Chroniques athéniennes d’une Panthère mauve. Eloge metaphysique de la laideur.

Publié par bernardescudier le 31.12.2017
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Voici un texte d'un ami franco-italien grec ... qui evoque la question de l'apparence et de la laideur dans la cristallisation de l'amour. Chez les Gays, tout serait selon cet ami pervers et narcissique. Je prefere parler de l'Eloge metaphysique de la laideur.

 

Bonne annee a tous .... 120 battements par minute pendant 100 ans pour tous au moins .... avec beaucoup de Loupvert et de Pantheres.

 

 

Editions internet 1760.

 

Chroniques athéniennes d’une Panthère mauve

 

A peine aperçu, je vis un garçon sans âge, au poil gris et noir qui ne souriait pas. J’étais sur le pas de la porte en bois, sur le seuil de cette maison athénienne que j’occupe depuis de nombreuses années. Quoique grand, son pas était nonchalant et élastique comme une panthère mauve dans la couleur de la nuit de cet automne qui était très doux. Il entra dans le salon dont la lumière ocre était fluidifiée par ma lampe-tripode métallique. Il n’était pas beau, il était extrêmement séduisant. Je découvris trois visages qui se composaient et se décomposaient sous l’étonnement de mon regard. Sans parler, le sexe et le désir se lièrent avec rapidité, il dégrafa la boucle de ma ceinture et saisit mes lèvres avec aisance, fougueusement. J’étais agile dans mes gestes avec cet inconnu qui tenait mon bas-ventre à pleines mains. Conscient de mes actes dans la recherche du plaisir, je dérobais des morceaux de son corps que je dévêtis à une vitesse expresse avec des clignements des yeux. Malgré la désinvolture de son apparence physique, il était beau quand il enlaçait et embrassait comme un jeune amant. Une douleur et une douceur embrasaient les mouvements gracieux de son corps. Sa laideur était consumée par la force de son élan vital. Quand je saisis son sexe, ses fesses et ses seins, j’étais prompt, tendre et alerte. Le frémissement des sens était là, cette chanson de la peau et de l’énergie des membres qui se frôlent, se heurtent, se faufilent dans un rythme clairvoyant , vif. En peu de secousses et de râlements, nous sommes devenus amants, des amants qui appréciaient le temps qui passe. Un temps hors limites.

 

Il me regarda avec hauteur quand il demanda au matin un cendrier. Je répondis : « Peut-être que tu peux fumer ». Une grimace embruma ses yeux pétillants. J’esquivais en offrant une plaisanterie. Une triste joute verbale s‘ouvrit sur le récit de ses exploits dans son pays de Thessalonique, au prés de Cavalla, en Chalcidique de Thrace, entre les doigts des magiciens thraces et de la montagne sacrée orthodoxe. Son grand-père, fermier, résistant pendant la guerre contre les Allemands était communiste, avoua-t-il dans une moue d’enfant. Il était apeuré et ravissant quand il se confessa. Il professa sa foi communiste, précisant avoir lu à 18 ans le Capital de Marx. Je le scrutais avec effroi et surprise. Est-ce qu’il mentait à bon escient ? Une mise en abîme se profila dans mes méninges surexcitées par la fatigue. Nous nous reposâmes jusqu’à plus de midi. Et puis il disparut, en laissant immédiatement son numéro de téléphone. Tout est facile, pensais-je, surpris par sa liberté à disposer de mes souhaits. Son téléphone avait retenti deux fois assez longtemps. Il avait décroché et conversé avec deux garçons différents. Je m’étais amusé en le voyant minauder avec des formules de politesse grecque, tapotant son mollet ou un tatouage du Petit Prince de St Exupéry était modelé avec soin. Le format du Petit Prince était grand. Voilà un Prince qui faisait la Panthère et ronronnait entre 3 tasses de café noir à la Française que je lui administrais entre deux baisers. Du temps passa.

