VIH, vivre avec un traitement, SIS Observatoire a enquêté

Publié par jfl-seronet le 05.01.2016
5 758 lectures
Notez l'article : 
5
 
Chiffresvivre avec un traitement

SIS Observatoire (1) a conduit en 2014 une enquête sur "Vivre avec un traitement contre le VIH en 2014". Voici les infos clefs de cette étude qui restent d’actualité.

SIS Observatoire a d’abord défini le contexte en quelques chiffres. On estime, en France, que près de 150 000 personnes vivent avec le VIH et que 60 % d’entre elles prennent un traitement anti-VIH, soit près de 90 000 (2). "Avec l’évolution des antirétroviraux tant sur le plan pharmacologique que posologique, le vécu du traitement des personnes vivant avec le VIH a changé", notent les auteurs de cette étude, Marjory Corbinaud et Elisabete de Carvalho. L’objectif de cette enquête était d’apporter des éléments d’information et de compréhension sur l’adhésion des personnes vivant avec le VIH à leur traitement en centrant la recherche sur l’intégration du traitement dans la vie quotidienne. SIS Observatoire s’est donc interrogé sur la perception que les personnes vivant avec le VIH ont de leur traitement et a cherché à mesurer l’impact de ses contraintes sur la vie courante et la façon dont elles sont gérées. Les données ont été recueillies par questionnaire auto-administré rempli sur Internet ou avec l’aide d’un écoutant de Sida Info Service. Le questionnaire comportait une cinquantaine de questions ouvertes et fermées, portant sur des données sociodémographiques et abordant le parcours thérapeutique des personnes vivant avec le VIH, l’insertion de leur traitement dans la vie quotidienne et ses impacts ainsi que les relations interpersonnelles liées au traitement. Au total, 367 questionnaires ont été exploités.

Quelques infos sur les participant-e-s

Quatre personnes sur dix vivent en Ile-de-France et une sur dix en région Paca (Provence-Alpes-Côte d'Azur). 85 % sont des hommes et ils ont en moyenne 43 ans, dans l’enquête la moyenne d’âge des femmes était de 51 ans. 49 % des hommes et 73 % des femmes vivent seuls. Une personne sur deux estime ses ressources financières insuffisantes (35 %) voire très insuffisantes (13 %), particulièrement les femmes (61 %). 29 % des personnes ont été diagnostiquées depuis moins de cinq ans et 40 % depuis plus de quinze ans. 43 % des personnes ont été mises sous traitement depuis moins de cinq ans (dont 29 % depuis moins de deux ans). 30 % ont été mise sous traitement depuis plus  de quinze ans. Cette situation concerne 44 % des femmes. 90 % indiquent une charge virale indétectable. A titre de comparaison, ce chiffre était de 85 % selon les données de l’enquête ANRS Vespa 2 de 2011. Par ailleurs, 78 % prennent leur traitement actuel depuis moins de cinq ans. 72 % des répondant-e-s ont une seule prise par jour de médicaments et 34 % prennent un seul comprimé par jour. 43 % des femmes prennent un traitement en plusieurs prises par jour contre 25 % des hommes. 56 % des répondant-e-s prennent un autre traitement "au long cours".

Des parcours de traitements qui évoluent

Dans son enquête, SIS Observatoire parle de "parcours médicamenteux". C’est-à-dire de ce qui est pris comme médicaments en nombres de prises, de comprimés, etc. Un des enseignements de l’enquête sur ce point est que "le traitement [est] plus précoce et mieux accepté", mais que des "effets indésirables toujours redoutés". 97 % des personnes vivant avec le VIH depuis moins de deux ans ont été mises sous traitement depuis moins d’un an après le diagnostic et 61 % immédiatement. Les personnes vivant avec le VIH mises sous traitement après 2000 sont deux fois moins nombreuses à avoir eu une "perception négative" de leur mise sous traitement.

Parmi les personnes vivant avec le VIH sous traitement depuis moins de deux ans, 67 % étaient très favorables et 58 % étaient très rassurées lors de la mise sous traitement. Plus de quatre sur cinq étaient préoccupées par les effets indésirables éventuels (58 % beaucoup, 26 % assez).

