Faudra voir a ne pas les oubliées ......................

Publié par jl06 le 23.05.2020
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IAM, Abd al Malik, Cut Killer... Ils se mobilisent pour les quartiers montés "au front" pendant l'épidémie

18h00 , le 22 mai 2020, modifié à 19h00 , le 22 mai 2020

TRIBUNE. Rappeurs, DJ, acteurs, graffeurs ou danseurs : une cinquantaines d'acteurs des cultures urbaines en France appellent à ce que le regard change sur les quartiers populaires, dont sont issus ceux qui étaient "au front" pendant l'épidémie.

Akhenaton du groupe IAM, Abd al Malik et Cut Killer co-signent cette tribune.

Akhenaton du groupe IAM, Abd al Malik et Cut Killer co-signent cette tribune. (Montage/AFP)Partager sur :

"Allons-nous encore continuer à montrer ces personnes du doigt?" Une cinquantaine d'artistes, acteurs des cultures urbaines en France, lancent dans cette tribune un appel pour une prise de conscience sur la façon de considérer les quartiers défavorisés après la crise sanitaire. Réunies par Abdallah Slaiman, cofondateur du média Hiya!, des figures du rap comme le groupe IAM ou Abd al Malik, acteurs comme Jhon Rachid et Alexis Manenti (César 2020 du meilleur espoir masculin pour son rôle dans Les Misérables), des DJ comme Cut Killer, des graffeurs ou des danseurs rappellent que les habitants "quartiers populaires" étaient "au front" et "même partout" : "Dans les Ehpad, dans les services de réanimation, à vélo pour livrer des courses, sur les routes de France pour nous prémunir de la pénurie..." 

Retrouvez le texte de leur tribune : 

 

"Changer notre monde. Depuis longtemps bon nombre de rêveurs entretiennent ce projet, parfois écoutés d'une oreille amusée, souvent considérés comme des rebelles naïfs que l'on préfère occulter. Et pourtant, notre monde va changer. Mieux, il change déjà. Face à une crise sans précédent, les mentalités évoluent, un élan de solidarité rassemble des populations qui s'ignoraient ou se méprisaient auparavant et les adversaires d'hier trouvent des terrains d'entente nouveaux et inattendus.

Des dirigeants adeptes de l'économie de marché songent à des nationalisations et débloquent des milliards, des applaudissements ont retenti tous les soirs depuis deux mois pour saluer le courage d'anonymes, on parle même de reconnaître enfin à sa juste valeur le travail de ceux qu'on appelle maintenant première et deuxième ligne. Il s'agit bien souvent de celles et ceux qui ne sont "pas nés sous la même étoile" et que le mouvement hip hop chante, dessine et danse depuis ses débuts dans les années 1970 dans le Bronx, depuis son essor en France dans les années 1980. 

L'histoire de ces héros du quotidien est aussi celle des zones dites 'difficiles' 

Nous appelons aujourd'hui à une prise de conscience collective, pour que les valeurs de solidarité, de reconnaissance et d'inclusion soient durablement présentes dans la manière dont nous réparerons notre monde, dont nous le raconterons aussi. Quand nous recouvrerons pleinement notre liberté, quand nos vies reprendront plus nettement leur cours et que nous pourrons de nouveau nous mélanger sans restriction, faisons sauter les barrières de l'exclusion sociale, de l'indifférence et du mépris pour des populations qui jouent un rôle si essentiel.

 

On pourrait se dire que c'est évident, que nos sociétés auront la présence d'esprit de se mobiliser dans la durée pour reconnaître nos éboueurs, nos aides-soignantes, nos infirmières, nos livreurs à vélo à leur juste valeur à partir de maintenant. On peut néanmoins penser que cela sera plus difficile que ce que le bon sens nous le dicte. En effet, l'histoire de ces héros du quotidien est aussi celle des zones dites 'difficiles' parfois surnommées, par esprit d'abandon, 'territoires perdus de la République' et que le hip-hop les raconte depuis sa naissance, sans embellissements, avec sa vérité crue. 

Les quartiers populaires ne se sont pas confinés, ils étaient au front!

Nous avons tous entendu les mêmes histoires : 'Le 93 ne s'est pas confiné', 'les habitants des banlieues ne respectent pas les gestes barrières', 'les pouvoirs publics ont peur d'y intervenir'. Pour nous, ce message est en opposition frontale avec le monde que nous voulons construire. Si c'est cela que l'on retient de nos quartiers populaires à l'issue du grand bouleversement que nous vivons, c'est que nous reproduirons les erreurs du passé, que rien n'aura changé. Il n'est pas question de nier les problèmes qui peuvent se présenter dans ces quartiers, où les familles vivent à l'étroit et peinent parfois à trouver leur place dans la société. Pas question non plus de nier la violence qui peut s'y exprimer.

