Demain sera pire

J'ai lu avec intérêt vos premiers commentaires.

Au passage, Eris, je te remercie pour ta très exquise courtoisie, il est très agréable de recevoir ces marques d'attention. J'invite nos lecteurs, bien plus maladroitement que toi, car je suis infichu de mettre ton blog en lien, comme tu l'as fait, de poursuivre éventuellement cette discussion sur le blog d'Eris, on pourrait peut-être y développer des analyses différentes ou contradictoires.

Je ne suis pas un désespéré de la planète.

L'humanité, en tant que telle, je n'en ai pas plus à faire que de la culture des betteraves ou de la conservation de l'ours polaire. La disparition de l'un ou l'autre m'indiffère pareillement. Et contrairement à Jean-René je ne place pas un jeton sur la prétendue disposition naturelle, spontanée de l'humanité à rebondir dans "sa diversité, sa complexité et toute sa richesse". Il s'agit d'un socle aux pieds d'argile, me semble-t-il. De même que je ne porte aucun intérêt sincère au sort réservé aux générations futures.

Elles n'avaient qu'à se présenter plus tôt. L'univers nous attendait depuis quelques milliards d'années, ce n'est pas maintenant que toutes les richesses naturelles, ou presque, ont été dilapidées dans une euphorie de banquet qu'on va se mettre à pleurnicher sur la note destinée aux héritiers.

Qu'auraient-ils fait de mieux que leurs prédécesseurs, ancêtres cupides qui n'ont jamais hésité à tuer (Abel et Caïn nous racontent tout de ce sentiment fraternel) pour gagner le pouvoir, la richesse et aussi, parfois, la connaissance (l'exploration spatiale incarne chacun de ces objectifs.)

Je persiste à croire que si leur Dieu a créé l'homme à son image, c'est qu'il était largement temps pour lui de porter des lunettes. Nous aurions ainsi pu nous dispenser d'une expérience aussi absconse que pénible, quand l'état de primate (chimpanzé, gorille, etc.) faisait amplement l'affaire.

Le développement désordonné du cerveau humain, agrémenté de quelques modifications morphologiques darwinesques, nous a permis de marcher sur nos deux pattes et de créer des automobiles, des avions et une cafetière Nespresso. Ce fameux petit pas fut un pas de géant de trop pour l'humanité.

Les conflits religieux dégénèrent, chaque guerre y trouve son alibi. Et nous voyons bien aujourd'hui encore à quel point les tensions planétaires sont alimentées par des situations de dominants/dominés, aux origines brouillonnes, mais qui ont toutes en commun la volonté du pouvoir : économique, religieux, moral, territorial, etc. 

Nous rêvons d'avenir avec des idées dépassées (j'aime la possible confusion dans la perception du lecteur entre dépassées / du passé).

L'ambition assez commune d'accroître, de prospérer, d'étendre son domaine est une séquelle archaïque héritée de nos lointaines tribus paléolithiques. Les entreprises ont ceci de commun avec elles : la perspective de croissance.

En fait, peu importe ce qu'il s'y fabrique, à quoi bon savoir si cela répond à un besoin. Le besoin se crée au fur et à mesure qu'il se conçoit. L'essentiel étant de dominer le marché, d'accroître sa surface financière, d'inonder le monde de produits à durée de vie limitée, pour faire tourner la machine, pour nourrir la matrice à impulsions magnétiques des bourses de Londres, Tokyo, Paris, New York.

Tout le reste est une blague. Il n'y a pas plus de progrès dans le dernier modèle de Mercedes-Benz qu'il n'y en a eu lorsque l'homme a créé la roue. C'est juste l'aménagement factuel d'un outil ancestral et dangereux qui participe à notre mobilité. On me rétorquera que le dernier modèle est moins polluant. D'accord, mais moins polluant que quoi ? qu'un âne qui dévalle les sentiers crêtois ? qu'un vélib ? qu'un 4x4 hideux ?

