La liberté est une conquête

Publié par Rimbaud le 03.08.2017
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Lorsque j’ai vu que l’autotest était positif : rien. Une sorte de silence millénaire. Les fleurs ne poussaient plus, la lumière ne voyageait plus, les incendies ne consumaient plus rien, le langage était aboli. Plus rien n’existait que ces deux putains de bandes à l’intérieur de ce bout de plastique. Ma vie entière se trouvait là, contenue, emprisonnée, étouffée par le trait. La stupeur est rare et son pouvoir est puissant. Elle fige les émotions et annihile toute possibilité de mouvement.

Lorsque la doc au centre de dépistage m’a confirmé ma séropositivité, j’ai pleuré. Comme un enfant qui a fait une connerie mais qui ne sait pas laquelle. Mes épaules se sont affaissées et le découragement avait l’amplitude d’une vague indomptable. D’un ton ferme, elle m’a dit : « vous savez, vous allez continuer à avoir une vie normale. Parfois, j’annonce aux gens qu’ils ont une maladie rare, un truc dégueulasse qu’on ne peut pas guérir et ils ne réagissent pas. Ils n’ont pas conscience de la gravité. »

Je sais que je ne mourrai pas du sida. La cigarette aura eu ma peau bien avant. Et face à cette drogue quotidienne il n’y a ni silence, ni larme, pas la moindre émotion. J’incarne l’absurdité du genre humain. Mon cerveau tourne à plein régime sur la question du VIH mais il refuse d’aborder de front la dépendance au tabac. Jamais sur la durée en tout cas. L’infectio a pris les choses en main : radio, scanner, pneumologue, cardiologue… tous les corps médicaux vont me passer dessus. On s’occupe de moi. C’est délicieux comme sensation. J’adore me rendre à ces rendez-vous. On se soucie de ma vie. Moi qui ai passé mon temps à la brûler, moi qui étais persuadé de mourir à 15 ans, puis à 20 ans, puis à 30 ans, me voici à 41 ans à tout faire pour prolonger la vie. Pour quelles raisons ? Parce que les dix dernières années ont été belles et que je dois bien ça à mon homme. Ma mort serait aussi la mort de l’amour. Cette idée est terrible.

Me voici donc parti à l’assaut de la liberté que je dois reconquérir. J’écris ceci en fumant, bien entendu. Et qu’on ne vienne pas me faire la liste de tous les procédés pour arrêter cette drogue, je les connais tous. La bataille est psychologique. De sa voix douce, l’infectio m’a glissé : « il y a beaucoup de séropositifs qui arrêtent la cigarette parce qu’ils trouvent ça dommage de mettre autant d’énergie à combattre le VIH pour, au final, continuer à s’abîmer. » Elle est forte. Elle a dit ça l’air de rien. Une phrase parmi d’autres. C’est ça qui est fort.

C’est donc une lutte philosophique, esclave que je suis.

Commentaires

Portrait de Dakota33

Chaque fois que je lis les ce que tu écris sur ton blog, j'ai l'impression de me voir un peu avec les mêmes interrogations, et des points de vue similaires. Je suis séropo depuis cette année moi aussi, avec tout les examens que tu cites à passer dans les semaines qui viennent, j'ai commencé mon traitement, je le supporte très bien. Tout le monde autour de moi, tout ce que je vois ici ou ailleurs me fais comprendre que quelque part j'ai de la chance d'avoir chopé ça en 2017, que tout va bien aller, que je vais être en bonne santé, vivre longtemps, bref qu'il ne faut surtout pas s'appitoyer sur son sort. Je comprend bien tout ça et je suis persuadé que c'est vrai. Et pourtant, le choc est la, un évenement dramatique, peut être le pire de ma vie, avec cette sensation que le temps s'est arrété après l'annonce fatidique. L'avant et l'après. Beaucoup de colère, des choses à l'intérieur impossible à extérioriser. Le coté ridicule d'être si bien informé pour finalement se faire avoir.  Comme toi j'ai cette impression aussi qu'on ne peut pas se plaindre, ou qu'on n'ose pas, car il y a des situations bien pire. Et bien sur que c'est vrai. Effectivement la vie continue, je tiens le choc mais comme toi je me pose plein de questions, mes pensées tournent en permanence autour de de ça. Je vois plein de témoignage de gens qui  disent que tout va bien aller et que tout ce que l'on vit en ce moment sera bientôt un mauvais souvenir... Tout ça n'est peut être qu'une question de temps. Mais comme le temps s'est arrété il parait bien long...

