La Glottophobie ...et les Bobos Parisiens

Publié par jl06 le 26.01.2020
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La glottophobie bientôt reconnue comme discrimination ?

La glottophobie bientôt reconnue comme discrimination ?  ASSEMBLÉE NATIONALE - La proposition de loi du député de l'Hérault LREM Christophe Euzet veut promouvoir la "France des accents". Car, selon lui, il existe en véritable discrimination, notamment à l'embauche, des personnes avec un accent. Il nous raconte en quoi ce problème est bien plus profond qu'il n'y paraît.24 janv. 18:41

"On m’a déjà dit qu’on pouvait me guérir assez facilement, c’est plutôt pas mal, non ? Cela veut dire que je suis malade. Je l’ignorais. C’est tout de même stupéfiant " Ce dont Christophe Euzet serait malade, c’est… son accent. Un accent du sud coloré, chantant, qui s’entend. Alors quoi, ce serait le signe d’une maladie ? C’est justement là son combat : lutter contre les discriminations liées à l'accent.

Ce député de l’Hérault vient de déposer à l’Assemblée nationale une proposition de loi, visant à promouvoir les accents, notamment en ajoutant à la liste des discriminations dans le Code pénal et du Code du travail celle de l’accent.

Dans la sphère publique, on a un français complètement monocolore, uniformisé- Christophe Euzet, député LREM de l'Hérault

"Le français que nous partageons se décline avec des prononciations très différentes  suivant que l’on se trouve à un endroit ou à un autre du pays, et c’est une grande richesse ", explique à LCI Christophe Euzet. "Mais paradoxalement, lorsque l’on regarde  la sphère d’expression publique, les médias, l’audiovisuel, le théâtre, le cinéma, les grands barreaux parisiens, ou les grandes entreprises, on a un français complètement monocolore, uniformisé."

Forcément, la question se pose : y a-t-il des discriminations vis-à-vis des gens qui portent un accent dans le pays ? "La réponse est très simple : oui !", assène le député. Il a travaillé le sujet avec des universitaires, des linguistes, des psychanalystes, et est formel : "Nous sommes dans un pays qui a une forte discrimination par l’accent. Quand on a un  accent du sud, de l’est, ou des îles un peu prononcé, des sphères d’expression publiques se bouchent, il y a discrimination à l’embauche. Par exemple : il  n’y a pas de gens du sud dans les médias audiovisuels. Pourtant, nous sommes des dizaines de millions à avoir l’accent du sud, de l’est, du nord !"

Le cliché du type sympa qui boit du pastis en écoutant des cigales

Il le voit, à l’Assemblée : "Il y a les Corses, les Nordistes, les Stéphanois, on entend tous ces accents à l’Assemblée, c’est formidable, c’est riche, chacun retrouve sa diversité et cela fait une belle cohésion nationale. Et pourtant, dès qu'on est dans les débats nationaux, on disparaît", raconte le député. "Pourtant, j’ai le sentiment de maîtriser mon élocution et mon champ lexical au moins autant que la plupart de mes interlocuteurs. Et juste parce que ma prononciation des "in" et des "an" est un peu différente, je n’aurais pas accès à un média… N’est-ce pas étonnant ?"

Alors, pourquoi ces discriminations ? A cause des clichés évidemment. "Le type du sud, c’est un mec sympa, avec qui on a envie de boire le pastis en mangeant des olives  en écoutant les cigales", explique Christophe Euzet. "Alors, ce n’est pas que ça me déplaît. Mais je suis aussi professeur de droit, donc je sais parler d’autre chose que des cigales, et de temps en temps, je voudrais qu’on entende ma voix, non pas pour la consonance des choses que je dis,  mais pour les choses que je dis. Et parfois, ce n’est pas le cas." D'autant que si lui subit les clichés accolés à l'accent du sud, d'autres régions sont aussi bien mal servies : "Il y a même des clichés diffamants sur certains accents : le type du Nord est alcoolique, le Belge et le Suisse sont stupides… "

C'est totalement assumé : lorsque l'on discrimine quelqu’un pour son accent, on n’a pas l’impression de commettre une faute- Christophe Euzet, député LREM de l'Hérault

La particularité de ce type de discrimination, est qu’elle est totalement assumée, selon le député : "C'est-à-dire  que lorsque l'on discrimine  quelqu’un pour son accent, on n’a pas l’impression de commettre une faute. On peut vous dire : 'Avec l’accent que vous avez, non, vous ne pouvez pas vendre des parfums place Vendôme', ou 'avec cet accent, vous pouvez commenter le rugby mais pas présenter le journal de 20H'. C’est comme si l’on disait à quelqu’un, - je le dis volontairement pour choquer de façon à être bien compris - : 'ah non mais vous êtes trop noir, vous ne pouvez pas, ou alors vous êtes trop Juif.'"

