Je ne m'en fous pas, je continue.

Publié par Rimbaud le 26.09.2017
2 062 lectures

SIDA. Le mot n’est plus utilisé, c’est le mot-fantôme, le mot interdit, le mot-tabou. Nous sommes contaminés par un virus. Nous luttons contre le VIH. La maladie ne survient plus que rarement. Nous mourrons de comorbidités mais la médecine a éradiqué le SIDA. C’était la maladie d’avant. Avant les trithérapies. Il n’est plus qu’une menace et pourtant, cette menace dirige nos vies de séropos. Nous élaborons les tactiques pour maintenir le mot-maladie hors de portée, pour que la transformation n’ait pas lieu. Plus personne ne parle du SIDA. Le prononcer, ce mot, rend le propos d’autant plus terrifiant parce que chargé de non-dits, parce qu’inexistant. Il y a une forme d’impudeur à l’écrire. Sa formulation est immédiatement interprétée comme une faiblesse, un truc auquel on ne doit pas penser, auquel on n’a pas le droit de penser. Au nom des morts. Au nom du passé. Quand bien même nous avons en nous le même virus, nous sommes comme rejetés de la maladie potentielle, et instantanément rejetés de ceux qui se nomment « survivants ». Ce n’est plus que la fin d’une courbe hypothétique et improbable. Le spectre ne nous quitte pourtant jamais mais il est devenu inoffensif, comme un compagnon routinier qui fait un peu la gueule mais qu’on héberge quand même parce qu’on n’a pas le choix. Soit le terme est utilisé dans un marketing préventif inefficace car dénué de tout contenu, de toute réalité, soit il relève d’un langage médical appartenant au siècle passé. Dès lors, la société ne saisit plus en quoi cette maladie  pourrait bien constituer un problème. On n’en meurt plus ! On se soigne ! On vit normalement avec le virus et un bon traitement ! Et les associations en sont réduites à faire des tests. La maladie est comme vidée de son contenu. Les malades eux-mêmes endossent le rôle de médecins. Ils confondent l’information et la connaissance complexe, lente, contradictoire parfois, réfléchie. Ils se prennent pour les spécialistes de leur anatomie, prônent l’allègement, se pensent visionnaires, conseillent, collectent, lisent, analysent, débattent à la vitesse d’Internet. Ils deviennent conseillers permanents et le docteur n’est plus qu’un empêcheur tout juste bon à valider les décisions forgées au fil des échanges virtuels. Le processus de simplification est engagé. Délesté du poids de la maladie, le patient est impatient et a toute l’énergie nécessaire pour prendre le contrôle, pour diriger les opérations. Tout se passe comme si le SIDA disparu, un vide immense demeurait, une scène vide au pied de laquelle se tiennent les contaminés, perplexes, se demandant quel rôle ils pourraient bien jouer. Un vide à combler. Parce qu’on ne peut pas faire comme si nous étions hors d’atteinte. Parce qu’on ne peut pas se contenter d’attendre. Parce qu’il y a la certitude que le SIDA est notre histoire et que nous en écrivons un chapitre (le dernier ?). Parce qu’une résistance à un traitement redonne des contours au spectre. Un mauvais rapport cd4/cd8, une remontée de la charge virale, un dérèglement corporel ou plus souvent une fatigue excessive. Le simple geste machinal d’ingurgiter le cachet chaque jour ramène à la menace. On ne peut faire comme si menace et réalité étaient une seule et même chose mais négliger le poids d’une menace est tout autant dangereux. Nous ne pouvons pas mettre sur un pied d’égalité nos vies possibles avec les vies urgentes des morts. Nous sommes sur une course de fond quand ils étaient dans la précipitation de vivre, dans le compte à rebours. Une amie qui a traversé plusieurs guerres meurtrières m’a dit un jour : « je n’ai jamais vécu avec une telle intensité que lorsque les bombes pleuvaient sur nous. Nous étions dans une euphorie, une joie, une fête permanente ».

