VIH et transmission : le "meurtre" fait débat au Canada

Publié par jfl-seronet le 23.04.2009
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justice et VIH
La première condamnation, début avril, pour meurtre d'un séropositif pour avoir transmis le sida à plusieurs de ses partenaires a suscité réactions et polémiques au Canada. Seronet revient sur les éléments du débat les plus récents.
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Le 4 avril dernier, une cour d'assises de l’Ontario (Canada) a jugé coupable de meurtre un homme séropositif accusé d'avoir transmis le VIH à d'anciennes partenaires et d'avoir causer la mort de deux d'entre elles. Cette condamnation pour meurtre, une première, a suscité de nombreux débats et mobilisé les associations de lutte contre le sida au Canada. Du côté de Warning Montréal, on dénonce le fait que : "Ce jugement, en assimilant la personne séropositive condamnée à un tueur, vient renforcer dans l’opinion publique l’image du séropositif contaminateur qui se moquerait de ses partenaires." "Au contraire, de plus en plus d’études tendent à démontrer qu’en Amérique du Nord, la majorité des nouvelles contaminations proviennent de personnes nouvellement infectées qui ne connaissent pas nécessairement leur statut sérologique. Au Canada, on estime que le tiers des personnes séropositives ignorent leur statut", note l'association qui rappelle, par ailleurs, qu'un récent article "du Centre for Disease Control aux Etats-Unis (1), passé inaperçu, estime qu’en 2006, plus de 95 % des séropositifs qui connaissent leur statut n’ont pas transmis le VIH." "La criminalisation de la transmission du VIH fait plus de torts que de bien et n’aura pas d’impacts sur le nombre de nouvelles contaminations (…) Il est nécessaire qu’un vrai débat s’ouvre sur cette question, fondé sur des données scientifiques, sur les expériences des acteurs de terrain en prévention et surtout le vécu des personnes séropositives", affirme Warning Montréal.

Comme c'est souvent le cas dans ce genre d'affaires. Les positions défendues par les associations de lutte contre le sida contre la pénalisation sont mal comprises et caricaturées. Le 8 avril, Yves Boisvert, éditorialiste au journal québécois La Presse, attaque ainsi un de ses billets : " Je n'ai jamais compris pourquoi les défenseurs des droits des sidéens plaident pour le droit d'infecter en silence". Et l'éditorialiste de poursuivre : "Ce n'est pas comme ça qu'ils le formulent. Mais chaque fois qu'une personne infectée a des démêlés avec la justice criminelle, ils nous ressortent le même argument : on va nuire au dépistage !" Enfin Yves Boisvert sort ce qui ressemble à son argument massue : "Les gens, [disent les associations], hésiteront à se faire dépister, pour demeurer dans l'ignorance. C'est donc dire que des gens préféreraient risquer la mort pour conserver le droit de baiser sans condom. Faut-il protéger juridiquement ces gens, qui risquent simplement d'augmenter le nombre de victimes ?" Comme on l'imagine, ce billet n'est pas bien passé. Et l'argument comme quoi les associations plaideraient pour le "droit d'infecter en silence" a fait réagir. C'est le cas de la COCQ-sida qui a publié, le 9 avril, un communiqué. Affirmer cela, c’est "balayer tous les efforts investis par le milieu communautaire VIH/sida afin d’améliorer la qualité de vie des personnes séropositives et de diminuer le nombre de nouvelles infections", explique la COCQ-sida. "Il est étonnant de constater que certains professionnels des médias rejettent systématiquement l’expertise des professionnels du milieu VIH/sida lorsque ceux-ci abordent la question de la criminalisation de la transmission du VIH", se désole la Coalition.

Pour la COCQ-sida : "Il n’y a actuellement aucune donnée permettant d’affirmer qu’une application large du droit criminel (…) permettra d’atteindre les objectifs de justice ou de prévention de la transmission du VIH. Au contraire (…) une application large du droit criminel risque plutôt de nuire à nos efforts de prévention et à nos efforts de mise en œuvre des droits de la personne." "De plus, en créant l’illusion qu’elle protège de la transmission du VIH, la criminalisation engendre un faux sentiment de sécurité qui peut lui aussi nuire aux efforts de prévention", affirme la Coalition qui rappelle que : "Plus la stigmatisation est présente dans une société, plus il est complexe et difficile de dévoiler son statut. Donc, croire que la criminalisation de la transmission du VIH influencera plus de personnes séropositives à dévoiler est un leurre."

