Freedom

Publié par Rimbaud le 24.10.2017
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Ai-je vendu ma liberté au VIH ou s’en est-il saisi, comme on dérobe de force un magot facile à emporter ? Je ne suis plus le voyageur terrestre qui s’arrête où bon lui semble, qui commande une chopine à l’auberge la plus hospitalière qui soit, qui s’attarde pour faire naître un sourire aux lèvres du jeune éphèbe qui a croisé sa route, qui traverse à vive allure les étendues mornes et monotones de la Champagne, qui ralentit le pas dès lors que la lumière étincelante tombe au haut des toitures des maisonnées, qui multiplie les nuits là où l’attend la beauté et fuit dès lors qu’une addition lui est présentée. J’ai le sentiment amer de n’être plus que le passager attentif du navire marchand stoppé au milieu des mers étales qu’immobilise l’absence des vents salvateurs. Je suis blotti tout au fond de la cale la plus miteuse, la tête dans les mains, avec pour seule occupation l’écoute fiévreuse des soubresauts de mon ventre affamé. Car j’ai faim de choisir parmi les routes mais je ne suis plus seul à décider. Me voilà surveillé, traqué, scruté, analysé, dépecé jusque dans les recoins inatteignables de mon exil. Le passager clandestin, autrefois discret et élégant, hausse le ton et gratte les murs qui sont des parois de verre dans lesquelles se reflètent des rires de géants ivres. Dehors, la fête bat son plein. Des gamins sont planqués sous les tables. Des adolescents glissent leurs mains impatientes sous des jupes mensongères. L’orchestre, posé là, inutile, attend que l’on ait fini de vider les bouteilles de mauvais vin. La vieille femme jette un regard au ciel menaçant, s’inquiète du linge étendu au jardin et du ventre de sa bru étrangement sur la réserve. C’est le temps des grandes retrouvailles de ceux partis travailler dans les grandes villes, une année durant. Chacun a une anecdote à raconter, de ces histoires qui seront répétées puis déformées. Derrière les vitres embuées de la cale où je suis accroupi, je perçois les détails de ce qui aurait pu être moi mais je ne suis plus seul maître à bord et je dois composer. Ô ma liberté des jours de course éperdue à travers la forêt, qu’es-tu devenue ? Mon amante éternelle m’assurait un repos permanent, me délivrait des imposteurs, des mercenaires et des enragés. Elle savait calmer les ardeurs d’une jeunesse impétueuse toujours prête à déguerpir. Elle m’a appris le positionnement temporaire. Elle a aiguisé mes sens et les a taillés, et ils sont devenus les lames acérées qui permettent l’extraction et la blessure, comme on crève un ballon gonflé d’hélium qui menace de disparaître. Je l’ai nommée liberté-morale, liberté-impératif, guide, principe inaliénable d’une survie réussie. Et je t’ai salie. Je t’ai salie brisant la solitude du corps. Toi qui n’avais posé qu’une unique minuscule condition, je t’ai sacrifiée aux mains jamais tranquilles des cellules contaminées. Je pleure comme un enfant pris en faute du fond de ma cale. Je perçois l’absence de grève, l’inutilité des voiles, le ronflement des matelots, la course d’un rat empêtré dans sa folie, la boussole figée, et les dernières notes de la fête funèbre derrière la paroi vitrée qui s’achève, au soir tombant, tandis que ma liberté s’endort, blottie tendrement dans les bras du virus.