Hier, comme j'écrivais ce blog, le paisible village de Devecser, situé à 150 km de Budapest (Hongrie) découvrait une magnifique coulée de boue orange, excessivement toxique, jusqu'à une quarantaine de km alentour. La boue d'aluminium a (et pourquoi s'en priver) décidé d'aller faire un tour sur le beau Danube, autrefois bleu. Le deuxième plus long fleuve d'Europe après la Volga s'apprête à recevoir cette cochonnerie aussi longtemps qu'il lui plaira.

Sans douter de l'intérêt que représente une usine de bauxite-aluminium dans un environnement socialement sinistré (il faut aller voir les photos mises en ligne sur liberation.fr pour constater l'étendue des dégâts), les autorités persistent à annoncer un petit problème qui sera vite réglé quand, dans le même temps, les personnels chargés de ramasser les immondices portent des tenues intégrales, des masques et des accessoires dignes d'une explosion nucléaire...

Enfin, je partage l'avis concis de romainparis, même si je demeure convaincu qu'il y a encore un peu de vie avant la mort.

Il faut pouvoir encore s'en réjouir, ou s'en amuser, encore un peu...

splendide romainparis.

(je suis sans "voix")

de cette amusante affaire Kerviel /SG, nous informent d'un gain fiscal pour la SG de 1,7 milliard d'euros, dissimulé à la justice, ce qui pour le moment limiterait ses pertes à 3,2 Md, sans tenir compte de l'argent que ce trader était parvenu à lui faire gagner avant l'affaire.

mais, c'est un peu comme dans cette rocambolesque histoire Bettencourt / Banier / Meyers, 

en quoi cela nous importe-t-il ? 

puisque le système est aberrant, au nom de quoi s'en offusquer ? prendre position ? j'aurais bêtement une certaine sympathie à l'égard du gigolo et du trader, même si leur mode d'action n'a pas le même objectif, leurs sorts m'indiffère.

J'écoute les radios du service public (l'appellation convenue a un petit relent soviétique, service public, pourquoi pas médias du peuple ? enfin, bref), je butine la presse en ligne et, plus rarement, je m'immobilise devant ma grosse télé ventrue, souvenir de la préhistoire cathodique récoltée dans les poubelles (merci Meliah !)...

On m'informe de la disparition d'un spéléologue bloqué à quelques centaines de mètres, comme si cela pouvait en quoi que ce soit me concerner. Le seul risque professionnel d'un pareil aventurier se trouve être précisément celui-ci. Il s'agit d'une prise de risque consentie, volontaire, comme un plongeur en apnée, qui a opté pour une performance solitaire dont il n'y a rien à attendre. Mais les médias essaient de nous distraire par ce prisonnier intrépide, curieux des cavités, pour son seul plaisir.

Parallèlement se met en branle tout un cirque autour des mineurs chiliens, captifs d'un métier à haut risque et qui font ce boulot pour survivre quand ils sont (ou seront) en surface. On nous présente, jour après jour, le plan des conduits par lesquels on croit pouvoir les libérer demain, avec la petite nacelle grillagée qui fait frémir. 

La situation de l'un et des autres n'a rien à voir, mais elle nous est présentée pareillement comme un exploit susceptible de nous tenir en haleine, au moins, jusqu'au happy end attendu.

Pourtant, dans un cas comme dans l'autre, l'information est creuse, c'est le cas de le dire. Elle s'est saisie d'un malheur temporaire pour tenir l'opinion dans un état de voyeur, suspendu à un écho lointain, qui sera par la suite largement relayé en images par des magazines qui vivent de sensations insolites.

Pendant ce temps, une petite retraitée de la Plaine Saint-Denis agonisera seule sur le parquet de sa piaule du huitième étage dans l'indifférence générale. Un homme sera poignardé pour ne pas avoir prêté son portable à un autre qui disait en avoir besoin. Brigitte Fontaine en avait fait une belle chanson, il y a quelques années.