Ce que nous voulons défendre, c'est que la solidarité et la mobilisation actuelles représentent une opportunité exceptionnelle et inattendue de changer la vision que la société impose sur des populations qui se retrouvent en première ligne aujourd'hui. Nous avons une occasion unique d'enfin valoriser des hommes et des femmes qu'on a voulu limiter au lieu où ils ont grandi, aux vêtements qu'ils portent et au salaire de misère qu'ils touchent trop souvent.

Alors oui, les quartiers populaires ne se sont pas confinés, ils étaient au front! Ils étaient même partout : dans les EHPAD, dans les services de réanimation, à vélo pour livrer des courses, sur les routes de France pour nous prémunir de la pénurie, et incarnent si bien l'intérêt général. Ils prennent des risques et s'engagent pour tous. Allons-nous encore continuer à montrer ces personnes du doigt, quand elles ne seront plus au front ? Allons-nous continuer à leur rappeler d'où elles viennent, la manière dont elles parlent, ou comment elles s'habillent? Ou bien allons-nous enfin parler de ce qu'elles font?

Etre enfin collectivement fiers de ceux qui ne sont peut-être 'pas nés sous la même étoile', mais qui brillent par leurs réalisations.  

Le message du mouvement hip hop n'a pas changé depuis sa naissance et s'exprime aujourd'hui à travers les cultures urbaines. C'est un message de mélange, d'hybridation et de mise en valeur de tous, pour ce qu'ils font et non pour ce qu'ils sont. C'est un plaidoyer pour que les exclus, pour que les oubliés trouvent enfin une place dans la société. C'est un appel pour que des mondes différents se rencontrent et se respectent. Les artistes qui font vivre notre mouvement mesurent le pouvoir que peut avoir un récit positif pour raconter la vie et l'engagement de ceux que l'on occulte trop souvent. Nous porterons ce récit, cette vérité, dans nos textes et dans nos créations, comme nous l'avons toujours fait, en nous adressant à toute la société.

Notre culture a depuis longtemps dépassé les frontières des quartiers défavorisés où elle est née. Elle trouve sa résonance, sa légitimité et sa créativité dans tous les milieux, auprès de personnes de toutes origines. Pas besoin d'avoir grandi en cité pour rapper. Pas besoin de vivre dans un décor de béton pour être graffeur. Il suffit simplement de démontrer un esprit d'ouverture et d'adhérer à des valeurs d'inclusion. C'est cela qui réparera nos sociétés : être enfin collectivement fiers de ceux qui ne sont peut-être 'pas nés sous la même étoile', mais qui brillent par leurs réalisations. 

Le combat face au virus a été qualifié de 'guerre', comme si seul ce mot pouvait unir les Français et les rendre solidaires. Demain, lorsque nous en verrons l'issue, la culture sera la meilleure arme pour éviter que ne s'installe un monde qui fait de la guerre et de l'opposition systématique une valeur cardinale. Hugo l'écrivait déjà dans Quatrevingt-treize : 'Voici la différence entre nos deux utopies. Vous voulez la caserne obligatoire, moi, je veux l'école. Vous rêvez l'homme soldat, je rêve l'homme citoyen. Vous voulez le terrible, je veux le pensif. Vous fondez une république de glaives… je fonderais une république d'esprits.'"

La liste complète des signataires :

  • Rap : IAM, Seth Gueko, Keny Arkana, Abd al Malik, Youssoupha, Sianna, DemiPortion, Maj Trafyk, Nikkfurie de la caution, A2H, Rocca, Al Tarba, Grödash, 2Bal, Taïro, Nemir, Zoxea, Kohndo, Kenyon.
  • DJ : DJ Duke, CutKiller, Wilfrid DMC, DJ Pone, DJ Faster Jay, DJ Nelson, DJ Fly, DJ Djel, DJ Stresh, DJ Greem, DJ R-Ash, DJ Poska, DJ Pfel, DJ Skillz, Groove Sparks, DJ Keri.
  • Cinéma : Marc-Aurèle Vecchione, Almamy Kanoute, Alexis Manenti, Jhon Rachid.
  • Beatbox : Eklips.
  • Technicien du spectacle : Yoda.
  • Graffiti : Bebar, Comer OBK, Crey132, Itvan K, Lask TWE, Jungle, Gumo, Bust the Drip.
  • Entrepreneurs : Wafaa Maadnous, Abdallah Slaiman.