Portrait de ballif

aujourd'hui il n'y a plus France tu as des traitements qui fonctionnent bien  même tu peux avoir un raport sexuel sans prévervatif si ta change virale est indétectable et tes T4 au dessus de 500

alors bonne chance  Moi cella dure depuis 45 ans

Portrait de Rimbaud

C'est chouette parce que ton message constitue une réponse à l'ensemble de mes posts. J'ai vraiment conscience que ce que je vis, des milliers de gens l'ont vécu et le vivent aussi en ce moment. C'est pour ça que je les publie, et aussi parce qu'écrire m'aide à extérioriser et à mieux comprendre. Devenir séropo est un événement majeur de la vie, en 80, 90 ou en 2017. Le silence médiatique, les progrès, les paroles rassurantes, rien ne doit faire oublier ça. Je crois que le vivre ainsi est d'ailleurs rassurant, c'est la preuve qu'on n'est pas dans le déni, qu'on fait face à la réalité. Ce qui ne veut pas dire qu'on est suicidaire (justement pas), ou que la vie s'arrête. Mais c'est un bouleversement.

Portrait de Dakota33

Je suis totalement d'accord avec toi et je te confirme, je suis pas sucidaire non plus, j'ai une super envie de vivre ;-)

Portrait de Sealiah

<< Le côté ridicule d'être si bien informé pour finalement se faire avoir.>>

<<Je sais que je ne mourrai pas du SIDA.>>

Face à un danger imminent la lucidité est remarquable.Prendre conscience du ridicule d'une situation et de la certitude d'une autre me réjouit.L'écriture,vous avez raison, permet le dépassement de la stupeur des premiers instants.J'ai opté pour cette solution pour admettre que parfois mes libertés de choix avaient des conséquences néfastes mais ne relevaient que de ma propre liberté consciente en toute connaissance.Peut-on envisager une démarche suicidaire?Consciente?Inconsciente?Je n'arrive pas à faire la part du conscient ou inconscient mais la démarche est bien réelle.

Je suis aussi un "fumeur de havanes" et un "wihskey-boy" excessif.L'écrivant je ne suis pas dans le déni.Je connais les ravages du tabagisme et de l'alcoolisme, je ne suis pas dans le déni.Si demain le médecin m'annonce un cancer du "fumeur" ou une cyrrhose du foie dûe à l'alcool:

<<Excusez-moi docteur je ne comprends pas.>>

ou de me souvenir que j'ai usé de ma liberté de choix en toute connaissance.?Suicidaire ou pas suicidaire?

Je peux mourrir du SIDA.Je sais comment contrôler mon VIH.

Ta liberté Rimbaud tu l'as,qui de plus libre qu'Arthur.Sa liberté était consciente.

Je suis dans le moment présent: Je reviens d'un festival génial de "caribé-jazz-funk", d'un numéro poêtique de jongleurs de feu, un peu pété et fumé(Nous),(eux aussi sans doute).Mes animaux destroyent mes pompes Kenzo et tout à l'heure je vais rammasser des prunes pour faire de l'eau de vie.

I love you.Kiss.

Portrait de cbcb

Et non, les gens ne réagissent pas. Si parfois quand ils se sentent concernés.

Tu n'es pas le seul à écire en fumant.

https://www.youtube.com/watch?v=fpuVTzeXzMY

Et votre nostalgie me rend également nostalgique (mais je ne suis pas sûre que tu connaisses Higelin)

Portrait de Rimbaud

Moi ? Pas connaître Higelin ? La blague ! :) Un des rares à faire des concerts interminables, trois heures, un vrai poète de la chanson, j'adore ! 

Portrait de cbcb

Ok Arthur, mais tu sembles si jeune sur ton profil (Rimbaud avait 17 ans sur cette photo) ! Excuses-moi...
Moi aussi, je l'ai vu plusieurs fois sur scène, mais il y si longtemps !

https://www.youtube.com/watch?v=xCaDNHuQo3Y&list=PL9E8823353F7899DC&index=2