VIH à Paris : « Ce qui nous lie »

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Le samedi 3 décembre dernier, à l’occasion de la Journée mondiale de lutte contre le sida, AIDES Paris et Vers Paris sans sida (VPSS) organisaient une journée inter associative. (Re)créer du lien, transmettre la mémoire, rendre hommage aux disparus-es et continuer la lutte étaient les enjeux principaux au cœur de cette journée où Seronet était présent.

On peut y voir comme un paradoxe. La Fabrique de la Solidarité se situe rue de la Banque, dans le plutôt chic quartier de la Bourse. Banque et solidarité : c’est un peu le choc des cultures. C’est pourtant à cette adresse — en fait, le vaste et beau bâtiment était auparavant la mairie du 2e arrondissement — que la Ville de Paris a décidé de créer ce lieu unique de mobilisation citoyenne pour les Parisiens-nes qui veulent agir dans le domaine des solidarités. De là, s’organisent de nombreuses activités. Elles vont de formations pour agir sur le terrain et faciliter l’engagement militant, à des propositions, toutes les deux semaines, de missions de bénévolat ponctuelles ou sur la durée pour passer à l’action dans les quartiers où l’on en a besoin et soutenir les acteurs-rices de la solidarité (maraudes, distribution alimentaire, session de tri accompagnement des séniors-es, etc.), ou encore participer à des collectes de produits de première nécessité, mais aussi à des événements conviviaux et artistiques pour s’informer et se rencontrer (expositions, forum du bénévolat, spectacles, concerts, etc.). Ce lieu unique fédère et mobilise quelque 17 000 bénévoles parisiens-nes, comme l’a rappelé, Léa Filoche, adjointe à la Maire de Paris en charge des Solidarités, de la Lutte contre les inégalités et contre l'exclusion. L’élue le présente même comme un lieu « disruptif » où l’on ne se « contente pas du monde tel qu’il est ». Cette idée colle bien à AIDES Paris qui a réalisé dans ce lieu le point d’orgue de sa semaine de mobilisation à l’occasion du 1er décembre 2022.

(Re)créer du lien

Une certaine effervescence règne samedi 3 décembre à la Fabrique de la Solidarité. C’est un moment important pour les militants-es de AIDES Paris qui travaillent sur cette journée depuis plusieurs mois, en lien avec l’équipe de Vers Paris sans sida (VPSS). Une première salle abrite — exiguïté des lieux oblige — un mini village associatif avec des stands d’associations de lutte contre le sida telles qu’Actions Traitements, les Petits Bonheurs ou les Séropotes. Militants-es, bénévoles, volontaires et visiteurs-ses se promènent de stands en stands, sous les boiseries, posent des questions, échangent ensemble. C’est le but voulu par AIDES Paris, (re)créer du lien dans la lutte contre le sida à Paris. « Si le VIH/sida nous contraint, hier comme aujourd’hui, à penser la santé autrement, il peut également nous amener à penser la société́ autrement. Et une société́ ne se fabrique que sur une base de solidarité́. C’est pourquoi, plus que jamais, il nous faut militer, agir et transformer ensemble », affirme Pierre Batista, le président de AIDES Paris, sur le flyer de l’événement.

Transmission et histoire de la lutte

La seconde salle propose une exposition inédite des archives de AIDES et plus globalement de l’histoire contre le sida. Unes de magazines aujourd’hui disparus, affiches de campagnes de prévention, tee-shirts, photos, etc. « En septembre dernier, on a mis en place un groupe de travail de neuf personnes qui s’appelle « Transmission et histoire de la lutte » sur le territoire d’action de AIDES Paris où je suis également volontaire. C’était l’occasion de s’intéresser à l’histoire de AIDES et à ses grandes périodes depuis sa création en 1984 », explique Morgane Vanehuin, chargée de mission Archives et Documentation à AIDES, et volontaire de l’association à Paris. « Le groupe s’est retrouvé, une fois par semaine, pendant un mois et demi lors de séances de travail de quatre heures pour réfléchir à ce qu’on allait présenter. L’objectif était de sélectionner des archives pour présenter des actions de l’association. Des archives au sens large : de l’iconographie, des posters, des photographies, des objets, des brochures, des pins, des goodies, des tee-shirts, des publicités, des archives numériques, etc. C’était un très gros travail de sélection parce qu’on a quand même un kilomètre d’archives au siège de l’association », souligne Morgane.