Deuxième enseignement de l’enquête, les "parcours médicamenteux" sont variés et on va vers un allègement (prises et nombres de comprimés). Plus la mise sous traitement est ancienne, moins le schéma de posologie actuel suivi est simple : 53 % des personnes vivant avec le VIH sous traitement depuis plus de quinze ans prennent un traitement en plusieurs prises par jour. 81 % des prescriptions actuelles sont d’une prise par jour et 51 % d’un seul comprimé par jour, qu’il s’agisse d’une mise sous traitement ou d’un changement de traitement. 74 % des répondant-e-s ont déjà changé de traitement au moins une fois et 34 % au moins quatre fois, plus souvent lorsque la mise sous traitement a été tardive par rapport au diagnostic, explique SIS Observatoire. 67 % des changements se font vers un allègement du schéma thérapeutique et 72 % des personnes concernées indiquent que ce nouveau traitement est plus facile à intégrer dans leur vie quotidienne. Le schéma thérapeutique reste un poids dans le vécu du traitement : 28 % des personnes avec plusieurs prises par jour, 13 % des personnes avec une seule prise de plusieurs comprimés et 2 % des personnes avec un seul comprimé sont gênées tout le temps ou souvent par le nombre de comprimés pris.

Traitements : la gestion au quotidien

L’enquête s’est tout spécialement intéressée à la gestion quotidienne du traitement. Des résultats indiquent des difficultés d’observance du traitement… Ainsi, 35 % des personnes vivant avec le VIH ayant plusieurs prises par jour et 18 % des personnes avec une seule prise de plusieurs comprimés ont déjà fait des erreurs de dosage. Plus de trois répondant-e-s sur dix oublient leur traitement au moins une fois par mois et un sur dix au moins une fois par semaine, particulièrement les personnes ayant plusieurs prises par jour (47 % et 19 %) et celles prenant un traitement depuis plus de 20 ans (43 % et 13 %). Concernant les moyens utilisés pour ne pas rater les prises : 57 % des personnes avec plusieurs prises, 48 % des personnes avec une prise de plusieurs comprimés et 31 % des personnes avec un seul comprimé utilisent un pilulier et 17 % utilisent une alarme ou une application pour Smartphone.

Autre point abordé les modifications volontaires du traitement. 70 % des participant-e-s ont déjà décalé volontairement les horaires de prise de leur traitement actuel. 10 % ont déjà modifié le nombre de comprimés et/ou de prises par jour de leur traitement actuel. 22 % ont déjà suspendu pendant plusieurs jours leur traitement actuel, plus fréquemment les femmes et les personnes qui disent être fatiguées. Une des principales raisons des arrêts de traitements est la suivante : laisser le corps se reposer et réduire les effets indésirables : 64 % des participant-e-s sont d’ailleurs tout le temps ou souvent inquiets et inquiètes des effets négatifs du traitement sur le long terme.

Les données de l’enquête indiquent aussi le "souhait de changement de traitement vers l’intermittence de la prise". 37 % des personnes voudraient changer de traitement si elles en avaient la possibilité, principalement pour un allégement du schéma posologique (57 %) ou pour la perspective d’une réduction des effets indésirables (35 %). Parmi elles, 49 % précisent souhaiter un comprimé par jour. Avoir des difficultés n’impliquent pas nécessairement de vouloir changer de traitement : 51 % des personnes en ont à intégrer la prise au quotidien et 56 % de celles qui ressentent des effets indésirables sont dans ce cas.

Amélioration des vécus du traitement… et effets indésirables importants

La vie avec le traitement a évolué de manière positive avec moins de contraintes à la fois sur le plan des effets indésirables et des schémas posologiques, expliquent les auteures de l’étude. Cependant, des améliorations sont encore possibles et nécessaires, avec des effets indésirables ressentis par sept personnes sur dix, vivant avec le VIH, et une inquiétude généralisée des effets négatifs du traitement sur le long terme. "Les effets indésirables ont à la fois un impact sur l’observance du traitement, mais plus largement sur l’adhésion au traitement au sens large, en modifiant significativement la relation au médecin et la perception du traitement et de l’état de santé, et, par ces biais, la motivation à continuer la prise : trois personnes sur dix ne se sentent pas assez écoutées par le médecin, quatre sur dix ne se sentent pas en bonne santé, quatre sur dix pensent que le traitement n’améliore pas leur santé, trois sur dix ont déjà arrêté le traitement.

Les personnes vivant avec le VIH prenant un seul comprimé par jour ont moins de difficultés à gérer la prise au quotidien : elles ont moins d’effets indésirables, elles se sentent en meilleure santé et le poids de la prise quotidienne est moins important. Par conséquent, elles arrêtent moins souvent leur traitement : 15 % contre 21 % des personnes prenant plusieurs comprimés en une prise et 34 % des personnes avec plusieurs prises.