Directeur du centre sur le sida de l’Université McGill et de l’Hôpital juif de Montréal, Mark Wainberg fait autorité en matière de VIH/sida et pas seulement dans son pays. Pour lui, avec cette condamnation : "La lutte contre la transmission du VIH sort perdante". C'est ce qu'il a écrit dans un texte publié le 8 avril dernier. "Il faut comprendre qu’une telle démarche judiciaire ainsi que la volonté même de notre système de justice à débattre de ces cas, ne font qu’affaiblir la lutte globale contre la transmission du VIH", affirme t-il. "Tout d’abord, les cas pour lesquels des poursuites judiciaires ont été entamées ont probablement causé plus de mal que de bien, même lorsqu’il a été possible de prouver que le virus avait été transmis volontairement.", avance Mark Wainberg. Lui aussi mentionne le fait que "Plusieurs études ont démontré que les personnes qui savent qu’elles sont séropositives n’auront généralement pas de comportements sexuels à haut risque, dans le but de protéger leurs partenaires. Toutefois, ce n’est pas le cas de celles qui ignorent leur statut. Il faut aussi souligner que de nombreuses études ont rapporte qu’environ 50% des nouvelles infections par le VIH sont attribuables aux personnes qui ont elles-mêmes été récemment infectées et ne sont pas au courant de leur statut, puisqu’elles n’ont jamais été testées." "Il faut aussi constater que nous ne criminalisons pas les transmissions des autres virus et bactéries comme la gonorrhée, les virus herpétiques, et le virus de papillome humain lequel peut causer des cancers fatals chez les femmes, indique Mark Wainberg. Donc, la criminalisation de la transmission du VIH est une exception." Un des éléments du débat actuel est de savoir si cette "exception" a encore une sens.
(1) (Holtgrave et col. J AIDS, 2008)

Commentaires

Portrait de Osmin

Qui remet bien des pendules à l'heure française ! Merci les journalistes de Séronet ! Petit Poucet
Portrait de nathan

L'éthique journaliste ne consiste-t-elle pas à présenter les deux points de vue, "pour" et "contre" la pénalisation, si ce n'est avec la même objectivité, du moins avec la même équité ? Dans l'article de JFL, le point de vue des "pour" n'est présenté qu'en référence aux positions très caricaturales de Yves Boisvert, éditorialiste au journal québécois La Presse. Il existe d'autres points de vue "pour" plus équilibrés et plus susceptibles de convaincre le Législateur. Ce sont à mon avis ceux avec lesquels il est plus difficile de débattre car on n'est pas suffisamment préparés. Ici sur Seronet, je pense que nous sommes suffisamment sensbilisés à cette question de la pénalisation pour qu'on nous présente davantage les présentations des "pour" plutôt que des "contre" la pénalisation car c'est avec ces positions "pour" subtiles souvent et contre elles que nous avons et aurons surtout à débattre pour en montrer les éventuelles limites. On ne peut pas s'en tenir à un discours "la pénalisation, c'est nul, ça nuit à la prévention". Il nous faut des arguments plus acérés pour répondre aux leurs. Et si Seronet est, comme je le crois, aussi un lieu de formation, ce serait peut-être bien qu'on nous informe mieux, plus précisément, plus équitablement des arguments des "pour" la pénalisation. Ce n'est que mon point de vue, bien sûr.
Portrait de olivier-seronet

Bonjour, C'est l'angle qui avait été abordé dans le compte rendu de la soirée sur la "pénalisation" de la transmission du VIH à l'invitation d'Act Up-Paris, où le juriste Rémi Pellet démontrait combien les arguments des associations pouvaient être inaudibles par certaines juges.

C'est ici :

http://www.seronet.info/article/penalisation-ca-se-discute-9947

Olivier

Administrateur Seronet

Portrait de nathan

J'ai moi-même cité ce professeur dans un forum et la tribune qu'il a publiée dans Le Monde, sauf erreur de ma part. En effet, je crois qu'à présent, il est nécessaire de développer un argumentaire plus pointu et sans doute plus nuancé aussi. En effet, les arguments somme toute assez subtiles de ce prof de droit sont, je crois, audibles par une large partie de l'opinion et dans une République de plus en plus "émotionnelle", ce type d'argument peut, sous pression de l'opinion et des médias, conduire l'exécutif à inciter le juridique à durcir ses positions, d'autant plus dans le cadre de la réforme de l'instruction, si l'occasion se présente, comme c'est le cas actuellement en Allemagne avec l'incarcération de cette chanteuse qui aurait transmis le virus à un de ses amants. Merci