L’exposition est délimitée par quatre grandes périodes de l’histoire de la lutte chez AIDES :

  • 1984-1987 : les premières actions comme la permanence téléphonique et physique. Cette permanence donnera naissance à Sida Info Service. « On a très peu d’archives sur cette période car ce que nous avions réuni a été déposé aux Archives nationales. De plus, les premières années, l’association produisait moins de documents qu’aujourd’hui », regrette l’archiviste
  • 1988-1995 : AIDES face à l’hécatombe avec la mise en place de différents groupes de travail, le groupe Sourds, le groupe Femmes, la mise en place du programme d’aide à domicile, etc. « Il est intéressant de noter que les populations clés d’aujourd’hui étaient déjà les mêmes à cette époque y compris les personnes trans même si à cette époque elles n’étaient pas nommées comme telles », constate Morgane Vanehuin.
  • 1996-2010 : un nouvel espoir avec l’accès aux traitements efficaces : les trithérapies. « Il y a aussi les archives du lieu de mémoire d’Arc-en-ciel que nous avons décidé de diffuser sur un écran de télévision. Ce sont des mémoires trop intimes et fragiles donc elles ne sont pas physiquement là. Certains documents étaient trop personnels et n’avaient pas vocation à être rendus publics mais on avait envie d’en présenter certains. Cette sélection dit des choses de ce lieu et de son histoire sans tout dire » abonde l’archiviste.
  • 2010 à aujourd’hui : l’éventail des possibilités avec le Tasp, la Prep, etc.

 

Donner la parole aux personnes concernées

La seconde partie de la journée était réservée aux prises de paroles d’élus-es de la Ville de Paris ainsi qu’à des personnes concernées. Andréa Mestre, présente en visio, a parlé de son combat contre la sérophobie et un militant de AIDES a lu un témoignage écrit par une femme vivant avec le VIH qui a souhaité garder l’anonymat.

Jean-Luc Romero-Michel, adjoint à la Maire de Paris en charge des Droits humains, de l’Intégration et de la Lutte contre les discriminations, a tenu à montrer son soutien à cette journée : « Toujours heureux d’être parmi vous et de voir cette mobilisation malgré les années et la difficulté à faire vivre ce 1er décembre. Il faut reconnaitre que le VIH n’est plus forcément la priorité qu’on aurait espéré alors qu’on a cet espoir fabuleux de pouvoir arriver à la fin de cette épidémie », a déploré le seul élu ouvertement séropositif. « Les plus anciens, comme moi, qui vivent avec le VIH depuis 30, 35 ans voire plus n’auraient jamais imaginé cela possible. À Paris, nous sommes très engagés sur cette question du VIH. Quand Anne Hidalgo a lancé l’appel de Paris en 2014, elle est partie du postulat que les collectivités ont un vrai rôle à jouer pour mettre fin à cette épidémie, elles sont au plus près du terrain (…) », a expliqué Jean-Luc Romero-Michel. Et l’adjoint de poursuivre : « On parle souvent au nom des gens ; nous les premiers, et les personnes concernées on ne les entend pas suffisamment. On a décidé de faire un cycle, tous les trois mois de rencontres-débats, autour d’un film. On a décidé, symboliquement, de commencer avec la parole des travailleuses et travailleurs du sexe. On a besoin de donner la parole aux personnes concernées. Il faut se souvenir dans les années 80 que ce sont les associations qui faisaient de travail et François Mitterrand a attendu 1986 avant de prononcer le mot sida. Les associations comme AIDES ont tout porté, mais les politiques aussi doivent être là car ils doivent apporter l’argent public, le nerf de la guerre. À Paris, nous savons ce que nous devons aux associations et on sait ce que vous faites », a affirmé l’élu parisien. Et Jean-Luc Romero-Michel de conclure : « Le 1er décembre est toujours une période compliquée pour moi. Parfois, je me demande pourquoi je suis encore là alors que presque tous mes amis sont morts. Une grande partie de ma génération a été décimée par le sida. Par rapport à eux et par rapport à la chance inexplicable que certains d’entre nous ont eue, il faut qu’on soit plus que jamais mobilisés pour mettre fin à cette épidémie. La lutte contre le sida c’est la vôtre et c’est celle que vous avez transmis aux acteurs politiques que nous sommes ».

