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Cet été chaotique et sublime à la Villa Nellcote, le manoir rock and rollLes Rolling Stones ont enregistré il y a 50 ans à Villa Nellcote, sur la Côte d'Azur, une partie de leur double album 'Exile on Main St'. La maison appartient maintenant à un oligarque russe. Les souvenirs restent

Keith Richards joue de la guitare, en face de lui, Tommy Weber, un inconnu, Gram Parsons et sa compagne Gretchen Burell, Anita Pallenberg et Jake Weber, sur la terrasse de la Villa Nellcote, 1971. DOMINIQUE TARLÉ

MARC BASSET - Villefranche-Sur-Mer - 11 AOÛT 2021 - 03:52

Aujourd'hui, rien ne permet de deviner que, derrière cette clôture dans une rue étroite à côté d'une voie ferrée entre Nice et Monaco, se cache l'un des lieux mythiques du rock'n'roll. Seule la plaque indiquant Villa Nellcote révélera aux fans et aux universitaires qu'il s'agit du manoir où, il y a 50 ans, les Rolling Stones ont enregistré leur double album Exile on Main St.

Cet été 1971 fut chaotique et grandiose dans la ville côtière de Villefranche-sur-Mer et sur la presqu'île du Cap Ferrat, où se trouve le manoir. Ce furent des mois de débauche : des dizaines de personnes entrant et sortant par l'auguste portail, des criminels de la pègre marseillaise mêlés à une jet set de vingt et un millionnaires, des nuits interminables de tournage dans un métro irrespirable pendant la chaleur estivale. La conjonction du désordre et du talent a illuminé Exile on Main St., peut-être le meilleur de l'album des Stones, un recueil inspiré de la musique folk, blues et country américaine .

De gauche à droite : Anita Pallenberg, Keith Richards (avec une guitare Eric Clapton), Gram Parsons et sa compagne Gretchen Burrell, dans le salon de la maison, 1971. DOMINIQUE TARLÉ

Mais il y avait quelque chose de plus dans ces chansons, quelque chose de l'esprit de l'époque, selon le journaliste Robert Greenfield, qui a interviewé Keith Richards , guitariste du combo anglais à la Villa Nellcote , et a écrit plus tard plusieurs livres sur les Stones, dont un sur leur séjour sur la Côte d'Azur et le classique Travelling with the Rolling Stones (Anagrama, en espagnol). « Peut-être était le premier album était sur les années soixante - dix et dans les années soixante - dix , » dit Greenfield de la Californie. "Ce que cela reflète, c'est la confusion dans un monde qui a quitté l'ère hippie et est entré dans une ère de drogues plus dures, de politiques plus dures également, un chaos différent du précédent, avec moins d'espoir et moins d'optimisme."

Désormais, la maison d'édition Le mot et le reste publie en français Les Rolling Stones et Nellcote, une histoire de l'hôtel particulier depuis sa construction à la fin du XIXe siècle jusqu'à aujourd'hui rédigée par le journaliste Benoît Jarry et la généalogiste Florence Viard. Le livre comprend des images de Dominique Tarlé, qui a vécu six mois à Nellcote et a laissé un témoignage intime de cette période. La Galérie de l'Instant, à Nice, expose les photographies de Tarlé jusqu'au 19 septembre et publie La Villa, un catalogue avec le texte du photographe, l'un des personnages, comme Greenfield, des divers dramatis personae qui défilaient dans cette ville bondée d'histoires qui a nourri la légende stonienne.

Keith Richards (à gauche) et Mick Jagger (à droite) dans le grand hall de la villa, 1971. DOMINIQUE TARLÉ

L'une de ces légendes a affirmé que pendant la Seconde Guerre mondiale, la Villa Nellcote abritait un siège de la Gestapo. "Il n'y a aucune preuve", a abandonné Jarry lors d'un entretien téléphonique. « Les Allemands ont fermé la presqu'île du Cap Ferrat. Certaines villas ont été occupées et ont subi des dégradations. Mais Nellcote, visiblement, non. Peut-être seulement sporadiquement, pendant un moment pour surveiller la baie, mais certainement pas au-delà. »

Comme certains youtubeurs millionnaires bien des années plus tard, Mick Jagger , Keith Richards et compagnie ont fui le trésor de leur pays et se sont «exilés» dans le sud de la France. C'était au printemps 1971. Chacun d'eux s'installa dans un endroit différent de la région. Richards, avec sa partenaire, l'actrice Anita Pallenberg, et leur fils Marlon, ont loué la Villa Nellcote, une demeure seigneuriale avec un jardin luxuriant, un accès direct à la mer et une vue sur la baie. "Je me suis réveillé en pensant : est-ce ma maison ?", écrit le guitariste dans ses mémoires, intitulés Vida (Global Rhythm Press, en espagnol). "Il y avait une grandeur méritée là-bas après la merde de la Grande-Bretagne."