Demain, dans notre beau pays, il faudra s'attendre à des annulations de TGV et des RER seront supprimés. Des gens iront à pied à leur travail, et les médias nationaux feront du micro-trottoir un exercice de style à vocation édifiante. Les fonctionnaires de police minimiseront une participation populaire sur le déclin mais que les syndicats considèreront comme un succès sans précédent. La mobilisation nationale n'aura que très peu d'impact sur le gouvernement qui ira jusqu'au bout de ses réformes, avec l'agrément des deux chambres.

La menace sur l'approvisionnement en carburants pourra conduire à des ruptures de stock qui risqueraient d'immobiliser le pays, etc.

Car, pendant, ce temps-là, on ne parlera jamais de l'essentiel. De la nécessité du travail, du partage des richesses, de l'échange et des quelques conflits mondiaux larvés qui risquent d'entraver la marche du monde plus sérieusement qu'un seul spéléologue coincé dans une grotte.

Sur les chaînes de radio nationales, nous aurons peut-être, demain encore, un programme light avec beaucoup de musiques que nous avons rarement l'occasion d'écouter. Sophie-Seronet, comme moi, comme tant d'autres, nous en réjouiront.

Il ne se sera encore presque rien passé.

Les lycéens viendront-ils augmenter les rangs des défilés en cette nouvelle journée de mobilisation ? that is the question qui embarrasse le gouvernement.

Que des gamins et des gamines sachant à peine lire et compter se préoccupent d'ores et déjà de leurs droits à une retraite décente souligne, s'il était nécessaire, le malaise d'une société qui pourrait se saisir d'une réforme nécessaire pour exprimer un idéal de justice, ou d'un idéal tout court. Comment répondre à la montée d'une utopie ?

J'écoutais hier soir assez distraitement le JT de france2, une lycéenne de seconde témoignait de son inquiétude, affirmant, je la cite de mémoire "songer à une retraite par capitalisation" (...)

Parvenir à propager une angoisse crépusculaire à des créatures qui ne se trouvent qu'à l'aube d'une existence déjà désenchantée serait une prouesse historique pour ce gouvernement d'ouverture.

La jeunesse actuelle ne rêve d'aucune utopie, contrairement aux générations précédentes. Elle veut du tangible, de l'assurance, une vie conforme à des aspirations banales. Sa maturité précoce lui fait craindre une vie de galère, une succession de stages minables, une perspective de chômage longue durée et des frustrations consuméristes infinies. Contrairement à la génération précédente qui n'avait qu'une hâte, quitter le giron familial, elle s'y englue, bien malgré elle, parce que le marché locatif a atteint des niveaux prohibitifs et qu'elle serait incapable de survivre sans portable, sans connexion adsl, sans taper dans le réfrigérateur familial, etc. 

Ses revendications sont encore inaudibles, brouillonnes. Il n'y a pas l'ombre d'un embryon révolutionnaire dans son discours. On pourrait même croire qu'elle aspire, cette jeunesse d'un pays développé, à la quiétude, à un avenir sans histoire et c'est simplement pour cela qu'elle effraie les conseillers sociaux de l'Elysée. Son désir d'embourgeoisement, par ailleurs légitime si l'on considère le calibrage normatif de ce début de siècle, témoigne de la réussite d'un système libéral qui ne doit sa fragile existence que par le développement des inégalités.

Or, chacun est en droit de prétendre à une vie décente après un certain nombre d'années d'études. Et c'est peut-être en raison même de ce déficit d'utopie que la jeunesse française actuelle pourrait se retourner contre ce système qui ignore ses aspirations et dévalorise ses aptitudes. La réforme des retraites pourrait ainsi constituer un levier à une revendication globale, sans réel mot d'ordre, mais partant d'un constat d'échec avant même d'y avoir été confronté. Une anticipation du pire qui s'annonce, pour elle, comme la promesse la plus certaine.