 

 

La médiocrité ou la fatuité de mes paroles m’apparurent, pas à pas. Enfin je le prétendrai. Je me remémorais sans cesse cette phrase d’un auteur franco-italien : - « Quant à sa laideur réelle, je l’ai oubliée. Parce qu’une énergie le portait et la sublimait. - La nave va…, durant 9 mois j’ai oublié sa laideur physique. Désormais, je vois sa laideur réelle et morale. Comme si le masque de l’énergie, qu’il porte et cache cette laideur, était tombé….. » Il ne répondit pas à mes messages par sms. Rien. Le hasard objectif rendit la réalité de la relation. Entre deux mouvements de draps, il avait assuré avec opiniâtreté tel un enfant audacieux qu’il était assistant metteur en scène ou de production pour le théâtre et le cinéma. Et il avait confié sa passion pour les musées qu’il fréquentait dés sa prime jeunesse, en homme libre. Selon ses propres termes. Pendant son service militaire en Grèce du nord, il se rendait pour ses permissions de sortie dans un musée d’une petite ville ou d’un village. Il raconta cela, sans détours. Avec l’appétit et la fraîcheur du néophyte averti. Et sans blaguer, il rapporta que, deux ou trois fois par semaine, il aimait parcourir les théâtres et leurs spectacles, ainsi que les salles des musées ou d’arts visuels dans les galeries d’Athènes sinon il « bruissait » au son de la musique du Mégaron de la cité millénaire, et des scènes d’opéra. Je fis part de mon goût pour la musique profane ou sacrée. Regrettant la musique sacrée, instrumentale, qui n’est pas jouée dans les espaces du rite cultuel orthodoxe. Il était un professionnel des arts visuels par appétence personnelle, semblait-il, et il ajouta être devenu sculpteur par attrait des formes à construire, à créer d’un bloc brut.

 

 

Depuis mon adolescence, l’ingénuité des formes à révéler dans une matière dure captive mon attention et mon intellect. Je l’ai écouté avec curiosité, embarrassé par la peur d’une projection. Parmi les arts classiques ou nouveaux, je préfère la section sculpture dans les Musées que je visite, et les espaces « à voir » ouverts au public. Les arts figurés m’intriguent dans l’étude de leur aperçu, de leur description, du choix des coloris, du tracé, ou de la combinaison des scènes ou de la variété des motifs ou des thèmes. Leur introspection « intellectuelle « lie des constructions mentales millénaires, les choix d’une communication « visuelle » à entendre, à approcher dans leurs ruptures ou leurs globalités conceptuelles ». Faut-il encore avoir l’esprit ouvert au monde des images ! Par delà le cercle des terres et des eaux, par delà les frontières de nos coutumes cérébrales, de nos rites de passage ou de communication, le silence du cabinet d’études est propice à la découverte des arts figurés. Manolis puisqu’il se nommait comme tel, avait éveillé mon regard.

 

Quand il avait fui, bousculé par la perte du temps, au matin de notre rencontre, il avait déclaré que je pouvais le croiser dans un restaurant de Falafel, sur la place Exarchia, très proche de chez moi, ou il travaillait chez des amis, dit-il, en journée. Je ne m’y rendis pas. Mon chemin journalier pourtant m’amenait dans ces parages. C’était une suite de magasins psychédéliques, au New style pour les fringues ou les lunettes de vue, ou des échoppes pour la nourriture dont la banque s’ouvrait à l’ancienne sur la rue. La fenêtre de la devanture, ou la porte d’entrée de ces kiosques, étaient attenantes aux ruelles et à l’espace public, tandis que des « artisans » fabriquaient devant les yeux des passants les mets prodigués avec une certaine bonhomie aux centaines et aux milliers de personnes qui de nuit comme de jour arpentaient les ruelles de cette place athénienne, au centre de la cité, connue pour ses anarchistes, et ses rebellions. Plus de 30 ans auparavant, j’avais dévalé la colline du Lycabète, la colline du Loup, après des nuits de travail à l’école française d’Athènes, l’école d’archéologie si fameuse, si ancienne, si critiquée pour sa construction à l’époque coloniale, et j’avais déambulé entre les tavernes qui peuplaient ce lieu « tropical » à l’été, et ombragé.

 

La déchéance et la vie simple, belle se côtoyaient, fusionnaient jusqu’aux heures les plus matinales, en particulier dans les bois « ouverts » du Parc Alexandros, qui fermaient le quartier d’Exarchia, à proximité du très vieux et très digne musée archéologique, national. Exarchia était un enclos sacré ou riches, très riches, et pauvres , très pauvres, intellectuels, artistes ou désoeuvrés, se mêlaient à une foule bigarrée de Regazzi comme les goûtait Pier Paolo Pasolini.