"Vivant !" : une captivante leçon de vies !

Publié par jfl-seronet le 08.10.2014
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InitiativeVivant !Disance 2014

Le 6 octobre, 3ème journée nationale de la Disance, le Louxor, mythique cinéma parisien, accueille la première projection publique de "Vivant !" un long-métrage de Vincent Boujon, un moment exceptionnel, suivi d’un échange entre l’équipe du film et la salle. Seronet y était.

C’est à lui que la parole est donnée en premier. Lui, c’est Eric, un des protagonistes de "Vivant !", le film documentaire de Vincent Boujon. Le film a été tourné il y a près d’un an. Eric a changé depuis. Il s’est affiné et a manifestement gagné en musculature. D’ailleurs, il a marqué le coup lorsqu’il s’est vu pour la première fois à l’écran : un rire. Une réaction spontanée, un rire à l’évocation des souvenirs du tournage. Eric est le seul de l'équipe à voir le film pour la première fois. On lui demande son impression, à chaud, à l’issue de la projection. "J’ai beaucoup ri", lâche-t-il dans un sourire. "Après, quoi dire, c’est super. C’est exactement comme cela que ça s’est passé". Plus tard, Eric explique : "On peut toujours avoir des craintes lorsqu’on tourne que le montage, au final, ne restitue pas les choses comme on les a vécues, qu’il trahisse la parole. Dans ce film, rien de tel, c’est tout à fait ce que nous avons dit, très fidèle à ce que nous avons vécu".

Sur scène, à côté de Mateo, un des cinq héros de "Vivant !", se tient la longue silhouette de Tommy, le directeur technique de l’aérodrome. C’est lui qui a fait équipe avec Mateo, pour un saut en tandem. Lui qui a été le filet de sécurité du jeune homme. "J’ai passé un bon moment", explique Tommy, tout sourire. "J’ai un peu l’impression d’être au boulot… mais le film transmet bien le ressenti, l’inconnu, la peur, l’appréhension, la montée d’adrénaline… tous les sentiments que peut éprouver quelqu’un qui effectue son premier saut". C’est toujours le point obligé lors d’une projection. Il faut remercier publiquement celles et ceux qui ont permis au projet d’exister. Vincent Boujon le fait, content que l’équipe technique du film soit là, celle de la production aussi et de pouvoir compter sur la présence de trois des cinq "acteurs". Ici, des guillemets s’imposent… parce qu’Eric, Mateo, Vincent, Pascal et Romain ne sont pas des acteurs. Et on entend l’embarras à les nommer ainsi lorsque les spectateurs posent une question, puis se reprennent pour parler de "personnages" ou de "protagonistes" et même de "héros". C’est ce terme qui leur va sans doute le mieux.

Alors le choix des "acteurs" ou plutôt des "héros", comment a-t-il été fait ? "Pas de casting", répond le réalisateur. Il retrace le fil du projet : une discussion avec un salarié de AIDES, association dont Vincent Boujon est lui-même militant, l’envie de ne pas faire un film conventionnel sur le VIH, de ne pas proposer les classiques entretiens filmés, la volonté de parler du côté un peu héroïque de cette aventure qu’est la vie avec le VIH… puis l’idée du saut en parachute qui s’impose, la recherche de "cinq fous prêts à se lancer dans le vide" dans tous les sens du terme. "Beaucoup de gens ont été rencontrés, certains ne voulaient pas sauter, d’autres pas se livrer comme le demandait le projet… Et puis, il y a eu les rencontres de la vie", explique Vincent Boujon. Dans la salle, un spectateur demande pourquoi l’absence de femmes ? "Cette question d’associer des femmes ou pas, je l’ai longtemps portée en travaillant sur ce projet", explique le réalisateur. "J’ai fait le choix de tourner avec des personnes qui pouvaient me correspondre, avec lesquelles je pouvais parler plus facilement de sexualité, d’intimité. J’avais l’impression que je n’en serais pas capable avec des femmes. Et puis, j’avais l’idée de créer sur ce projet un groupe, de retrouver cette idée de communauté, de solidarité entre cinq garçons pédés et séropositifs, une façon de rappeler ce qui s’est passé il y a 30 ans avec ces jeunes gays qui ne se connaissaient pas qui se sont retrouvés dans des hôpitaux ensemble, avec la solidarité qu’il y avait entre eux…"

