LA GROTTE DES ENFANTS PERDUS

Publié par JIPETTE le 07.07.2012
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Rogier le reclus n’est point ermite, plutôt un original sauvage. Il est simplement : reclus volontaire. Retiré de ce bas monde si décevant. Cet ancien de La Légion, surnommé par ses coreligionnaires : El salvaje, débarqua clandestinement du Lydia, paquebot grec, passager indélicat au mois de mai 1962 peu de temps après la signature des accords d’Evian reconnaissant l’indépendance de l’Algérie. Il fut soulagé d’être libéré de ce qu’il qualifie de «sale boulot». Sales bougnoules ? Vous plaisantez, ils sont d’une hygiène irréprochable «Y z’ont toujours le cul dans une bassine pour soit leurs ablutions religieuses ou le décapage après la décharge». Il ne portait pas dans son cœur le petit général Bigeard qu’il discréditait en Bibi-le Rouge. Amateur lui aussi de flotte mais dans une baignoire pour les tortures. Rogier est un solide bonhomme peu grand mais râblais à souhait sentant bon le sable chaud ( !) Regard d’acier mais bouche sensuelle vierge de tout poil sur un crâne d’œuf. Nous avons affaire à un iconoclaste légionnaire humaniste, avec sa sempiternelle combinaison offerte par un pote para. Au pied de la falaise sous les pins parasols, bruissent les grillons, crissent les cigales. Ce fond musical permanent et lancinant berce les pavillons. A terme : assommant L’atmosphère saturée de fenouil, romarin et lavandin sauvage contribue à étourdir, avec en saison des températures sahariennes. Tout alentour des vignes coquettes muent de parure au gré des saisons : verdoyant estival, rouille en vendémiaire, ébène hivernal. Cette mer émeraude courtise la grande bleue. Rivé à flanc de colline les oliviers téméraires, accrochés aux pentes, au feuillage vernissé et argenté parrainent la paix des lieux baptisés : Les Pesquis, oasis irrigué par un égoïste ruisseau. Quelques masures délabrées édifiées avec les matériaux glanés à droite et à gauche par Cyprien, le dernier ermite, décédé en 1888, témoin d’une vie d’antan résistent encore aux assauts des éléments naturels si farouche en Languedoc. Il avait aménagé un potager dans la combe avec tous les légumes de saison et plusieurs ares consacrées aux pommes de terre stockées pour l’hiver, planté un verger avec abricotiers, cerisiers, pommiers. Une fée garde la source, il faut ce méfier des mitounes, ensorcelant comme les sirènes, si le regard est porté sur ces dernières. La physionomie du paysage avec ses grottes mystérieuses, ses ténébreux gouffres alimente l’imagination.
A portée du regard une capitèle ogivale couverte de pierres plates. Seul indice d’une vie présente en ces lieux isolés. A l’intérieur, précieusement conservé dans une toile de jute humidifiée, niche un imposant pain campagnard à la croûte dorée. Au cœur de l’abrupte falaise, depuis une mystérieuse grotte, un panorama unique couvre toute la bande littorale piquetée de lagunes saumâtres creusées dans des plages de sable fin. Ombreuse antre naturelle encaissé dans le calcaire sur un vertigineux aplat. Aperçue à la base de la falaise la grotte se réduit à un trou noir envahi d’un fourré de ronces difficile d’accès décourageant les hypothétiques visiteurs indésirables et bêtes prédatrices. Chiens et chats sauvages ne sont pas les bienvenus. Le vigile Rogier ne saurait être pris en défaut. Un méchant sentier torturé, encadré d’éclats tranchants de roche, bute en bout course sur un muret de pierraille éboulée et branchages occis. Cet encombrement naturel dissimule l’entrée de grotte des «Enfants perdus». Une légende colportée par quelques braves vieilles gruissanotes mérite d’être contée. En des temps lointains, une nuit de pleine lune de Nivôse les habitants du petit hameau de Gruissan-la-Barberousse devaient fournir offrande à la grotte d’un duo de jouvenceaux pour satisfaire un hypothétique ogre dévoreur de gosses. En fait ces mystérieuses disparitions peuvent trouver une explication des plus géologiques. Dans la grotte une fissure en forme de puits accède à la nappe phréatique avec une délicieuse eau douce. Mais aux équinoxes, pendant les torrentielles tempêtes de la douce Méditerranée, l’eau mue saumâtre et salée. Le puits est donc relié par un boyau à la mer. Un phénomène de siphon s’y crée tout naturellement. Régulièrement des moutons sont ainsi happés et non par un monstre. L’ensemble puits+boyau est désigné sous le terme : Gouffre de l’œil doux. Doux au regard, mais dangereux.La légende voudrait qu’en Crète dans le dédale un Minotaure (gueule de taureau et corps humain) reçoit le tribu de jeunes gens envoyés annuellement par les Athéniens. Un érudit gruissanot s’empara de cette tragique fable et l’adapta aux réalités locales, les mystérieuses disparitions inexpliquées des bêtes facilitant cette adaptation. Ainsi naquit le trou maudit dit de l’œil doux qui attira une foule de touristes. La région, par ailleurs pullule en légendes : l’abbé Saunières de Rennes- le-Château. De plus la côte était fréquentée, pour des razzias par le redoutable pirate Barberousse qui profitait de l’occasion pour kidnapper les jeunes vierges.