Introspection

Publié par Rimbaud le 29.08.2017
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Vivre en se pensant immortel, dans un oubli quotidien de cette réalité. La psychanalyse nous le dit : il est nécessaire d’oublier notre condition de mortel. Le virus est là pour nous rappeler à cela : je peux disparaître et être tué, anéanti par la maladie. Le bonheur est-il dès lors impossible ? Les épicuriens diront que bien au contraire : la conscience de la mort permet le carpe diem. Profiter de l’instant présent n’est pas incompatible avec la conscience de la future fin qui nous attend, au contraire, c’en est la garantie, la condition… Mais il y a malice, piège pernicieux. Une grand-mère poussée du balcon par son mari, un oncle qui s’est donné la mort, un autre noyé sous les yeux de sa maîtresse sur une plage corse, un père alcoolique m’ont très jeune confronté à la mort. Qu’on ajoute à cela un divorce, une éducation trop rigoureuse (qui me sauvera néanmoins plusieurs fois) m’ont placé sous les yeux l’Evidence et m’ont fait grandir dans l’impossibilité de l’oubli de la mort. De la menace. C’est là que le piège se referme. L’être étouffe puis l’enfant grandit et, comme le presque noyé qui dans un geste ultime donne le coup de pied pour remonter à la surface, déchire les chaînes. Et la musique explose en décibels festives, les corps dansent, la Raison se tait, le vin coule, les bouches s’embrassent, les idéaux renaissent, les fumées s’envolent, le sexe se durcit, la vie jaillit de toute part. L’insouciance apparaît alors non comme un subterfuge pour oublier les vérités mais comme une nécessité… destructrice. Les excès qu’on croit « positifs » contrebalancent un début de vie laborieux car le virus est là, qui guette, en attente, prêt à intégrer la danse, prêt à se fondre dans le décor, ce qu’il ne tarde pas à faire, en sortant les griffes, en prenant son élan, au moment où l’on s’y attend le moins, celui de la jouissance… et me ramène désormais à la mort, en latence.

 

Il faut sauter une ligne. Mettre un blanc. Un espace. Un trou. Une césure. Pour aborder une autre phase de la vie : celle de la fin des excès ? J’en doute fort… ce serait sous-estimer la puissance de la violence de cette enfance. Un raccourci trop facile. Quand bien même le virus est sous contrôle, il est là. Nier cette présence, c’est ne rien comprendre du VIH. Je le toise, je le domine, je travaille contre lui. Personne ne peut l’oublier. Le simple rituel du cachet lui est un signe adressé. Il n’y a pas de règle. Il n’y a pas de norme. Il n’y a pas de conduite à tenir, à édicter, à suggérer, à imposer. Le virus mute et se fond dans la vie de chaque individu. Il entre en résonnance. Et chacun a sa façon propre de lui murmurer à l’oreille… que tu es une belle saloperie.

Commentaires

Portrait de Cmoi

Il y a dans le récit de ta jeunesse toute la dramaturgie d'un livret d'opéra italien, qui en disent plus encore sur toi que ce que j'avais lu jusqu'à présent. 

Effectivement deux écoles s'opposent pour affronter notre existence de mortels : celle qui consiste à dire qu'il faut vivre chaque instant, intensément, comme si on allait mourir demain. L'autre que tu évoques au début de ton texte, et qui nous rapproche davantage de l'espèce animale que nous sommes. Finalement les animaux n'ont conscience de la mort qu'à l'approche de celle ci. 

Est ce que le virus peut et doit changer quelque chose au regard que nous portons sur la grande faucheuse ? 

Portrait de Rimbaud

A mon sens, le virus ne change rien à notre rapport à la mort mais il le fait plus présent. La particularité de mon cas, c'est que le virus est né précisément de l'insouciance, du carpe diem... là est l'ironie de l'histoire.