Également présente, Anne Souyris, adjointe à la Santé à la mairie de Paris, a prononcé quelques mots de soutien vivement applaudis par le public présent, majoritairement composé d’acteurs-rices associatifs-ves : « La lutte contre le sida porte énormément d’autres luttes en elle. Les discriminations sont toujours là, parfois même encore plus fortes. Il y a les TDS, mais aussi les étrangers en situation irrégulière qui sont toujours un peu plus exclus de notre société. Quand l’État essaie encore de détricoter l’AME, quand le dispositif « Au labo sans ordo » est étendu au niveau national et qu’on enlève l’accès aux étrangers. On nous répond : « Ils pourront aller ailleurs ». On entend que la santé communautaire est un repli identitaire, mais, en réalité, la santé communautaire permet d’atteindre tous les publics et donc l’universalité en santé. Merci d’être là, moi je serai toujours à vos côtés ». Présente, elle aussi, Léa Filoche, adjointe à la Maire de Paris en charge des Solidarités, de la Lutte contre les inégalités et contre l'exclusion, a rappelé la particularité du lieu qui accueillait l’événement et expliqué à quel point « la lutte contre l’injustice et l’exclusion sont loin d’être encore terminées ». D’ailleurs, a-t-elle expliqué : « Je ne vais pas rester longtemps avec vous car je dois me rendre ce soir auprès des migrants mineurs installés dehors devant le Conseil d'État et qui réclament un hébergement d’urgence ».

Enfin, Sandrine Fournier, directrice du pôle Financements, Recherche et Associations chez Sidaction, a fait une déclaration courte et efficace : « Il reste fort à faire sur le plan national. La mobilisation est d’autant plus importante qu’on se trouve face à un exécutif qui, largement, ignore, voire méprise la société civile et les associations. Restons mobilisés, il y a encore du chemin à faire ».

Bénis-es par les Sœurs

Moment aux apparences plus légères, mais tout aussi important avec la bénédiction des Sœurs du Couvent de Paris. « Que Sainte Pouffe, patronne des couvents de France ; Sainte Sapho, patronne des filles qui aiment les filles ; Sainte Tapiola, patronne des garçons qui aiment les garçons ; Sainte Cyclette, patronne des bi, (…) Sainte Rita, patronne des causes désespérées — et donc des hétéros — veillent sur vous avec amour, joie et paix », ont proclamé les Sœurs devant une assistance amusée et aussi émue par leur présence rassurante et solennelle. « Il nous est déjà arrivé de croiser des bonnes sœurs dans le métro ou dans la rue. À chaque fois, on a pu discuter. Et à chaque fois, leur conclusion a été la même : « Mais vous faites la même chose que nous, en fait ! ». Comme elles, on défend des valeurs de paix, d’amour et de respect », raconte Pandora à Marie Slavicek, journaliste qui leur a consacré un reportage dans Le Monde. La superbe photographie qui illustre le reportage du Monde a été prise par Gabrielle Vigier. C’est assez drôle de voir que l’imposant bureau sur lequel trônent les Sœurs est celui de la salle des mariages !

Devoir de mémoire

À l’étage, au bout du couloir sur la droite, une salle à la lumière vive. C’est là que l’association Les Ami.e.s du Patchwork des noms a établi son camp de base. Michael et Pascal et d’autres militants-es y veillent sur un vaste assemblage de tables qui accueille des patchworks qui rendent hommage aux personnes victimes du sida, dont des militants-es connus-es comme Dominik Le Fers ou Cleews Vellay.

La journée s’est terminée par un moment émouvant et solennel avec le déploiement du Patchwork des noms par Les Ami.e.s du Patchwork des noms. « Ce devoir de mémoire qui pousse à continuer la lutte, c’est également rappeler que l’épidémie est loin d’avoir disparu et qu’elle tue toujours. Dans le monde, chaque année, 1,7 million de nouvelles infections sont déclarées. En 2018, 37 millions vivant avec le VIH et 770 000 décès dus au sida étaient recensés. Lancé en France en 1988, le Patchwork des Noms s’est donné pour mission de faire vivre la mémoire des personnes disparues par des créations réalisées par leurs proches et les diffuser le plus largement possible lors de cérémonies avec déploiement et lectures des noms. Il s’est également attaché à accompagner ces célébrations de séquences pédagogiques avec les jeunes générations pour ne pas ré-invisibiliser une épidémie et ses morts. Car oui, longtemps, les autorités publiques ont détourné le regard et abandonné les malades du sida à leur sort », explique l’association avant de lire les prénoms de personnes séropositives disparues puis de déployer les patchworks dans un silence total, marque de respect et d’émotion pour ce rituel mémoriel.

