La blogueuse lesbienne était un homme

Chacun d'entre vous a très certainement entendu cette info qui a mis un terme à une supercherie dont tous les médias s'étaient emparés, jusqu'à Amnesty International.

Depuis le 19 février dernier, le blog "A Gay Girl in Damascus", signé Amina A. prétendait informer la planète des graves atteintes à la liberté en Syrie, sous la plume d'une lesbienne de Damas. Les faits, progressivement relayés par la presse internationale, avaient des raisons d'émouvoir et de choquer les défenseurs des Droits des hommes et des femmes. 

Or, la rédactrice syrienne supposée s'est avérée être un étudiant américain de 40 ans, marié, étudiant à l'université d'Edimbourg (Ecosse.)

Le canular qui aura duré trois mois et demi paraissait suffisamment crédible, jusqu'à l'insoutenable enlèvement de la jeune femme. L'erreur du blogueur fut de diffuser une photo qui n'était autre que celle d'une londonienne anonyme. Tout ce roman bien ficelé s'est aussitôt effondré et son auteur, rapidement identifié, sommé de s'expliquer.

Tom MacMaster tente de justifier son invention en affirmant que les informations générales étaient réelles, et que sa "créature" l'avait dépassé.

En attendant, les associations de défense des lesbiennes et des gays syriens se trouvent évidemment trahies et décrédibilisées. Non seulement le canular leur fait un tort considérable, mais les autorités se saisissent du phénomène pour dénoncer l'orchestration par l'étranger de la déstabilisation du pouvoir (encore) en place.

Les médias ne sont pas en reste, qui se sont engouffrés dans ce feuilleton sans prendre le soin de vérifier leur source. L'argument qui consisterait à se replier, comme toujours dans ce genre d'affaires d'internautes indélicats, derrière la rapidité de la circulation de l'info sur la Toile ne tient pas. 3 mois et demi et un buzz plus loin, l'arnaque aurait pu et dû être évitée. Mais la tentation du scoop était plus précieuse que le recoupement des sources. La cause était trop belle en plein conflit syrien, elle venait étayer non seulement une part de la réalité avérée, mais le témoignage "courageux" de cette femme offrait aux médias et aux associations de défense, une occasion providentielle pour dénoncer une dictature.

L'effet boomrang, malheureusement, sera d'autant plus pernicieux que les dommages causés par cet étudiant américain apporte durablement aux autorités de l'eau à leur moulin : manipulation, propagande orchestrée de l'étranger, défiance à l'égard de l'Internet et des réseaux sociaux. Autant d'occasions inespérées afin de justifier la répression sanglante. 

Cette histoire dépasse le champ du simple canular pour nous interroger sur nos responsabilités individuelles, dès lors que nous participons à des conversations, blogs et autres twitter, sous couvert de l'anonymat d'un pseudo. Ceci étant valable autant sur Seronet que partout ailleurs. La divulgation sur la Toile d'informations fictives prolifère pratiquement en toute impunité, mais jamais en toute innocence. Se créer une identité de façade, si elle permet un anonymat nécessaire, devrait être assortie d'une exigence éthique sans laquelle la confiance serait largement compromise. Celle-ci est d'ores et déjà mise à mal, au regard de tous les ragots qui circulent et des contre-informations qui nuisent à la crédibilité de tout ce qui est censé provenir d'Internet.

Si la liberté presque totale dont on jouit devait, un jour, réactiver la censure, le filtrage, le contrôle, la loi Hadopi version 6.4 pourrait bientôt tarir ce flux permanent par des entraves à une liberté d'expression qui demeure une avancée sans précédent dans le processus démocratique.