Françoise Barré-Sinoussi

Publié par jl06 le 03.04.2019
284 lectures

Françoise Barré-Sinoussi, codécouvreuse du VIH, au JDD : "Il y a une banalisation effrayante du sida"

23h30 , le 30 mars 2019, modifié à 09h54 , le 2 avril 2019 par Anne-Laure Barre

Avant les 25 ans de Sidaction, Françoise Barré-Sinoussi, codécouvreuse du virus et colauréate du Nobel de médecine en 2008, s'inquiète auprès du JDD de la progression de résistances aux traitements.

Françoise Barré-Sinoussi, présidente de Sidaction, est inquiète.

Françoise Barré-Sinoussi, présidente de Sidaction, est inquiète. (Sipa)

Le week-end prochain, le Sidaction fête ses 25 ans. L'occasion pour la présidente de l'association Françoise Barré-Sinoussi de faire un point pour le JDD sur l'évolution du virus de l’immunodéficience humaine (VIH) dans le monde. Codécouvreuse du virus en 1983, la colauréate du Nobel de médecine de 2008 s'inquiète de la progression de résistances aux traitements. "Malgré tous les outils de prévention, l'épidémie ne recule plus depuis dix ans, s'alarme-t-elle. Un tiers des découvertes de séropositivité sont trop tardives, quand l’infection est déjà à un stade avancé ou même au stade clinique du sida."

Le nombre de nouvelles infections par le VIH est stable. Est-ce préoccupant?
Évidemment. Malgré tous les outils de prévention, l'épidémie ne recule plus depuis dix ans. En 2017, on a encore enregistré 6 400 nouvelles contaminations, dont plus de la moitié lors de rapports hétérosexuels. Un tiers des découvertes de séropositivité sont trop tardives.

Comment expliquer ce bilan?
C'est aujourd'hui l'une des plus grandes craintes de la communauté scientifique : il y a une banalisation effrayante de la maladie. Dans la population, les connaissances sont incomplètes, souvent erronées. Les jeunes ne se protègent pas assez, ils ne se font pas assez dépister. Ils ne se sentent pas concernés, n'ont pas l'impression d'avoir des relations à risque. Ils savent qu'il y a des médi­caments contre le VIH mais pas toujours qu'ils ne guérissent pas ; ils ignorent qu'à long terme, sous antirétroviraux, certains patients développent des maladies cardiovasculaires ou des désordres neurologiques.

D'où vient le déficit d'information?
J'entends de nombreux responsables politiques dire que la santé sexuelle devient une priorité, pourtant les enseignants y consacrent globalement de moins en moins de temps au lycée. Il y a urgence à lancer des campagnes de sensibilisation car plus on est dépisté et traité tôt plus l'espérance de vie est normale et, grâce à une infection contrôlée sous traitement, on ne contamine plus les autres. Un changement de culture est nécessaire : plus de prévention, une meilleure intégration de la prise en charge de l'infection dans tous les services de santé.

Quelles sont les autres causes d'inquiétude des scientifiques?
On assiste à l'émergence de résistances très inquiétantes. Dans certains pays d'Afrique ou d'Asie, on est passé en cinq ans de 5 à 15% de personnes contaminées par des virus qui ne répondent pas aux traitements. Or l'arsenal de combinaisons thérapeutiques reste limité. On n'est pas à l'abri d'une épidémie mondiale de virus résistants. Cette vague d'échecs thérapeutiques dans les pays du Sud pourrait nous conduire à une quatrième épidémie de sida, une phase très préoccupante après celles de l'émergence du VIH, de son expansion mortelle et de la riposte globale.

Pourquoi les virus résistants se propagent-ils?
En général, les résistances apparaissent en cas d'arrêt des traitements pendant plusieurs semaines ou mois. Mais il ne faut pas tout mettre sur le dos des patients. En Afrique, j'ai vu des médicaments stockés dans des frigos qui n'arrivaient jamais jusqu'à leurs destinataires. Des problèmes de logistique ou d'organisation peuvent empêcher le maintien des patients sous traitement.

Un patient connaît une rémission durable. La guérison se rapproche?
En entendant tout le battage médiatique fait autour de cette publication médicale, un de mes éminents confrères a dit : "So what?" Depuis plus d'une décennie, on sait, grâce au fameux patient de Berlin, alors également atteint d'un cancer, qu'une telle rémission est extrêmement rare mais possible, après greffe de moelle osseuse d'un donneur présentant une particularité génétique. Le patient de Londres, dans le sang duquel la présence du virus n'a pas été détectée depuis dix-neuf mois, est simplement le deuxième cas. Ce qui renforce l'hypothèse du rôle de la mutation génétique du récepteur du VIH dans l'efficacité de ce protocole thérapeutique.

Cependant, celui-ci n'est pas envisageable à large échelle car il est très compliqué et hyper agressif. Aujourd'hui, plusieurs autres voies sont explorées en laboratoire. On cherche notamment à mieux comprendre où se nichent les réservoirs de virus, pourquoi celui-ci persiste, quels sont les meilleurs marqueurs des réservoirs viraux, etc. Mais on ignore encore quel sera le traitement du futur – médicament, vaccin, etc. – capable de conduire si ce n'est à une guérison, du moins à une rémission durable.

En France, à quand remonte la dernière décision courageuse en matière de lutte contre le VIH?
Marisol Touraine a eu le courage de mettre en place la Prep [prophylaxie pré-exposition ou administration d'un traitement préventif chez des personnes non infectées dont les pratiques sexuelles sont à risque]. Celle-ci a encore des détracteurs dans le grand public et même chez les médecins. Ce n'est pas LA solution de prévention, mais c'est un formidable outil pour certains gays, par exemple, mais pas seulement. À San Francisco, son utilisation par une population hautement exposée a fait diminuer de 99% le risque d'infection. Là-bas, l'épidémie n'est pas éradiquée mais sous contrôle. C'est un précieux motif d'espoir, et ils ne sont pas si nombreux aujourd'hui.