La crainte est plus forte que le doute. 

Tout d'abord, je vous remercie pour vos messages, votre réactivité.

Il est possible que je confonde un peu blog et forum, c'est mon esprit déglingué qui me propose toujours d'enfreindre les règles. Donc, selon moi, un blog aurait ceci de particulier qu'il serait à la fois ouvert à tous et dans le même temps un espace privé, je n'irais pas jusqu'à dire un club, mais puisque j'y pense, je ne vais pas me censurer.

La mise en place d'un forum ou d'une tribulle pourrait, un jour, recevoir cet échange. Mais, je leur trouve des inconvénients à mes yeux incompatibles avec cette forme de correspondance libre et chatoyante qui se crée ici, librement, sans polémiques inutiles ou confirmation d'accès.

Enfin, j'apprécie les relations personnelles qui se trament ici, patiemment.

Le succès de la mobilisation nationale, hier, mardi 12/10/2010, traduit une évolution du mouvement. Vous l'aurez bien compris, aussi je me dispenserai pour une fois de mes commentaires bricolés selon ma perception du moment.

J'écoutais ce matin Bernard Thibault, sur Inter (Jako 44), presque consensuel tout en réaffirmant la détermination de son mouvement. La surprise est venue, une fois encore, de Mme Royal, appelant les lycéens et les étudiants à se joindre aux cortèges, dans le calme.

C'est un peu comme si les rôles se trouvaient inversés. On souffle de l'air froid d'un côté (syndical) et un peu chaud, voire tiède du côté de l'électron libre du PS. N'oublions pas qu'une journée de grève coûte au salarié une part non négligeable de son salaire. Maintenant, que la SNCF qui ne sera pas touchée par cette réforme concernant les régimes spéciaux avant plusieurs années, poursuive son action pourrait participer à une possible confusion des genres, notamment en créant une certaine lassitude parmi les usagers. La fameuse opinion publique (cette zone opaque de la population) pourrait être amenée à y voir une manipulation syndicale, sans lien avec la réalité du problème, dont le seul objectif serait de maintenir ce qui, un jour ou l'autre, apparaîtra, si ce n'est déjà fait, comme une attitude corporatiste, seulement crispée sur ses avantages. Ne doutons pas que les médias ne manqueront pas de rappeler les prétendus privilèges des cheminots qui partent à la retraite à l'âge de la puberté... (version tf1).

Ce mouvement social, qui s'amplifie, traduit bien sûr un ras-le-bol plus global. La shampouineuse de Neuilly, si intimement liée à Eric Woerth par l'intermédiaire de son gestionnaire de fortune (vous connaissiez l'existence d'une profession aussi spécifique, en-dehors du cercle très privé des organismes bancaires ? avant les révélations de cette affaire pour le moins obscure...), donc la vieille dame se retrouvait au coeur de certaines manifestations, comme si l'héritière L'Oréal devenait progressivement l'icône d'un capitalisme responsable du désastre.

Cela me rappelle vaguement le ressentiment des Français à la veille de la Révolution. Plutôt que de critiquer le pouvoir monarchique, le peuple s'en prenait à l'Autrichienne, dispendieuse et frivole. Les pamphlets ne s'en prenaient au roi qu'à travers son épouse étrangère laquelle n'avait jamais eu la curiosité d'aller visiter son royaume au-delà des palais de Paris et de l'Ile de France.

Il ne faudrait pas se tromper de cible. La vieille dame de Neuilly ne saurait incarner, à elle seule, l'inégalité manifeste qui est parvenue, au moins depuis cinquante ans, à corrompre les bases de la République.

C'est ce gouvernement, par la morgue et la provocation de son président, qui cherche à détruire les fondamentaux de la solidarité, de la liberté et de la fraternité. 

Espérons, rêvons d'un retour de la gauche en 2012. Ma seule question sera : mais pour quoi faire ?