

Autre étude intéressante qui concerne le déclin cognitif chez les personnes vivant avec le VIH. Jusqu’à présent ce phénomène a été décrit, mais peu expliqué. Après douze ans d’observation dans différents groupes, les facteurs identifiés les plus associés au déclin cognitif sont le diabète, les maladies pulmonaires chroniques, la dépression chronique, l’utilisation de cannabis toute la vie et l’hypertension (non traitée).

Enfin, nouvelle intéressante : de nouvelles protéines plasmatiques ont été identifiées comme capables de prédire la mortalité chez les personnes vivant avec le VIH due aux comorbidités. Les chercheurs-ses ont identifié ces protéines à partir d’un groupe de personnes vieillissant avec le VIH nommé « la cohorte des vétérans ». Il est possible de développer des scores prédictifs de mortalité à partir des dosages de ces protéines.

(1) Les cytokines sont un ensemble hétérogène de protéines ou de glycoprotéines solubles. Elles jouent le rôle de signaux permettant aux cellules d'agir à distance sur d'autres cellules pour en réguler l'activité et la fonction.
(2) L'acide alendronique ou l'alendronate de sodium, vendu sous le nom de Fosamax par Merck est un bisphosphonate (nouvelle classe de médicaments de plus en plus utilisée dans le monde contre l'ostéoporose et d'autres maladies osseuses telles que la maladie de Paget).

 

Traçage des contacts dans la Covid-19
Le rôle du traçage des contacts est de casser les transmissions de Sars-CoV-2 et de retrouver les personnes en contact avec le virus dans les deux jours précédant le diagnostic, à moins de deux mètres de distance et pendant une durée de quinze minutes minimum. Les personnes doivent être certaines du diagnostic, vérifier les symptômes et les besoins  globaux du cas index, mais également identifier les contacts et permettre l’isolement du cas index. Le contact tracing est facilité par la gratuité des prestations et l’informatisation des procédures ainsi que la protection des personnes qui notifient. Il faut aussi une formation sur la communication avec les personnes index. La peur de la stigmatisation est une barrière à un bon contact tracing. Pour une bonne efficacité, Il faut des moyens, y compris pour aider les personnes matériellement et psychologiquement.

 

Notification des partenaires pour le VIH et les IST
Ici l’objectif est que les professionnels-les de santé aident les personnes à notifier leurs partenaires sexuels-les lors d’un diagnostic VIH et/ou IST. Des données montrent qu’une aide active est efficace, même si, au final, seuls 5 % des cas de VIH et 10 % des IST sont diagnostiqués. Dans les pays à revenus faibles, les expérimentations de notifications aux partenaires sont limitées à de petits effectifs et il est plus compliqué de passer à une plus grande échelle, mais la notification reste un outil pertinent. Elle peut notamment permettre d’orienter une personne testée séronégative au VIH vers la Prep.