Complaisance

Publié par Rimbaud le 16.09.2017
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Le risque est réel d’une dramatisation, d’une peinture grossière et sans précision, d’un style hyperbolique à la façon de ceux qui ne disent pas Je suis séropositif mais J’ai le SIDA. C’est renier les malades, insulter les morts, se tromper d’époque, s’inventer un personnage, un Argan des temps modernes. L’Esprit est préoccupé par la présence du virus avec lequel il joue : il en use à la façon des divas tout occupées à élaborer un style mélodramatique pour attirer les regards, susciter la compassion, déclencher une déferlante d’amour et voir se poser sur elles, toujours distantes, inaccessibles, incomprises, des regards tristes et aimants. Regarde comme je suis forte, regarde ce que j’affronte, admire mon courage, admire ma volonté et cette façon que j’ai de relever la tête, de marcher droit, de ne pas faillir, de combattre l’assaillant que je parviens à dompter ! Ô mensonge éhonté ! Tu te sers d’un passé tragique, tu te reposes sur les représentations éculées de la société que tu entretiens, que tu places au service de ta stratégie mortifère. Tu considères l’avoir gagné, le droit à une considération de tous les instants, quand bien même tu ne prends qu’un cachet par jour, que tu bénéficies d’un suivi d’exception, que tu n’as à subir ni les diarrhées, ni les vomissements, ni les vertiges, ni le poids accablant d’une fatigue démentielle, rien de tout ce qu’ont affronté les millions de morts que tu instrumentalises. Tu t’enfermes dans le malheur comme on trouve un refuge sous une pluie battante, comme on regarde le désastre se répandre autour de soi en se sachant protégé, à l’abri, hors d’atteinte, dans la jouissance consciente de se tenir hors de portée de la menace. Tu inscris la contamination dans la fatalité d’une vie où tu n’as pas été épargné, comme une évidence, comme une attente improbable. Tu te sens enfin appartenir à un ensemble que tu dis considérer comme des frères mais dont tu ignores tout et auxquels tu n’es finalement lié que par l’imprudence dont vous avez tous fait preuve. Vous construisez vos heures à bâtir des discours médicaux, à analyser des épiphénomènes érigés en dogmes et tu crois y avoir ta place. Beaucoup ont vingt ans de traitements dans les veines quand tu n’es que néo. Tu n’as pas leur légitimité. Ton sang n’est pas le leur. Tu n’as ni subi, ni combattu. Tu n’as pas traversé les décennies de la peur. Tu n’as, pour l’heure, survécu qu’à toi-même, vivant parmi les vivants. Cesse de rechigner, cesse tes lamentations stériles et réjouis-toi ! Entame le chant des bienheureux, place ton énergie au service d’un mouvement festif, argenté, lumineux et danse sur la douceur des heures qu’il te reste à savourer !  

Commentaires

Portrait de frabro

Merci d'avoir dans ce texte retranscris avec talent ce que je ressens depuis si longtemps...

Bien que la fin puisse laisser penser que c'est du second degré, pour se moquer de ceux qui avance toujours la longueur de leurs souffrances pour mépriser celle des autres ? Mais je partage aussi cette analyse.

Donc, encore merci !

Portrait de Rimbaud

c'est vraiment une critique sincère de moi-même, je me dis la vérité en face en somme (oh le schizo ! mdr)... la fin n'est pas moqueuse, au contraire : tu verras, c'est le sens de mon prochain texte (en cours d'écriture). Je suis à un tournant, je le sens clairement... :) Mille mercis à toi, ton message m'aide aussi beaucoup.

Portrait de Cmoi

Pour moi le verdict est tombé l'année de l'arrivée des trithérapies, une porte s'était entrouverte mais nous n'avions aucun recul. Franchement, on y croyait pas vraiment. Et puis lorsqu'on a accompagné des gens jusqu'à la tombe, qu'on a vécu leur déchéance, leur délabrement jour après jour, assisté impuissant à leur détresse physique et morale, jusqu'à n'en plus pouvoir, jusqu'à fuir parfois *, et qu'on se dit çà y est c'est mon tour, les jours qui suivent "l'annonce" sont effroyables. On voit alors "défiler son passé, défiler son passé", et l'heure du bilan (pas biologique celui là) à sonné. Et on se réconforte, on se dit qu'après tout on a bien vécu, qu'on en a bien profité, et que d'autres sont partis beaucoup plus jeunes encore. Mais le soleil est noir et l'avenir se conjugue au passé, et seuls les souvenirs et les albums photos éclairent un peu le quotidien. Et puis vingt ans se sont écoulés et je suis là aujourd'hui, vivant, pour te raconter çà.