Sommes-nous en période de paix quant au SIDA ? Non. C’est une guerre diffuse, une guerre invisible, une guerre qui ne dit plus son nom. Vivre sous la menace doit être appréhendé par un langage qui ne fuit pas ce qui est en suspens. C’est subtil, c’est fuyant, c’est nuancé, c’est insaisissable mais cela doit être exploré. Le face-à-face doit avoir lieu sous peine de ne plus se comprendre soi-même, sous peine d’être dans la fuite de sa propre existence, sous peine de s’échapper et de laisser se dissoudre notre identité dans un flou angoissant. Beaucoup font comme si, abaissent, rabaissent, synthétisent, résument, simplifient. Les premiers messages reçus sont tous les mêmes : « tu verras aujourd’hui, on vit très bien avec le virus, on a une vie normale ». Les gays que nous sommes savent que la normalité n’existe pas, que c’est un leurre inventé par les classes dominantes pour asseoir leur pouvoir. Il n’y a pas de vie normale. Banaliser, c’est se mentir, c’est tricher pour se rassurer, pour faire comme si, pour être comme tout le monde. Personne ne ressemble à personne. Il ne s’agit ni de se plaindre, ni de se comparer, ni de minimiser, ni de grossir. Il s’agit d’être dans un rapport juste à la menace qui est une remise en question. « Tu t’y feras. Tu n’es contaminé que depuis peu de temps ». Non. Je ne m’y ferai pas car je ne veux pas m’y faire. Qu’est-ce que ça veut dire d’ailleurs ? Je n’y vois qu’une résignation, qu’une aliénation, qu’une accommodation, qu’un compromis mensonger, qu’une négation. Que ceux qui méprisent ma parole parce qu’elle n’a pas trente ans de traitement dans la syntaxe aillent se faire mettre. Leur parole n’est pas plus légitime que la mienne. Il y a quantité de vieux cons, ne l’oublions pas, ne sacralisons pas ceux qui ont traversé les époques. Je n’ai pas l’intention de trouver ça normal d’aller me faire tripoter les fesses par un proctologue une fois par an, d’imposer à mon corps une chimie salvatrice mais pernicieuse, d’enchaîner les rendez-vous médicaux, de coûter une fortune à mon pays, de trembler pour l’homme que j’aime au moindre saignement, de mentir à la société pour ne pas en subir la violence barbare, de sentir le poids des paupières tombantes après un effort, de traverser les nuits dans l’attente du cauchemar imprévisible mais inévitable, de m’interdire les excès, d’être dans une surveillance continue de mes moindres faits et gestes. Beaucoup ont trouvé la solution et limitent leurs rendez-vous médicaux, fuient les analyses et les spécialistes. Je ne suis pas de ceux-là pour la raison que j’ai déjà donnée : je suis ignorant, je n’ai pas consacré ma vie à la médecine et je respecte trop la connaissance véritable pour avoir la prétention de me substituer à ceux qui ont gagné de haute lutte le doux nom de savant. Je ne les idéalise pas non plus et je sais les limites auxquelles ils sont confrontés. Mais je les respecte et j’ai besoin d’eux. Non, il n’y a rien de normal nulle part et c’est tout au contraire la singularité d’une vie avec le VIH que je tente chaque jour de saisir car, là, et là seulement, je suis au plus près de moi-même.

Commentaires

Portrait de frabro

Cette menace dirige nos vies de seropos, dis tu.

Ben non, je ne partage pas ce point de vue. je n'ai pas une "vie de seropo", j'ai une vie./ (à la réflexion, j'en ai même eu plusieurs...)

Je n'ai jamais laissé le vih/SIDA diriger ma vie, même si j'ai dû en tenir compte, surtout dans les années 90. C'est quand même moi qui ai fait mes choix, pas lui.

Des menaces, j'ai conscience d'en avoir plein au dessus de la tête. Depuis 27 ans je sais que je suis mortel. Depuis l'annonce de la séropositivité. Avant, je ne le savais pas.

C'est peut être dû à mon grand âge ( Laughing ) mais les menaces s'appellent hypertension et/ou excès de poids, cholesterol etc... Chaque jour, lorsque je prends le volant, je sais qu'il y a une menace d'accident. Chaque fois que je suis dans un lieu public, je sais que la menace d'attentat existe. Chaque fois que je suis professionnellement devant un usager incontrolable, je sais qu'il y a menace.

Alors, la menace du vih/SIDA, hein... je ne m'en fiche pas, mais franchement c'est probablement la seule qui est sous contrôle.

Mais peut-être que je ne suis pas un "séropo normal" Wink ?