Jimmy Miller (au sol), Keith Richards (à gauche) et Mick Jagger (à droite) dans les grottes du village de Nellcote, 1971. DOMINIQUE TARLÉ

Tarlé, jeune photographe qui suivait obsessionnellement les rock stars, explique dans La Villa qu'il avait découvert le nouveau pays de résidence des Rolling Stones, qu'il connaissait, et qu'un matin il s'est présenté à la porte de Chez Richards. « Nous avons déjeuné ensemble, en famille, se souvient-il. « J'ai passé l'après-midi à prendre des photos et après le dîner, j'ai remercié tout le monde pour ce merveilleux moment. Mais ensuite, Keith m'a dit : 'Votre chambre est prête.' Je suis allé dormir à l'étage et j'ai passé six mois avec eux."

Tarlé a été témoin de la vie de famille, Richards se levant à sept heures du matin pour donner le petit-déjeuner à Marlon, l'emmener au zoo de Monaco ou monter sur un bateau nommé d'après la drogue Mandrax. Les choses ont vite mal tourné. Richards raconte dans ses mémoires qu'il a eu un accident sur une piste de karting et que le médecin lui a administré de la morphine, ce qui a ressuscité, dit-il, sa dépendance à l'héroïne. La vie d'une famille d'expatriés explose en mille morceaux : le camion avec un studio d'enregistrement mobile arrive d'Angleterre et les jam sessions nocturnes commencent mi-juin.

Intérieur de la Villa Nellcote, où résidaient les Rolling Stones en 1971. DAVID EXPÓSITO

Greenfield était à Cannes, couvrant le festival du film pour le magazine Rolling Stone , et le magazine lui a demandé d'interviewer Richards. Il est resté deux semaines. L'année suivante, il couvrira la légendaire tournée des États-Unis. "C'était comme être à la cour du roi Arthur", se souvient-il. « Vous étiez avec l'aristocratie. Les autres ne savaient pas qui tu étais, mais si tu étais avec Keith, tu étais quelqu'un. Et cela a tué beaucoup de gens qui voulaient être comme Keith, s'habiller comme lui, se défoncer comme lui, et aucun d'entre eux n'est plus là. Je travaillais toujours et c'est ce qui me protégeait. Quand j'ai fini le travail, je suis parti ».

Une fin malheureuse

Le séjour de Keith et de sa troupe à Nellcote s'est terminé de la pire des manières. C'était l'automne quand quelqu'un a fait irruption dans la maison et a pris neuf guitares et plusieurs saxophones. Un autre jour, un incendie s'est déclaré dans la chambre d'Anita et Keith. En novembre, convaincus qu'ils risquaient d'être arrêtés et jugés en France pour affaires de drogue, ils mettent le pied dans une direction poussiéreuse vers Los Angeles, où ils achèveront l'album.

Vue depuis la mer de la Villa Nellcote. DAVID EXPOSITO

Le manoir était alors devenu un foyer de consommation et de trafic. Dans la ville voisine, Saint-Jean-Cap-Ferrat, propriétaire d'un café du port, qui avait une vingtaine d'années en 1971, raconte que des jeunes du quartier ont été emportés par le tourbillon. «Ça a fait des ravages», dit-il sur la même terrasse où Richards et Anita ont bu du pastís, la liqueur typiquement marseillaise, comme on le voit sur les vieilles photos de Tarlé.

Tout cela est loin. Aujourd'hui, les baigneurs se dirigeant vers la plage voisine passent devant le manoir indifférents à ce qui y était cuisiné à l'âge d'or de la roche. Les propriétaires actuels, la famille de l'oligarque russe Viktor Rashnikov, ont placé un tissu noir sur le portail en fer pour préserver l'intimité. Une caméra regarde. Lorsque les journalistes sonnent, une lumière s'allume et le portail s'ouvre. Un grand homme apparaît et explique qu'il est en charge de la sécurité, il s'appelle Alex, il est roumain et les propriétaires sont à l'intérieur et ne veulent pas faciliter l'accès.

Charlie Watts (à gauche) et Keith Richards (à droite), dans les escaliers MENANT à la terrasse surplombant la mer, 1971. DOMINIQUE TARLÉ

À un autre moment, une femme passe, sautant curieusement, courant et dansant en même temps, tandis que l'air Olé Torero, de Luis Mariano , joue à travers des haut-parleurs portables . Elle a 71 ans et dit que courir et danser en même temps est sa façon de faire de l'exercice. Les Rolling Stones, ici ? Cela ne vous dit rien. "Une actrice a vécu ici, je pense", dit-il. " Tina Turner ?"