Violences sexuelles entre hommes : autosupport

Publié par Fred Lebreton le 08.06.2023
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SexualitéViolenceHSH

Les 31 mai et 1er juin derniers avaient lieu les Journées thématiques IST, Prep et Santé sexuelle 2023, organisées par la SFLS (Société française de lutte contre le sida), au centre international de conférences Sorbonne Universités à Paris. Seronet était présent et revient sur une des présentations qui a abordé une thématique assez rare dans ce genre de réunions : les violences sexuelles entre hommes ayant des relations sexuelles avec des hommes (HSH) et la mise en place d’un groupe d’autosupport.

#MeTooGay : besoin d’espace d’accueil

Cette initiative était présentée par Stéphane Morel, coordinateur du Spot Beaumarchais (AIDES Paris) et Anne-Sophie, docteure en psychologie et psychologue au Cegidd de Montreuil et chez Actions Traitements. Les intervenants-es ont commencé par poser le constat scientifique sur cette question. À ce jour, il existe peu de données sur les violences sexuelles entre hommes en France. Le point de départ de la libération de la parole sur ce sujet est le hashtag #metoogay sur Twitter. En janvier 2021, plus de trois ans après la vague #MeToo, des milliers d’hommes gays et bisexuels se sont saisis du hashtag #MeTooGay pour dénoncer les violences sexuelles qu’ils ont subies.

Citons également le travail essentiel de Matthieu Foucher (journaliste et militant gay) et Jean-Baptiste Bonjean (qui se qualifie d’« homosexualiste », un courant « d'émancipation collective par et pour les pédés ») qui, le 13 octobre 2022, avaient fait une présentation remarquée lors du colloque de l’association Actions Traitements. Les deux militants avaient présenté les résultats de l’enquête Ined, menée en France par Mathieu Trachman et Tania Lejbowicz et publiés en novembre 2020. L’enquête montrait notamment que les hommes gays sont près de huit fois plus exposés aux violences sexuelles intrafamiliales que les hommes hétérosexuels (5,4 % versus 0,7 %). Ces violences, qui regroupent les sévices commis par les membres d’une même famille, mais aussi par les proches côtoyant quotidiennement ce cercle, sont pour la quasi-totalité infligées sur des mineurs-es. Matthieu Foucher expliquait qu’il y a moins de données concernant les violences sexuelles subies par les HSH à l’âge adulte, mais Alexandre Aslan (sexologue et psychiatre) et Nadège Pierre (psychologue au centre de santé LGBT+ Le 190) lui ont confirmé de nombreux récits de violences sexuelles, notamment parmi leurs patients qui pratiquent le chemsex (consommation de drogue en contexte sexuel) ; Parmi les problématiques soulevées : comment se construire en tant qu’homme gay ou bisexuel quand on a subi des violences sexuelles dans son enfance ? Quels espaces de paroles ont-ils en tant que gays pour exprimer ces violences ? Quel suivi spécifique ont-ils ? Sur quels outils peuvent-ils s’appuyer pour développer une culture du consentement entre hommes ? Matthieu Foucher soulevait aussi la question d’une « sur-rexposition » au VIH et aux addictions chez les hommes gays victimes de violences sexuelles. De son côté, Jean-Baptiste Bonjean insistait sur le besoin d’avoir des « structures d’accueil identifiées et identifiables ».

Dans leur présentation, Stéphane Morel et Anne-Sophie Petit précisent que les quelques données disponibles indiquent une prévalence de violences sexuelles aussi élevée chez les HSH (hommes ayant des relations sexuelles avec d’autres hommes) que chez femmes hétérosexuelles (Kubicek, 2016). Avec la difficulté de quantifier cette prévalence car il y a peu, voire pas de signalements de ces violences sexuelles, principalement par peur de la discrimination (et une faible utilité perçue du recours aux autorités). Par ailleurs, les intervenants-es pointent une sur-exposition aux violences intra-familiales chez les HSH en comparaison aux hommes hétérosexuels (Enquête Virage 2020 ; Balsam & Beauchaine, 2005) sans qu’il n’y ait d’explications à ce jour sur les raisons. Les conséquences de ces violences sexuelles sont multiples et profondes. Le trauma généré par ces violences provoque souvent un stress post traumatique sur la santé, une altération de la santé mentale et physique, un moindre recours aux soins, un risque accru d’acquisition du VIH et des IST, des difficultés pour négocier le port du préservatif, des difficultés à prendre la Prep, etc. Chez les personnes vivant avec le VIH, le statut sérologique peut être le point de départ ou le renforcement des violences (sexuelles et/ou physiques).

La parole se libère, mais qui pour l’écouter ?

Stéphane Morel et Anne-Sophie Petit soulignent les nombreuses difficultés dans les prises en charges de ces violences sexuelles entre hommes à commencer par l’enjeu de caractérisation de ces violences, mais aussi la fréquence d’exposition, la « nature » de l’agresseur et le cadre de l’agression. Pour donner un exemple concret, il est parfois difficile pour l’homme agressé de caractériser qu’il a subi une agression ou qui est son agresseur quand les violences ont eu lieu dans un lieu de consommation sexuelle avec partenaires multiples (sauna, backroom, sex club, partouze, lieu de drague extérieur etc.). La consommation d’alcool et/ou de drogue peut également altérer la notion de consentement et le souvenir même de l’agression et de l’agresseur. Par ailleurs, il n’existe peu, voire pas d’outils et de formations pour accompagner les hommes victimes de violences sexuelles.