Cette complicité, on comprend bien qu’elle imprègne le film et qu’elle frappe les spectateurs. C’est ce qui rend le film "touchant" comme le dit François, un militant de la lutte contre le sida. "J’ai trouvé le film super émouvant", explique Pascal, séropositif et militant lui aussi. "Nous avons fait plein de sauts en parachute… Ce film nous en a mis plein la gueule comme le vent qu’on prend dans le visage lors d’un saut… Cela nous montre qu’on est vivant", explique ce dernier. "Ce sont des sujets très forts qui sont abordés dans ce film. Les parallèles entre le saut en parachute et le VIH sont nombreux comme celui du risque zéro. C’est très frappant ce qui en ressort", avance François. "Du coup, les "acteurs" ont-ils suivi une trame", demande-t-il. "Non", répond Vincent Boujon. "Le handicap du film a été son financement… Le temps de réunir le montant nécessaire a permis, en amont du tournage, de nombreuses discussions entre nous. Cela a créé un climat de confiance. Nous n’avons pas eu à tourner énormément [le film a été tourné en une semaine, ndlr]. Les discussions de groupe représentent chacune deux heures à deux heures trente de rush… pour dix minutes d'image dans le film", explique Vincent Boujon. "C’était d’ailleurs un peu déroutant", avance Vincent, un des "héros". "Moi, j’avais besoin d’un peu de direction". Il n’y en a pas eu… juste quelques questions du réalisateur. "Les échanges ont toujours été très libres et souvent très drôles", rappelle ce dernier, ce qui a provoqué de nombreuses coupes au montage. "J’ai beaucoup ri… je pense encore à quelques boutades sur le tournage", confirme Eric.

Des rires, il n’y en pas uniquement eu chez les "acteurs". Dans la salle du Louxor aussi, on rit des expressions figées sur les visages avant le grand saut, des leçons techniques qui n'entrent pas dans la tête de certains apprentis sauteurs, du nord et du sud trop aisément confondus, des poignées à tirer allègrement mélangées… "Vivant !" est un film sur le sida… où l’on peut rire. Un nouveau signe des temps, un tournant dans la façon de parler du VIH… "Il y a une incroyable modernité dans la démarche et dans tout ce qui est dit dans le film", avance Alain, militant. "Ce film nous place bien dans l’ère de la fin de l’épidémie, de la non transmission, du bien vivre avec… je ne connais pas de films qui tiennent un tel discours". "Vous avez presque tout dit. Lorsque vous expliquez que chaque étape, le dépistage, la consultation, les résultats, l’ouverture de l’enveloppe avec les résultats du bilan, en parler aux autres, etc. peut être comparée à un saut. C’est exactement cela. Je suis séropo. Il est primordial de parler de la séropositivité à l’extérieur", explique une spectatrice. Elle le fait d’autant plus qu’elle est venue de Rouen où elle vit et milite pour assister à cette projection et qu’elle a participé à l’événement Femmes séropositives en action (FSA) où est né le concept de la Disance. Cette idée qui donne aujourd’hui lieu à cette 3ème journée nationale de la Disance. "Je suis émue par ce film" explique Germaine, autre militante rouennaise. Je fais partie des femmes qui ont créé la Disance. Nous n’avons pas voler, rien fait de mal, ce qui nous est arrivé peut arriver à chacun. Nous n’avons pas raison d’en avoir honte. Il est grand temps que l’on sorte, que l’on dise. En restant muette, je donne le sentiment que j’ai quelque chose à me reprocher".

