VIH : la lutte en danger !

Publié par jfl-seronet le 10.08.2022
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MondeVIH

C’est comme un cauchemar qui se répète. À chaque édition de la conférence internationale sur le sida, on pense que l’espoir sera là, que les nouvelles sur le front de la riposte au VIH seront bonnes, du moins encourageantes, indiquant que l’on s’approche de la fin de l’épidémie. Et puis, non, c’est un message d’inquiétude qui prédomine, comme un rendez-vous manqué de plus, comme un échec qui se profile en 2030. C’est la tonalité qui demeure à la lecture du dernier rapport en date de l’Onusida.

Tout est dans le titre : « L’érosion des progrès contre le sida met des millions de vies en danger ». C’est celui qui a été choisi pour le dernier Rapport de l’Onusida sur l’état de la lutte contre le sida dans le monde. Il n’est pas bon. « Les progrès en matière de prévention et de traitement sont en train de ralentir dans le monde entier, mettant des millions de personnes en grave danger », explique l’agence onusienne. Plusieurs phénomènes concomitants expliquent cela. Ainsi, depuis plusieurs années, « l’Europe de l’Est et l’Asie centrale, l’Amérique latine, le Moyen-Orient et l’Afrique du Nord enregistrent une augmentation des infections annuelles au VIH ». « En Asie-Pacifique, les données actuelles [de l’agence] révèlent une recrudescence des nouvelles infections au VIH là où elles avaient baissé. Si les cas augmentent, il en va de même des « inégalités qui alimentent l’épidémie de sida ». Elles ne sont pas endiguées alors que leur fin permettrait « d’éviter des millions de nouvelles infections au VIH [durant] cette décennie » et permettrait d’atteindre la fin de cette pandémie.

Comme cela a déjà été dit — ce n’est pas le premier rapport qui fait ce constat — les fragiles progrès de ces dernières années ont été mis à mal par un « ralentissement des progrès de la lutte contre la pandémie de VIH » et une « réduction des ressources ». Cela s’est accéléré au cours des deux dernières années avec la survenue de la Covid-19, puis l’apparition d’autres crises mondiales (l’invasion de l’Ukraine par la Russie, par exemple), ce qui met des millions de vies danger.

In danger

Le nouveau rapport de l’Onusida, In Danger (son titre officiel) a été présenté avant le lancement de la conférence Aids 2022 de Montréal, comme un tour de chauffe sur les enjeux qui devaient être débattus pour les participants-es, mais aussi comme une mise en garde. Dans le monde entier, le nombre de nouvelles infections au VIH n’a reculé que de 3,6 % entre 2020 et 2021, ce qui correspond à la plus faible baisse annuelle depuis 2016, explique le document de l’Onusida. Dans différentes régions (Europe de l’Est, Asie centrale, Moyen-Orient, Afrique du Nord, Amérique latine, etc.), les cas ne baissent plus voire remontent. La reprise des infections dans ces régions est alarmante. « En Afrique orientale et australe, la dynamique a considérablement ralenti en 2021 après des années de progrès à un rythme soutenu », souligne l’Onusida. Bien entendu, l’agence tient à montrer que certaines données sont encourageantes : les nouvelles infections au VIH en Afrique occidentale et centrale et dans les Caraïbes baissent considérablement.
Reste que toutes les régions du monde qu’elles connaissent une baisse ou une hausse des cas voient leur riposte au VIH menacée par une diminution des ressources. « Ces données montrent que la riposte mondiale au sida est grandement en danger. Si nous ne faisons pas des progrès rapides, nous perdons du terrain, car la pandémie prospère dans le contexte de la Covid-19, des déplacements massifs et d’autres crises. N’oublions pas les millions de décès évitables que nous essayons d’empêcher », a eu beau expliqué la directrice exécutive de l’Onusida, Winnie Byanyima, mais il semble qu’on l’entende peu.

Stagnation = infections

Cette stagnation des avancées s’est traduite par environ 1,5 million de nouvelles infections en 2021, soit plus d’un million de plus que les objectifs mondiaux. Ces objectifs sont ceux qu’il faut tenir si on veut atteindre la fin de l’épidémie en 2030.

Les nouvelles infections ont touché de manière disproportionnée les jeunes femmes et les adolescentes — c’était déjà le cas les années précédentes —, avec une nouvelle infection toutes les deux minutes au sein de cette population en 2021. « L’impact du VIH selon le sexe, en particulier pour les jeunes femmes et les filles africaines, s’est produit dans un contexte de perturbation des services essentiels de prévention et de traitement du VIH, de déscolarisation de millions de filles imputables aux pandémies et de pics de grossesses adolescentes et de violences sexistes », analyse le rapport. En Afrique subsaharienne, les adolescentes et les jeunes femmes sont trois fois plus susceptibles de contracter le VIH que les adolescents et les jeunes hommes.

Populations clefs exposées

Au cours de ces dernières années, les populations clefs ont été particulièrement touchées dans de nombreuses communautés avec une prévalence qui repart à la hausse dans de nombreux endroits, souligne le rapport. Par ailleurs, les inégalités ethniques aggravent les risques face au VIH. Au Royaume-Uni et aux États-Unis, les nouveaux diagnostics du VIH ont davantage baissé parmi les populations blanches que parmi les personnes noires. Dans des pays comme l’Australie, le Canada et les États-Unis, les taux d’acquisition du VIH sont plus élevés dans les communautés autochtones que dans les communautés non-autochtones. Le rapport signale également un « fléchissement » des efforts visant à garantir l’accès à un traitement antirétroviral vital à toutes les personnes séropositives. En 2021, l’augmentation du nombre de personnes sous traitement anti-VIH a été la plus faible depuis plus de dix ans. Bien que les trois quarts de toutes les personnes séropositives ont accès à un traitement antirétroviral, ce n’est pas le cas pour environ 10 millions d’autres, et seule la moitié (52 %) des enfants séropositifs ont accès à des médicaments vitaux. Ici, l’écart entre la couverture du traitement anti-VIH chez les enfants et les adultes tend à se creuser plutôt qu’à se résorber, pointe l’Onusida.

