VIH à l’ONU : une session très spéciale

Publié par Sophie-seronet le 12.06.2011
1 121 lectures
Notez l'article : 
0
 
ONU
Cette semaine, s’est tenue une session spéciale de l’Assemblée générale des Nations Unies sur le VIH/sida à New York. Son objectif : définir la stratégie mondiale de lutte contre le sida pour les 5 prochaines années. Responsable du plaidoyer international à AIDES, Francesca Belli, et Nicolas Denis, chargé de mission sur le plaidoyer international et les droits de l’Homme, ont activement participé aux travaux de cette session. Ils racontent pour Seronet.
NY-Nicolas_et_Francesca.jpg

Cette session spéciale sur le sida marque le trentième anniversaire de la découverte des premiers cas de ce qui devait devenir une pandémie mondiale. Elle a, pour objectif ambitieux, de donner le cadre stratégique de la lutte contre cette épidémie pour les cinq prochaines années. Depuis plusieurs mois, les délégations gouvernementales et les associations du monde entier sont mobilisées afin de relever le défi (qu’ont peut qualifier de périlleux) d’arriver à un texte de consensus qui engagera la réponse de la communauté internationale aux enjeux majeurs de la lutte contre le sida aujourd’hui. Après de difficiles négociations (et c’est un euphémisme que de le souligner), l’Assemblée générale des Nations Unies a validé (10 juin) une nouvelle déclaration d’engagement sur le VIH/Sida.
Embarqués dans la délégation française, activistes chargés du plaidoyer sur les enjeux internationaux de la lutte contre le sida à AIDES, nous avons infiltré les coulisses de cette diplomatie sanitaire afin de tenter de défendre les droits des populations vulnérables et l’indispensable augmentation des financements, le véritable nerf de la guerre contre l’épidémie de VIH/sida. Autant reconnaitre tout de suite que la partie était loin d’être gagnée… d’avance. Cette semaine d’intenses négociations durant laquelle les 192 Etats membres des Nations Unies se sont réunis à New York pour accoucher aux forceps du texte adopté le 10 juin, a, en effet, nécessité de nombreuses réunions de préparation, un travail de lobbying auprès des pays les plus récalcitrants et d’efforts de coordination entre les activistes du monde entier.

Le coup d’envoi de ce marathon de négociations est donné début avril 2011 par l’audition de la société civile par les Etats Membres de l’ONU. La société civile, ce sont les associations, leurs militants, les activistes. Cette première réunion témoigne d’emblée de l’ampleur du travail à accomplir. En effet, très peu d’Etats ont daigné faire le déplacement... Loin de se laisser démonter par le peu de considération que cette criante absence semble signifier, nous, les activistes, avons alors redoublé d’efforts pour tenter de rappeler les Etats à leur responsabilité. Jonglant avec les décalages horaires et enchainant les nuits sans sommeil, nous nous sommes jetés à corps perdu dans le jeu parfois trouble des négociations onusiennes, où les nations ne semblent souvent n’avoir d’unies que le titre... ! Cet éreintant processus de négociation n’a pas toujours été des plus diplomatiques… Et l’alcool a bien failli devenir notre plus fidèle compagnon pour oublier les horreurs que nous avons du entendre de la bouche de certains négociateurs. De nombreux pays se sont, en effet, lâchés sans complexe et avec une remarquable persévérance lors des débats houleux sur les droits des personnes les plus vulnérables (hommes ayant des relations sexuelles avec d’autres hommes, travailleurs et travailleuses du sexe et personnes consommatrices de drogues). Il est d’ailleurs frappant voire inquiétant de constater que ce sont souvent les plus réactionnaires d’entre les obscurantistes qui sont les plus actifs lorsqu’il est question des droits humains...