Le Spot Beaumarchais, est un centre communautaire de santé sexuelle porté par l'association AIDES, situé à Paris entre les quartiers de Bastille et du Marais, au centre de Paris. Depuis fin 2016, le Spot Beaumarchais propose des groupes d’autosupport pour les hommes gays ou bisexuels qui pratiquent le chemsex qui souhaitent réduire, arrêter ou juste discuter de leur consommation. C’est dans le cadre de ces groupes et aussi d’entretiens de suivis individuels menés par des pairs communautaires que le sujet des violences sexuelles est ressorti. Stéphane Morel et son équipe du Spot ont identifié une récurrence de trois temps de vulnérabilité chez les usagers du Spot qui ont témoigné de violences sexuelles : l’enfance, l’entrée dans la sexualité et la pratique du chemsex.

Une fois la parole libérée, vers qui orienter les personnes ? C’est toute la difficulté rencontrée par l’équipe du Spot. Stéphane Morel pointe une absence de visibilité de la prise en charge des hommes victimes par les associations spécialisées dans les violences sexuelles et une méconnaissance des associations spécialisées dans les pratiques de la communauté gay et en particulier du chemsex. Il n’existait pas non plus de groupe de parole ou d’autosupport pour les hommes victimes de violences sexuelles ni d’une structure d’accompagnement au dépôt de plainte.

Apprendre avec les personnes

Partant de ce constat, l’équipe du Spot Beaumarchais a décidé de mettre en place un groupe d’autosupport pour les hommes gays et bisexuels victimes de violences sexuelles. Des freins internes ont été identifiés comme le besoin de se former sur la question des violences sexuelles, mais aussi la crainte de donner de faux espoirs ou créer un « appel d’air » si le Spot venait à communiquer trop largement sur ce groupe. Malgré ces freins, l’équipe du Spot s’est lancée et a identifié une animatrice expérimentée des groupes de parole en lien avec les violences sexuelles. Par ailleurs, l’équipe du Spot Beaumarchais a pu mettre en application ses années d’expérience en démarche communautaire et sa connaissance fine de la sexualité entre hommes et du chemsex. « On a jamais fait, mais on va apprendre avec les personnes, était notre état d’esprit », a expliqué Stéphane Morel. Le groupe a été lancé en janvier 2023, deux mercredis par mois de 19h à 21h30. Les participants ont été proposés sur orientation (usagers du Spot, personnes qui ont témoigné avec #metoogay ou patients du  Cegidd André Grégoire à Montreuil). Le groupe est co-construit avec les participants. Il est limité en nombre de participants, mais pas « fermé » (cela voudrait dire qu’aucun participant nouveau ne peut rejoindre ce groupe). Chaque soirée est co-animée par un binôme comprenant un-e psychologue et un accompagnateur pair.

De nombreuses observations sont ressorties du fonctionnement de ces groupes, quelques mois seulement après leur lancement : Des difficultés dans le rapport à l’autre (hyper et hypovigilance) ; des difficultés dans la sexualité (absence de sexualité ou au contraire multiplication des partenaires et des pratiques dites « hard » qui exposent à des risques de contracter le VIH et des IST) ; mise en place de stratégies de « coping » (faire face aux émotions négatives associées à un évènement traumatique comme peut l’être une violence sexuelle), ou encore les addictions (alcool, drogue, sexe, smartphone etc.). Parmi les stratégies de « coping » communautaire, les intervenants-es citent la trace du trauma. C’est-à-dire le fait de marquer le corps comme un objet (tatouages, scarification, piercings, etc.) mais aussi de sculpter ce corps pour en faire une carapace. De façon plus ou moins consciente, il s’agit d’effacer le corps de l’enfant vulnérable pour laisser place à un corps d’adulte très musclé et donc (dans un certain imaginaire), le stéréotype de la virilité indestructible. Des échanges avec le groupe est également ressortie une recherche de reconnaissance(s) qui peut s’accompagner de divers (res)sentiments, notamment la culpabilité, la honte et la colère. La prise de produits pour anesthésier le trauma (chemsex) est un élément commun à une partie importante des participants aux groupes avec des pratiques sexuelles plus « hard ». Il y alors un travail à faire pour déconstruire les croyances et biais sur la sexualité et retrouver du plaisir et une sexualité sans produits. Quelles sont les pistes envisagées par le groupe pour prendre soin de soi ? Les participants ont proposé des activités à faire entre membres du groupe et la mise en place d’actions communes, réciproques et partagées (voir une expo, s’offrir un produit pour le corps, se cuisiner un plat, etc.).

D’autres groupes dans l’avenir ?

Et si ce groupe était le début de quelque chose de plus grand ? C’est le souhait de l’équipe du Spot qui espère que le modèle de ce groupe pourra être répliqué et diffusé, en interne (au sein de AIDES) et en externe dans d’autres associations ou structures. Le besoin est identifié et l’offre semble répondre à la demande. La démarche en santé communautaire est également mise en application puisque certains participants sont mobilisés vers le rôle de co-animateurs des groupes  Cependant, il reste beaucoup à faire, notamment documenter et enrichir les connaissances sur les spécificités des violences sexuelles chez les hommes ayant des relations sexuelles avec des hommes (HSH) et (se) former sur l’accompagnement de ces violences. Par ailleurs, se pose la question d’une augmentation des demandes : comment faire savoir que ce groupe existe sans se retrouver noyé/dépassé par la demande ? Enfin, quid des HSH victimes de violences sexuelles qui vivent en région ? Clairement, il va falloir d’autres groupes… Et vite !