De l'abandon de la capote ou comment un amour déçu sème la confusion.

Publié par Rimbaud le 19.10.2017
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      Plus je réfléchis, plus je pense que le meilleur remède à l’épidémie, c’est l’amour. Ça m’emmerde (sacrément) parce que ça fait très catho intégriste comme parti-pris et que je suis le mec le moins croyant du monde. J’aime la bible, j’aime des tas de choses chez les cathos, chez les juifs, chez les arabes. Il y a dans la religion un truc fabuleux : la transcendance. Mais quand on n’a pas la foi… Evidemment, les tarés de la Manif pour tous (le mec qui a inventé ça est quand même un pro du marketing !), les poseurs de bombes, les papes et leurs cortèges d’évêques partouzeurs qui ont condamné la capote, les prédicateurs et autres curés pédophiles ont tout à voir avec l’Enfer et rien avec la religion. Oublions-les mais n’oublions pas les propos criminels tenus par les hauts dignitaires.

            Je crois sincèrement que c’est le vide immense provoqué par l’absence d’amour qui est à l’origine des comportements à risques. Le milieu gay refuse d’envisager cet angle-là parce que ce serait s’aligner sur le modèle hétéro, vouloir l’uniformisation, parce qu’on ne veut surtout pas courir le risque de la culpabilisation (rien de culpabilisant pourtant), une sorte de salissure d’un monde gay qu’on cherche à tout prix à légitimer. La lutte contre l’homophobie a engendré une mythologie du monde homosexuel. Dire aux homos, vous êtes des romantiques désespérés car déçus, en échec, reviendrait en quelque sorte à légitimer le discours homophobe. Ah, vous voyez, c’est ce qu’on disait ! Ces pédés n’ont aucune valeur, aucun idéal, aucun avenir ! Par peur de l’amalgame éhonté, les problématiques amoureuses sont totalement délaissées. Chez les hétéros, on chiffre, on étudie : pourcentages de tromperies, d’amants, de maîtresses, de divorces, de pensions alimentaires, de familles recomposées, durée du coït, des préliminaires, tout y passe… la sociologie s’est depuis belle lurette emparée du sujet ! Il serait plus que temps que Flaubert renaisse de ses cendres et que l’éducation sentimentale de Frédéric Moreau passe par un plan cul avec monsieur Arnoux !

            La passion, chez les homos, est puissante, vive, totale (« chevillée au corps » dirait Ségolène Royal, RIP). Le traumatisme initial est de l’ordre du divorce d’avec soi-même ; la découverte de sa différence est de l’ordre de l’inacceptable ; les menaces qui pèsent sur l’individu, enfant puis adolescent, ont la fulgurance d’une déchirure, la profondeur d’une morsure, la terreur de ce qui est en suspens et menace de s’abattre ; l’isolement, la solitude, le mensonge, la dissimulation jusqu’aux sentiments les plus purs plongent dans une frustration telle qu’une compensation est exigée, comme un gamin tape du poing sur la table : je veux mon grand amour ! La suite est des plus classiques, c’est le lot commun : les déceptions, les tromperies, le piège du temps qui passe, les habitudes, les ruptures… oui mais voilà, rien n’est jamais mesuré, rien n’est jamais rationnalisé quand on a subi la grande injustice initiale. Dès lors, il n’est pas de patience possible. Le gay est, de nature, impatient pour avoir attendu autrefois de longues années. Il n’en peut plus, il étouffe, il gueule que la vie lui apporte enfin ce à quoi il a droit et qui a tout à voir avec l’amour (compréhension, complicité, partage, sexualité…). C’est là que la crise de foi intervient et elle est brutale. L’idéal avait été son refuge durant toutes ces années de privation et au moment où il a enfin gagné de haute lutte sa liberté d’être, la réalité le déçoit à nouveau. C’est insupportable, c’est intolérable et la dépression n’est pas loin. L’idéaliste déçu se jette alors dans les backrooms, dans la baise rapide, dans la consommation, dans l’immédiateté parce que le corps de l’autre, lui, au moins, est là, à disposition, qui l’attend, qui ne demande que ça. Le renoncement à la capote, ce n’est pas seulement une histoire de plastique dérangeant, de glissement contrarié ou de sens de dépliage trop complexe (sans parler du gel sur les doigts qui fait de l’ouverture de l’emballage un sport susceptible de figurer aux prochains J.O.). L’abandon du préservatif, c’est aussi un acte d’amour, c’est aussi le désir (même inconscient) de ne plus faire qu’un avec l’autre, de sentir sa peau en soi, son sperme en soi : je ne te connais pas, je ne te reverrai jamais, je n’ai aucune idée de ton métier, de ton appart, de tes goûts, de tes passions, de tes problèmes de voisine qui passe l’aspirateur à des heures indues, du type de lessive que tu utilises ou des merdes que tu ingurgites, mais je ne veux faire plus qu’un avec toi, mais je veux me donner entièrement à toi au nom de l’idéal auquel j’ai droit ! Puisqu’il semblerait qu’aucun mec ne daigne vouloir partager sa vie avec moi, je choisis cet instant, là, tout de suite, comme moment idéal privé de toute retenue, de toute réflexion, de toute prudence, de toute suspicion. Dieu est amour, je suis amour, Amen ! Et le piège se referme.

            Tout est fait pour éloigner les gays de l’amour. Les boîtes de nuit, l’absence de lumière, les musiques trop fortes, les déguisements, les échanges Internet, le terme même d’homosexualité (ou HSH, de mieux en mieux !), la dissimulation, les pseudos, les codes, l’anonymat des capitales, l’invisibilité des campagnes, les cyniques, tout maintient les êtres dans une ignorance réciproque. Mais lui, ce désir d’aimer passionnément, est encore et toujours là, planté dans le cœur. La meilleure des préventions, c’est un retour à l’amour, à la croyance. Une love-conversion. Oh, il ne s’agit pas du tout de se conformer aux standards hétérosexuels, pas plus que de renoncer aux parties de jambes en l’air. L’amour n’est pas synonyme d’enfermement ou de fidélité. Il est davantage question de ne pas confondre plan cul et don de soi. Le bordel ne doit pas être le lieu où l’être se donne en désespoir de cause, le lieu où un corps, quel qu’il soit, serve de placebo. Voilà, c’est ça, tout se passe comme si les gays vivaient une vie placebo. Et la sanction est immédiate. Et la pilule est dure à avaler.