"Avant, il y avait la dicibilité [le fait de parler publiquement de sa séropositivité, ndlr], mais cela ne donnait rien. Avec la Disance, cela peut changer", explique Germaine. Changer les idées reçues, rendre visible la séropositivité, présenter autrement la vie avec le VIH, c’est aussi cela le but du film de Vincent Boujon. On y traite de choses graves, mais sans apitoiement. Parler de son parcours, parler de sa vie ne vise pas à faire ici le deuil des choses perdues, mais à montrer que des envies existent, que des espoirs sont permis. Dans le film, Eric, séropositif depuis 1998 (il avait alors 18 ans), explique bien la renaissance qu’il a connue, le saut courageux qu’il a fait dans l’avenir comme celui qu’il a fait, le premier des cinq, dans le vide lors du tournage. Un saut pour devenir un autre. Evoquant l’avant et l’après saut, Eric explique : "Je n’ai plus aucune barrière. Je le vis encore mieux que je ne le vivais déjà avant". "Le film m’a marquée. Je suis séropositive depuis 1998, la même année qu’Eric. Nous avons traversé beaucoup de choses… aujourd’hui, je suis prête à le dire à tout le monde, à expliquer que le VIH, ce n’est pas la mort. Je le fais dans la vie de tous les jours, au travail, avec mes proches. J’essaie de modifier cette image… comme le fait ce film à qui je souhaite bon vent".

"Une telle expérience permet de relativiser beaucoup de choses", explique Vincent, après son grand plongeon. "C’est la plus grande expérience de ma vie", confirme Mateo. "Ce sera difficile de trouver quelque chose d’autre d’aussi fort". Une main se lève et demande le micro. "Je veux tous vous remercier… surtout pour la façon dont vous abordez la maladie. Vous montrez que même s’il y a le VIH, il ne faut pas s’arrêter là, qu’il ne faut pas pleurer tous les jours. Ce sont des battants, des héros. Nous, leurs proches, nous devons les soutenir, leur donner de la force, dire que nous sommes fiers d’eux… comme je suis, moi, fière de mon, frère. Merci de cette soirée !", lance, avec énergie, une jeune femme au milieu de la salle. Elle est la sœur de Mateo.

"Je ne suis pas homosexuel. Je ne suis pas séropositif", attaque un des participants au premier rand de la salle du Louxor. "C’est en producteur, en professionnel de l’image, que je voudrais faire un compliment. Ce film est un merveilleux film sur la peur. Il nous démontre que le contraire de la peur : c’est la parole et la confiance". Du courage et de la confiance, il en faut pour relever ce double défi : parler publiquement de sa vie avec le VIH, sauter dans le vide… Faire confiance à l’autre, avoir confiance en soi, avoir le courage de dire, avoir celui d’entendre. Ces idées-là… on aimerait tant qu’elles tournent dans toutes les têtes. Elles tournent certainement dans celles qui ont vu et verront ce film, à l’image de l’avion dans le ciel du dernier plan de "Vivant !"

Femmes séropositives en action : retour sur le film "Vivant !"
Elles ont participé à FSA (Femmes séropositives en action), elles ont assisté, le 6 octobre, à la projection du film de Vincent Boujon. Impressions.
Anne : "Le parallèle du saut en parachute, de la chute libre, du saut dans l’avenir, ça donne envie de faire la même chose ! Il ne faut pas que ça s’arrête la Disance, sinon la stigmatisation reviendra !"
Valérie : "Je me sens proche de ces garçons. Ce vide là, me ramène des années en arrière, quand je suis allée me faire dépister. La salle d’attente, c’est la montée de l’avion, et quand on rentre dans le bureau du médecin, c’est le grand saut. Moi tous les jours, je "saute", ça passe ou ça casse et advienne que pourra. On me propose un saut ? Je suis partante !"
Germaine : "Moi, j’aime tellement sauter ! Ça donne envie de faire comme eux. La Disance, moi, c’est tous les jours ! Une fois que je suis lancée, on ne m’arrête plus !"