 

1er décembre, le message de AIDES Paris
« Plus de 40 ans après la découverte des premiers cas de sida. À l’heure où nous savons que l’épidémie de VIH/sida durera bien plus longtemps que nous ne le pensions. Nous, militants-es de AIDES, continuons de diagnostiquer les maux qui scandent la longue histoire des soins et de la santé. Nous continuons de nous battre pour l’accès aux soins des plus vulnérables, nous leur apportons, autant que nous le pouvons, le soutien dont elles et ils ont besoin au quotidien et nous cherchons à leur donner une voix. Car la narration est trop souvent celle des forts et des vainqueurs ; plus rarement celle des invisibles, qui ne suscitent malheureusement que trop d’indifférence. C’est dans le souvenir de toutes les personnes que l’épidémie nous a prises, en hommage à celles et ceux qui ont su, aux heures les plus sombres de l’épidémie, relever le défi de la solidarité, que AIDES Paris place son édition du 1er décembre 2022 sous le signe de la solidarité. Cette solidarité, garante de l’unité d’une société et de notre sens du collectif, nous permet de faire face, ensemble, à nos inquiétudes et aux nombreux défis que nous devrons relever dans les prochaines années de lutte. Si le VIH/sida nous contraint, hier comme aujourd’hui, à penser la santé autrement ; il peut également nous amener à penser la société autrement. Et une société ne se fabrique que sur une base de solidarité. C’est pourquoi, plus que jamais, il nous faut militer, agir et transformer ensemble. Car, selon la formule du sociologue Edgar Morin : « À force de sacrifier l’essentiel pour l’urgence, on en finit par oublier l’urgence de l’essentiel ».
Pierre Batista, président de AIDES Paris et administrateur.

 

Donnons-leur la parole
« Donnons-leur la parole » est un cycle de rencontres trimestrielles initié par Jean-Luc Romero-Michel, adjoint à la Maire de Paris en charge des Droits humains, de l’Intégration et de la Lutte contre les discriminations et Anne Souyris, adjointe à la Santé à la mairie de Paris. Chaque rencontre proposera la projection d’un film suivi d’un débat entre la salle et des personnes concernées par la problématique du film (sérophobie, LGBTphobie, sexisme, racisme, chemsex, etc.). « On parle souvent au nom des gens, nous les premiers, et les personnes concernées, on ne les entend pas suffisamment. On a décidé de faire un cycle, tous les trois mois, de rencontres-débats autour d’un film. On a décidé, symboliquement, de commencer avec la parole des travailleuses et travailleurs du sexe », a déclaré Jean-Luc Romero-Michel lors d’une rencontre inter associative organisée par AIDES Paris et Vers Paris sans sida, le 3 décembre dernier, à la Maison de la Solidarité. La première rencontre a eu lieu lundi 12 décembre à l’auditorium de l’Hôtel de Ville de Paris (5 rue Lobau - 75004 Paris) avec la projection du film Au Cœur du Bois de Claus Drexel (90 mn) suivie d’une table ronde où se sont exprimés-es des travailleuses et travailleurs du sexe.

 

Ce qui nous lie
France Lert, présidente de Vers Paris sans sida, a lu un texte qu’elle a écrit sur le Patchwork des noms. Nous le reproduisons ici avec son autorisation : « Ce qui nous lie. Regarder les patchworks déployés, c’est tirer ce fil qui nous lie émotionnellement à ceux et celles dont des mains et des cœurs aimants ont mis en images la personnalité, la souffrance, les joies ou les combats. Des personnes qui ont affronté l’annonce d’une maladie terrifiante, qui en ont vécu dans leurs corps les saccages et la douleur, dans leur vie amoureuse et amicale les deuils, nombreux, dans leur famille souvent la violence et le reproche. Mais ce sont eux, aussi, qui, dans un engagement collectif sans précédent d’une génération, ont porté une lutte qui nous permet d’être là, avec des avancées immenses contre la maladie, une lutte pour la reconnaissance du droit de chacun et chacune à vivre pleinement et au grand jour son identité, avec les mêmes droits.L’histoire du sida, c’est elles et eux : les gays, les bisexuels, les hémophiles, les toxicos, les Africains, les travailleuses du sexe, les diasporas du Maghreb, hommes et femmes qui ont affronté la sérophobie, les insultes et les violences homophobes, les discriminations légales, pour les subvertir, ne pas se laisser faire, porter haut des voix jusque-là étouffées. Nous savons que les combats contre les discours de haine ou de mépris ne sont  pas achevés,  que le discours raciste et xénophobe jamais éteint, reprend de plus en plus vigueur, que la LGTBPhobie trouve toujours des moments et des voix pour s’exprimer, et c’est pour être en résonance avec les êtres dont le souvenir vivant prend forme dans chaque patchwork que nous voulons être les passeurs de mémoire. Une résistance, un combat social ou politique, ce sont des idées, des manifestations, des pétitions, c’est une scène publique, mais ce sont aussi ces êtres singuliers et uniques que nous honorons aujourd’hui.  C’est pourquoi, l’amour et l’émotion gardent toute leur place dans les combats que nous portons ».