Angot/Rousseau, l'impossibilité d'une parole ?

Publié par Rimbaud le 05.10.2017
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       L’actualité médiatique, c’est le clash Angot / Rousseau (pas Jean-Jacques, il n’y serait pas allé !), autrement dit une femme violée face à une femme politique victime d’attouchements sexuels. C’est forcément violent, d’autant que l’enjeu, c’est le langage, la possibilité de dire – ou non – l’indicible. La première hurle qu’il « faut se débrouiller », qu’on ne peut former personne à une telle écoute, qu’on ne peut formuler l’informulable, et elle a raison. La seconde se bat pour que ces femmes aient un lieu où parler, des gens à qui parler, et elle a rédigé un livre, et elle a raison. La séquence est terrible et le paradoxe, c’est que celle qui croit à l’indicible parle beaucoup quand l’autre, qui défend la possibilité de l’émergence d’une parole, pleure. Le langage échappe, incontrôlable, terrifiant, excessif, sans maîtrise, indomptable. Au milieu, le présentateur, en périphérie les invités, des hommes, ne disent rien. Ce silence aussi est glaçant. Le spectacle est donc total. Sous couvert de vendre un livre et de porter son combat auprès du plus grand nombre, on accepte ce genre d’invitation. Un passage télé, c’est cent mille ventes assurées. C’est la marchandisation de la douleur. L’abolition de toute réflexion. On jette en pâture aux singes deux femmes que tout unit et qui se livrent un combat de chiens. Plus tard, dans les loges, elles s’embrasseront. La douceur reviendra. C’est dire la puissance des caméras et combien elles y croient, à leur parole prophétique, quand tout est artifice, spots de lumière fausse, applaudissements, musique assourdissante, et le pognon coule à flot.

Pourtant, je me dis que ça a le mérite d’exister. Je me dis qu’un échange, même irresponsable et odieux, c’est toujours préférable au silence, au tabou, à l’invisibilité. Je me dis que peu importe le canal et la horde de vautours qui mettent en scène et dévorent la misère d’autrui, il y a eu quelques femmes agressées derrière leurs postes, ce soir-là, qui ont été incarnées, qui ont été représentées, qui ont refusé. Je me souviens du fameux « c’est quoi ce pays de merde ? » lancé lors du second Sidaction par Christophe Martet, président d’Act Up. J’étais jeune et je ne comprenais pas alors cette colère. Je trouvais ça indécent, inapproprié, pas à sa place, contre-productif. Mais il y a des excès nécessaires, des paroles expulsées qui débordent et menacent un système (la comparaison s’arrête là tant de nos jours le système sort renforcé de tels jeux du cirque.) Les débuts d’un combat sont toujours maladroits. Il faut du temps pour parvenir à une parole apaisée et cet apaisement est tout aussi dangereux. Il faut réveiller les consciences. Il faut bousculer les discours trop policés, ceux qu’on n’entend plus, ceux qu’on ne comprend plus. J’aime les excès autant qu’ils me plongent dans l’angoisse de l’incontrôlé. Ces personnes qui portent en elles une part de destruction et de manque ont le courage de se saisir d’un langage, quel qu’il soit, courent le risque de l’incompréhension, le risque de voir s’épaissir un peu plus les murs de leur solitude, le risque de se voir à nouveau jetées contre les épines qui protègent les bien pensants, le risque que leur syntaxe d’écorché se retrouve réduite en miettes et que les forces vives qui les animaient volent en éclats. Il n’y a pas de parole sacrée. Il n’existe pas un manuel de la bonne parole. Il y a l’impossibilité du silence face au tumulte qui tonne et la mise en échec du langage, quand tout en soi exige une libération anticipée, véritable alien enchaîné dans les entrailles de la douleur.