Un décès par minute

« En 2021, la pandémie de sida a été responsable en moyenne d’un décès par minute, soit 650 000 décès dus au sida malgré l’existence d’un traitement efficace du VIH et d’outils pour prévenir, détecter et soigner les infections opportunistes », note le rapport. « Ces chiffres dépendent totalement de la volonté politique. L’émancipation et la protection de nos filles sont-elles importantes pour nous ? Voulons-nous mettre fin aux décès dus au sida chez les enfants ? Préférons-nous sauver des vies plutôt que de criminaliser ? », a interrogé Winnie Byanyima. « Si nous le désirons, nous avons alors le devoir de combler le retard de la riposte au sida. » Des différences significatives existent entre les pays. Les Philippines, Madagascar, la RDC et le Soudan du Sud figurent parmi les pays qui ont enregistré les plus importantes augmentations du nombre de nouvelles infections au VIH depuis 2015. À l’opposé, l’Afrique du Sud, le Nigeria, l’Inde et la République unie de Tanzanie ont enregistré des baisses parmi les plus flagrantes du nombre d’infections au VIH, même dans le contexte de la Covid-19 et d’autres crises. Il y a donc bien une marge de manœuvre possible si les États consentent à des efforts réels en matière de lutte contre le sida.

Des conséquences dévastatrices

Le rapport onusien décrit les « conséquences dévastatrices si jamais des mesures urgentes contre les inégalités qui favorisent la pandémie ne sont pas prises ». « Il montre qu’au rythme actuel, le nombre de nouvelles infections par an dépasserait 1,2 million en 2025. Cette année correspond à l’échéance fixée par les États membres des Nations Unies pour réduire les nouvelles infections au VIH à moins de 370 000. Cela signifierait non seulement que l’humanité n’a pas tenu sa promesse sur les nouvelles infections, mais que ces dernières seraient plus de trois fois supérieures à cet objectif ». On le comprend aisément : des millions d’infections évitables au VIH chaque année compliquent l’action et augmentent les coûts pour garantir l’accès des personnes séropositives à un traitement vital et la réalisation des objectifs de mettre fin à la pandémie de sida d’ici 2030.

À cela s’ajoute le contexte international (pandémie de Covid-19, guerre en Ukraine) qui viennent attiser les risques pour la riposte au VIH et des problèmes systémiques : le remboursement de la dette, par exemple. « Les remboursements de la dette pour les pays les plus pauvres du monde ont atteint 171 % de l’ensemble des dépenses de santé, d’éducation et de protection sociale combinées, ce qui tue dans l’œuf leurs capacités à riposter au sida, explique l’Onusida. Le financement national de la riposte au VIH dans les pays à revenu faible et intermédiaire baisse depuis deux ans ».  Et le rapport de pointer : « Une des conséquences de la guerre en Ukraine est l’augmentation considérable des cours mondiaux des produits alimentaires. Cela aggrave l’insécurité alimentaire des personnes séropositives dans le monde entier et rend les interruptions de traitement du VIH beaucoup plus probables ».

Il faut plus de solidarité

« À l’heure où nous avons plus que jamais besoin de la solidarité internationale et d’un regain de financement, trop de pays à revenu élevé réduisent leur aide, et le financement de la santé mondiale est sérieusement menacé. En 2021, les ressources financières internationales disponibles pour le VIH étaient 6 % inférieures à celles de 2010. L’aide au développement à l’étranger pour le VIH fournie par des donateurs bilatéraux autres que les États-Unis d’Amérique a chuté de 57 % au cours de la dernière décennie », tacle l’Onusida. « Huit milliards de dollars manquent à la riposte au VIH dans les pays à revenu faible et intermédiaire par rapport au niveau nécessaire d’ici 2025. Les règles commerciales mondiales empêchent les pays à revenu faible et intermédiaire de produire les médicaments capables de mettre fin à la pandémie, y compris les traitements anti-VIH innovants et prometteurs à action prolongée. Par ailleurs, elles maintiennent les prix à un niveau trop élevé pour que ces pays les achètent en grande quantité ». Aujourd’hui, la solidarité mondiale stagne alors que le soutien international est plus nécessaire que jamais. Les dirigeants et dirigeantes sont toujours en mesure de ramener la riposte sur le droit chemin, veut encore croire Winnie Byanyima. Cela nécessite à la fois une action nationale et une solidarité internationale ; mais nous sommes encore loin du compte.

En juin 2021, les dirigeants et dirigeantes ont convenu d’une feuille de route pour mettre fin au sida d’ici 2030 si elle est respectée en tous points. L’objectif est réalisable et abordable. Autrement dit, « l’éradication du sida coûtera beaucoup moins cher que de continuer à vivre avec le sida ». Il est important de noter que les actions nécessaires pour mettre fin au sida permettront également à l’humanité d’être mieux protégée contre les menaces des futures pandémies. Dans le contexte actuel, l’argument pourrait, lui aussi, porter. Solide dans ses convictions, Winnie Byanyima a rappelé, à l’occasion de la sortie du rapport In danger : « Nous pouvons mettre fin au sida d’ici 2030 comme promis (…) mais cela demande un peu de courage. » Qui l’entend ?