*un ami en fin de vie m'a appelé pour que je passe la soirée avec lui, il était seul ce soir là. Je n'y suis pas allé, j'ai prétexté un rendez-vous. J'y étais presque tous les jours, avec d'autres on se relayait pour être avec lui, pour "l'accompagner" comme on dit. Mais là je n' en pouvais plus. Voir quelqu'un d'aussi brillant (prof de français comme toi, metteur en scène) n'être même plus l'ombre de lui même mais une compilation de maladies, m'était devenu insupportable. J'étais à saturation, mes jambes ne pouvaient plus me porter jusqu'à chez lui. Sauf que cette soirée représentait les trois quarts du reste de sa vie, et jamais je n'aurais dû la lui refuser. J'ai terriblement honte, c'était en 1994, et j'éprouve encore vingt trois ans après le poids de la culpabilité. 

Portrait de Rimbaud

C'est que tu n'en pouvais plus et que tu avais atteint tes limites, et c'est totalement respectable. Je sais la futilité de mes propos mais sois juste avec toi-même : si tu n'y es pas allé ce soir-là, c'est parce que tu t'y es rendu maintes et maintes fois auparavant. 

Portrait de cbcb

à Cmoi
J'ai "accompagné" deux personnes... je ne m'en remettrai jamais.... pas la mort par elle-même, mais la souffrance !
Ces deux personnes savaient que c'était la fin, moi aussi, nous l'attendions pour que leurs soufrances s'arrêtent mais nous n'en parlions pas !
Je pense que pour eux, c'était important de ne pas mourir seuls, mais putain que c'est dur ! une partie de toi part avec eux.

Portrait de zak

comment ne pas penser au sida quand on est seropositif, c'est exprimer sa peur de l'entrée dans la maladie

cela n'est pas grave si cela n'enferme pas dans un statut de "malade".

prendre un traitement c'est bien pour lutter contre la survenue de la maladie mais ça n'est pas encore la maladie.

au regard de l'hisotoire de certains d'entre nous, nous avons été a certains moments proches du stade sida ou même considéré comme en phase sida. Les critètes fixant cette nomenclature ont évolué avec le temps.

pour ma part même à 80 t4 et une cv à millions (entre 2 et 3) je ne me suis pas considéré comme malade du sida, parce que je n'avait pas eu d'infections opportunistes spécifiques. Vis à vis de mes compagnons d'infortune j'etais parmi les plus vaillants. En ces temps nous cultivions l'empathie et la bientraitance envers chacun d'entre nous. nous avions de la pudeur il me semble a ne pas inquiéter l'autre sur ce que nous traversions notamment aux creux des vagues.

Cmoi,comme toi, je n'ai pas toujours été disponible quand tel ou tel avait besoin... mais a part nous, dis moi qui était là... la famille ? les potes ? les anciens amants ? les collègues ? les voisins ?... plus grand monde a dire vrai

sans gloire aucune à en tirer nous avons été là et notre présence a permis que ceux là reste dans la sphére de l'humanité. Par dela nos manques et nos faiblesses nous avons fait des courses ou le ménage, aidé à manger, changé des draps, des couches, des sondes, tenu des conversations parfois sans un mot échangé, caressé une main, essuyé une larme.... à leur domicile et parfois dans la chambre d'hôpital. Ces instants d'humanité nous les avons partagés avec eux.

Des décennies après les souvenirs des corps meutris, des regards qui se figent sont encore présents à mon esprit mais je privilègie le souvenir de ces actes ordinaires accomplis dans la discrétion et l'intimité des relations.

Portrait de cbcb

Loin de moi cette idée ! je l’ai vécu, j’étais là, c'est tout !