Les personnes débutant un traitement contre le VIH

"La perception de la mise sous traitement a changé de signification et est de plus en plus vécue comme un évènement rassurant", expliquent les auteurs de l’enquête. Reste la crainte des effets indésirables qui est "largement diffuse". Ainsi, une personne vivant avec le VIH sur dix mise sous traitement depuis moins de deux ans n’est toujours pas favorable (même si elle prend un traitement) au fait de commencer un traitement. "Les contraintes du traitement et le poids de la séropositivité récemment découverte semblent être des éléments [ayant plus d’impact] sur le vécu du traitement que le schéma posologique, le fait de débuter un traitement en un seul comprimé par jour ne réduisant pas les difficultés déclarées à gérer la prise. Mais "la prise d’un seul comprimé par jour réduit significativement le stress d’oublier une prise et le risque d’avoir des effets indésirables". "Favoriser ce type de schéma posologique lors des initiations de traitement pourrait donc contribuer à simplifier le vécu de cette étape essentielle du parcours médicamenteux" préconisent les auteurs. Par ailleurs, les résultats montrent que l’adhésion de la personne au fait de commencer un traitement a un impact sur le vécu de ce dernier, mais aussi sur l’observance future : une personne sur deux ayant eu une "perception négative" de sa mise sous traitement a des difficultés dans la gestion quotidienne de la prise et deux sur dix oublient leur traitement actuel au moins une foi par semaine.

Prendre en compte les "vulnérabilités"

Dans les éléments de discussion des résultats de cette étude, SIS Observatoire pointe le fait qu’il y ait d’un côté une"nette amélioration des vécus du traitement" et de l’autre "des effets indésirables qui restent importants". Mis en évidence aussi, la demande d’une simplification du schéma thérapeutique "si possible vers un comprimé par jour". Par ailleurs, une attention particulière doit être portée aux personnes débutant un traitement contre le VIH. Enfin, de façon plus générale, les auteurs préconisent de "prendre en compte les "vulnérabilités" dans le cadre d’une prise en charge plus globale". Et SIS Observatoire d’expliquer : "Le dialogue médecin-patient nécessiterait d’être encore amélioré, et les stratégies de gestion de la prise dans la durée mieux reconnues et discutées ouvertement : les personnes ayant déjà suspendu leur traitement pendant plusieurs jours sont plus d’un tiers à ne pas en avoir parlé avec leur médecin. Plusieurs facteurs apparaissent liés au sentiment de ne pas être assez écouté par le médecin : d’une part des éléments relevant de l’expérience prolongée du traitement comme l’ancienneté du diagnostic (…), l’inquiétude au sujet des effets négatifs du traitement à long terme et le sentiment que le traitement n’améliore pas la santé ; d’autre part, des facteurs psychosociaux (…) comme le sentiment d’être fatigué à cause du traitement ou sans en connaître la raison, mais aussi le manque ou l’absence de soutien des proches face au traitement et/ou au VIH et les ressources financières insuffisantes voire très insuffisantes. Ces facteurs cumulatifs de "vulnérabilité" du patient sont particulièrement à prendre en compte dans le cadre d’une amélioration des échanges médecin-patient et plus largement d’une amélioration du vécu du traitement".

Des "zones de fragilité" se dégagent dans les parcours médicamenteux nécessitant une attention particulière des différents acteurs de la prise en charge du VIH (institutions, associations...), précisément lors de l’initiation du traitement, lors des changements de traitements et lors d’une expérience prolongée avec le traitement, avance SIS Observatoire. Et les auteurs de conclure : "Au-delà des impacts du traitement, le regard des autres influe sur ses modalités de gestion : il est une des conséquences de la prise du traitement la plus difficile à supporter, après les effets indésirables et la crainte d’oublier une prise. Ces résultats questionnent la responsabilité de la stigmatisation et des discriminations envers les personnes vivant avec le VIH : celles-ci ne facilitent pas, voire ne permettent pas, la dicibilité de la séropositivité et accentuent le poids de la pathologie dans la vie courante. Les combattre et accompagner la dicibilité de la séropositivité viendront faciliter les échanges autour des difficultés et par là-même améliorer le vécu du traitement et renforcer la qualité de vie".

(1) : SIS Observatoire contribue à l’information sur l’état de santé et les besoins des populations dans le domaine du VIH/sida, des IST, des hépatites et de la santé sexuelle. Il fait partie de SIS Réseau.
(2) : Données issues de la base de données FHDH ANRS CO4, "Prise en charge médicale des PVVIH. Recommandations du groupe d’experts. Rapport 2013 sous la direction du Pr Philippe Morlat et sous l’égide du CNS et de l’ANRS", p. 28.