 

Le sujet revient régulièrement dans les médias. Souvent, il est vrai, traité de manière légère ou insolite. La dernière vague était venue en 2018, quand Jean-Luc Mélenchon s’était moqué d’une journaliste qui lui posait une question avec un accent du sud. Sa répartie avait fait le tour des réseaux sociaux, fait découvrir ce mot nouveau de "glottophobie", concept théorisé en 2016 par le linguiste Philippe Blanchet, qui est la détestation de ceux qui parlent différemment, en faisant référence à l'accent. Une député LREM avait annoncé déposer une proposition de loi, avant d’indiquer que c’était une "pique" et un "trait d’humour", mais qui avait le mérite "d’ouvrir un débat de société", qui s’était vite refermé. mais, déjà, les témoignages avaient afflué.

  

Je suis Polonaise, journaliste et j’ai un léger accent en français. C’est marrant de voir, depuis la sortie de Mélenchon, l’indignation de certains médias. Les mêmes médias qui m’ont dit « c’est même pas la peine de postuler chez nous, ton accent ne passera pas ».

 

  

   

Une fois il avait été invité à TLMEP au Québec, où il a dit à (je pense) une jeune actrice qu'elle était mignonne... tant qu'elle ouvrait pas la bouche. Je devais avoir 16 ans, et je repense à ses mots souvent.

 

  

 

Une amie chère qui vit à Marseille préparait son agrégation de Lettres Modernes. Lors d’un jury blanc de la leçon, un des membres du jury lui a asséné « avec votre accent de cagole, vous n’avez aucune chance ».
Elle a eu son agreg !

 

  

   

Mon accent jurassien c'était un festival de sexisme et de mépris de classe "ça fait paysan" "c'est pas joli sur une fille" "t'es jolie jusqu'à ce que t'ouvres la bouche"

 

  

   

Nordiste + dans 1 quartier populaire, il a fallu perdre l'accent ch'ti + ce fameux "accent de banlieue" (la banlieue de Maubeuge...

Les profs m'incitaient particulièrement à le faire, pleins de vraie bienveillance, parce que j'étais bon élève (+ grave que pr 1 futur ouvrier)

 

 Les effets plus pervers

Mais pour Christophe Euzet, la question est tout sauf légère et anecdotique. Car non, il ne veut pas "faire la révolution ni de mener une croisade contre le parisianisme", mais "provoquer un changement des mentalités, une prise de conscience par rapport à ce problème". Car cette discrimination à l’accent, et cette parole aseptisée qui en résulte, révèle des fissures plus profondes. "Il y a une dimension très politique", explique-t-il, pointant deux problèmes : "D’un côté, les gens qui ont des accents se voient fermer les portes d’accès à l’expression publique. Et le deuxième effet, le contrecoup, est qu’il  y a un déficit d’identification à la parole publique. Les gens ne s’identifient plus à la parole publique."

Exemple, la crise des Gilets jaunes : "Elle a pris une intensité particulière chez nous dans le sud, et c’est en partie parce que les gens ont l’impression d’être pilotés depuis Paris, par des Parisiens, et par des gens qui ne parlent pas comme eux", raconte le député.  Outre une sorte de mépris parisien, cette chasse à l'accent fait sortir aussi, selon lui, une mépris social. Car l'accent de référence, cet "accent neutre parisien", n'est pas celui des titi parisiens, de l'argot et de la gouaille populaire, ou encore des jeunes des quartiers défavorisés, mais bien celui des quartiers bourgeois. "Nous sommes dans une société en crise, durable. Je crois qu’il faudrait lancer des signes forts montrant à la diversité du pays qu’elle fait partie de la communauté nationale, au même titre que les autres."

La proposition de loi a trouvé en tout cas de l’écho auprès des confrères : une cinquantaine de députés LREM l’ont co-signée, et Christophe Euzet a bon espoir : la présidente de la Commission des lois semble favorable à la disposition. "On va probablement discuter ce texte avant la fin de l’année, dans la perspective de le faire adopter", espère le député. Son prochain défi à lui, il le dit, c'est d'investir un média audiovisuel : "Pour sensibiliser à la cause. Et si on me laisse un peu parler, vous verrez que c'est un sujet qu'on prendra beaucoup moins à la légère !"