Portrait de Cmoi

Je ne reviendrai pas ici sur l'allègement thérapeutique, je viens de le faire sur ma page concernant les conséquences des traitements sur la qualité de vie. Mais pour ce qui est de la fin du texte, il ne s'agit pas de fuir les analyses et les spécialistes, et c'est à chacun de savoir ce qui est bon pour lui. En revanche, peut-être faudrait t'il commencer par "hygièniser" sa vie, c'est à dire surveiller son alimentation, réduire sa consommation d'alcool, et arrêter de fumer par exemple. Parce que ne pas vouloir réguler ce que tu manges, ce que tu bois, ce que tu fumes, et t'installer dans un mode de vie qui n'est pas le tien comme tu l'expliques dans un précédent billet, vouloir vivre dans la démesure et les excès, pourquoi pas, c'est tout à fait légitime, respectable, et je le conçois. Mais pour ensuite multiplier les examens complémentaires et s'abreuver d'imageries médicales, manque singulièrement de cohérence, et est non seulement une aberration individuelle, mais aussi collective concernant la sécurité sociale. 

Portrait de jl06

Comme je l'ai deja dit ,mon copain c,est bien suicidé volontairement face au Sida , ne me parlé pas d ' hygiene de vie il en avez pas ...de coup de la sécu , il leur à couté  ('0, ARV)  juste sur la fin 4 mois avant avant de mourir , et de me refiler le bébé!

surement pour  que je ne l,oublié ! (gagné)

ta à raison quand tu dit que les Gays triche , bien sur faut s ,inventer des vies pour survivre avec le VIH ...meme sous controle !

exp :se matin 7h  je suis parti marcher à la montagne ...,hier journée de ouff  travail du fer ,demain je vais enterrer un copain ....

ainsi de suite ..........tu fini par te faire ta propre hygiene de vie si on peut appeler ....

Quand à  la Cohérence ...Cmoi a beaucoup  de chance de passé aux travers de tout les examens on ne choisi pas toujours malgré une vie cohérente  , aucun complexe pour la sécu j,ai cotisé depuis l,age de 15ans  (70) fait le compte ....le sécu serait mieux organisé , gérer , mieux controlé , la collectivité ne s'en  porterer que mieux , donc je n,est pas me moindre complexe a me faire suivre , parcque j,estime que tu peut éviter des problémes bien plus importemps est qui couterait encore plus !

et   si pour me porter mieux je doit mettre le nez dans la Farine ....je vais pas me géné !Cool  

Portrait de Cmoi

Et les choses étant ce qu'elles sont, il est normal de se soigner, de faire tous les examens nécessaires et de s'occuper de soi. Je dis juste que je préfère arrêter mes conneries, ne plus picoler ou fumer un paquet de clopes tous les jours, que de continuer puis d'aller faire radios, scanner, IRM, et autres joyeusetés pour vérifier les dégâts occasionnés. 

Portrait de detlevera

Moi aussi, je suis enclin encore parfois (trop) à avoir une lecture trop rapide et à ne retenir d'un texte que ce qui m'arrange/dérange, en extraire la phrase, le mot qui ont titillé ma susceptibilité. Moi aussi, je peux me montrer énervé, agacé, furieux même pourquoi pas de ne pas me reconnaître dans un écrit.

Sentiment de trahison.


Pourtant parfois quelques lignes suffisent à s'approcher au plus près de ce qui me semble être la réalité - sous réserve de les avoir lues, relues parfois cela peut être utile, et comprises.

Merci Rimbaud d'être aussi sensible dans tes écrits, de traduire au plus près notre réalité, sans complaisance.

Et si certains préfèrent la méthode Coué : grand bien leur fasse puisque (si) cela leur réussit ! Il n'y a aucun problème.

http://www.methodecoue.com/

Portrait de Cmoi

Respecter son corps, arrêter de l'abîmer, n'a rien à voir avec l'effet placebo. C'est très facilement quantifiable, on en tire des bénéfices immédiats, et c'est bien plus par respect pour Rimbaud que je tiens ces propos que par un quelconque agacement. Quand au fait qu'il traduise au plus près notre réalité, non il traduit la sienne et c'est estimable. Mais cela justifie aussi parfois la contradiction. Jamais je ne m'en remettrai à ceux qui répondent au "doux nom de savant" sans mener ma réflexion personnelle, sans penser par moi même.

Les très grandes qualités littéraires de Rimbaud n'excluent pas la critique, les divergences, et quelquefois le désaccord. 

Portrait de detlevera

Alors là Cmoi je suis complètement d'accord avec ce que tu dis : respecter son corps , arrêter de l'abimer n'a rien à voir avec l'effet placebo. Et crois moi, j'en sais quelque chose !

Désolé que tu te sois mépris sur mes intentions, même que tu te sois senti agressé ?

Je ne veux de mal à personne.

D'ailleurs je respecte tout autant ton point de vue que celui des autres. Même si comme toi je ne suis pas forcément d'accord, et l'exprime tout aussi librement que toi. 

Finalement nous nous ressemblons, non ?