Condamnation à vivre

Publié par Rimbaud le 16.09.2017
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Tu crois être privé du droit d’évoquer un monde sans contamination. Tu crois à l’arborescence, aux ramifications mais ton virus n’est pas une origine. Ta parole n’en sera pas moins légitime. Tu te sers de lui pour être entendu, pour capter les attentions en engraissant ton narcissisme. Tu te trompes. Il y a tant d’images à transmettre qui diront que la vie n’est plus attaquée. Tu es l’incarnation du rêve des anciens qui sont allés chercher, jusque dans la mort, la victoire du vivant. Tu es leur hommage espéré, advenu. Tu es le sens de leurs luttes, leur repos mérité, leur retour des Enfers. Ton devoir, ta condamnation, ta sentence : c’est d’exulter, c’est de rire sous une explosion de senteurs orientales, c’est de t’émerveiller devant toutes les formes du génie humain qui parsèment la planète, c’est de goûter les vins de la terre, c’est de gravir les sentiers escarpés sous les dards d’un soleil ascendant, c’est de vibrer aux lectures qui sont des expéditions éclatantes, c’est d’être réveillé par une pensée juste et vivifiante, c’est de cultiver la terre et les étoiles, c’est d’embrasser la lumière insaisissable, c’est de prendre un corps dans tes mains, c’est de rêver aux lointaines planètes, c’est de cueillir la framboise aux fourrés, c’est d’élever la jeunesse par le savoir, c’est d’attendre sur le pont supérieur du navire le dessin trouble de terres nouvelles, c’est d’allumer les bougies des veillées de juillet, c’est de flatter le chien fidèle et fou, c’est d’embrasser les horizons imaginaires, c’est d’effleurer le piano de ton père, c’est de délivrer tes colères légitimes, c’est d’aimer à nouveau des amours sans retour et de rester hébété devant la stupéfaction de ta solitude, c’est de sourire de tes errances, c’est d’engager d’autres projets tournés vers de moins fortunés, de moins chanceux que toi, c’est d’ouvrir les portes superbes des villes folles pour, dans un oubli opportun, te coller aux corps transpirants, c’est d’haleter après avoir perdu le souffle, le contrôle et la vue, c’est de mettre l’ardente patience qui est la tienne au service d’une pensée, c’est d’embellir ta maison aux pierres centenaires, c’est de te tenir, l’œil vigilant, dans ce monde où les trains vont trop vite, où les intérêts s’entrechoquent dans un bordel sans nom, où l’on verrouille les enfances abîmées et donne aux chiens les fragilités les plus pures. Cela et tellement d’autres choses que tu dois découvrir dans la puissance d’une vengeance positive, tel un rachat post-mortem, pour que le sang d’Ignacio sur le sable n’ait pas coulé pour rien. 

Commentaires

Portrait de Pierre75020

Oh combien tu as raison ! Oh combien il faut refuser de se complaire dans la contemplation morose de soi même! Oh combien nous ne devons pas nous voir malades pour que les autres ne nous voient pas malades!Oh combien d'efforts devons nous faire pour nous ouvrir aux autres et aux lumières du Monde! Mais oh combien c'est difficile de se dépasser! Oh combien nous trébuchons et tombons! Oh combien il est difficile de résister quand nous sommes si faibles et si avides de consolations.

Portrait de Cmoi

Portrait de zak

différemment peut êre par cette irruption prématurée dans la conscience de la finitude de toute existence terrestre et en premier lieu pour soi même.

porter un autre regard/décentrer son approche sur les personnes, la nature, les événements, les éléments, ...

garder en éveil tous les sens : l'intellect, les sentiments, le toucher, la vue, l'ouie, le gout, l'odorat... pour vivre cette vie en évitant d'en perdre la richesse.

persister à s'emouvoir, s'emerveiller, s'indigner, à rester disponible aux autres

en qu'importe si narcisse est dans le coin, la renarcissisation est parfois nécessaire pour retrouver l'estime de soi écornée par ce virus les circonstances la culpabilité

Portrait de Rimbaud

excellent ce mot, j'achète !

Portrait de Rimbaud

il ne faut pas perdre de vue que ce n'est que le point de vue d'un nouveau séropo (que depuis février !)... je n'essaie pas de transcrire un point de vue universel, encore moins de parler pour ceux qui ont vécu des années de séropositivité. Je dis ça parce que tu parles d'efforts, de se dépasser, de trébucher, de tomber... ce que je comprends tout à fait; en fait, je suis surpris que mon texte puisse être intéressant pour toi, ou que tu y trouves du sens... je me suis d'ailleurs poser la question au départ : ai-je le droit à la parole ? ma réponse : oui si je reste à ma place de néo séropo. (suis confus, désolé, un peu trop de vin blanc :) )

Portrait de zak

ce que tu éprouves nous l'avons éprouvé, nous l'eprouvons encore... ta mise en mots nous parle, elle résonne 

ne te fais pas de noeuds au ventre pour cela , les vieux seropo ont le cuir tané ! et ils ont appris le non-jugement dans leur "jeunesse"

toi seul peut t interdire de parler, d'ecrire

Soyez réalistes, demandez l'impossible !

et reprends un petit coup de blanc (avec modération)

Portrait de Pierre75020

Ton texte vaut aussi pour les vieux séropos, ils ont besoin aussi de se secouer quelque fois bien que ce ne soit pas toujours facile, ton texte que tu as eu raison d'écrire ,a bien une valeur universelle.L'exhortation ne convient pas qu'aux "néo"même si c'est à eux aux quels tu pensais en l'écrivant.

Portrait de Rimbaud

D'accord. Je ne voudrais juste pas qu'on croit que je pense tout savoir sur tout, c'est l'exact contraire : je ne sais rien ou peu sur le vih, mais je réfléchis chaque jour et vos réactions m'aident à approfondir ça. Viendra le jour, peut-être, où je n'écrirai plus là-dessus parce que tout sera en place.

Portrait de Cmoi

Ne pas s'approprier la souffrance et la détresse des autres, les tragédies du passé, jouer au malade imaginaire. Mais vivre debout, intensément, passionnément, exister pour et à travers eux en quelque sorte, nous le devons à ceux qui sont morts d'avoir un peu trop aimer la vie. 

Portrait de Rimbaud

ma réponse dans le prochain texte.