Une nouvelle fois, les négociations onusiennes se sont retrouvées polluées par l’improbable alliance des pays les plus conservateurs du groupe arabe et africain auquel l’Iran et le Vatican sont venus prêter main forte. Cette coalition d’humanistes patentés nous a servi avec une inébranlable conviction un festival d’arguments nauséeux dont certains d’entre eux semblaient remontés à l’époque médiévale. Mieux valait parfois ne pas être trop sensible car le moins que l’on puisse dire c’est que ces derniers ni sont pas allés de main morte. Cette alliance, quelque peu surréaliste, des pays internationalement reconnus comme étant de fervents défenseurs des Droits de l’Homme a alors bien failli faire tourner court les négociations. N’hésitant pas à sous-entendre que les populations les plus vulnérables à l’épidémie alimentaient cette dernière par leurs comportements "irresponsables, non éthique et hors la loi", ils ont œuvré, sans relâche, pour que soit reconnu le rôle primordial de "la religion, de la tradition, de la culture et des valeurs familiale" dans la lutte contre le sida. Très en forme et n’étant pas à une aberration près, ils ont, de surcroit, insisté durant toute la durée des négociations pour que soit reconnue l’importance de l’abstinence et de la fidélité. Inutile de dire que les rencontres avec les membres de cette délégation, menées en partenariat avec des collègues activistes d’Afrique du Sud et du Sénégal, ont souvent nécessité une extraordinaire maitrise de nous-mêmes afin de rester dans les limites du langage diplomatique et de ne pas leur vomir notre dégoût au visage.  

A l’issu de cet intense combat, c’est la société civile avec le soutien de certain pays progressistes qui ont remporté cette bataille de haute lutte, première étape d’une guerre de longue haleine contre les obscurantismes criminels. Pour la première fois depuis le début de cette épidémie, les populations les plus vulnérables ont enfin été courageusement nommées dans un texte de l’ONU. Ceci ouvre de nouvelles perspectives dans la lutte contre le sida, permettant d’espérer une meilleure prise en compte de ces personnes, désormais reconnues, dans les politiques de prévention, de prise en charge et de soins. L’engagement de la communauté internationale est certes un peu schizophrénique, mais il témoigne de l’âpreté des débats et de la difficulté d’obtenir un consensus sur des questions très sensibles qui touchent à la sexualité et aux droits de l’homme.
La problématique des usagers de drogues est d’ailleurs une autre illustration de cette profonde dualité, faisant le dangereux amalgame entre lutte contre le sida et lutte contre le trafic de drogue. En France comme ailleurs, il a pourtant été constaté que la pénalisation de l’usage de drogues rend de plus en plus difficile les politiques de santé et de prévention destinées aux personnes consommatrices de drogues.

Question financement, l’ambitieux engagement pris par la communauté internationale de mettre sous traitement neuf millions de malades supplémentaires d’ici 2015 nécessitera des actes politiques très forts de la part des Etats membres des Nations Unies. Ces engagements devront être regardés à la loupe par les activistes de tous les pays afin que cela ne reste pas qu’un vœu pieux émis dans les salons feutrés du siège de l’ONU. Il est d’ailleurs important de souligner que les Etats membres de l’ONU ne se sont pas engagés sur un calendrier clair et contraignant concernant le comblement du faussé existant entre les fonds actuellement disponibles (16 milliards) et ceux nécessaires pour mettre toutes les personnes malades qui en ont besoin sous traitement (22 à 24 milliards selon les estimations d’ONUSIDA). La plupart des Etats donateurs ont ainsi cherché à réduire la portée de cet engagement financier tout en reconnaissant la nécessité de "redoubler d’efforts" afin d’espérer un jour atteindre l’accès universel aux soins, à la prévention et à la prise en charge.
Maintenant, le temps est venu de mobiliser nos troupes, en France comme ailleurs, afin de transformer les promesses des Etats en actes concrets. Pour ce faire, nous venons de demander à Nicolas Sarkozy de convoquer dès la rentrée 2011 une conférence de reconstitution du Fonds mondial de lutte contre le sida, le paludisme et la tuberculose afin de lever les financements nécessaires aux engagements pris à New York et à la France de maintenir son implication internationale dans la défense des minorités sexuelles.