La sexualité est une métaphysique glorieuse...

Publié par Rimbaud le 29.10.2017
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Lorsqu’on affirme sa séropositivité, de nombreux mecs nous prennent pour des désespérés. Si l’on ose se refuser à eux, les insultes pleuvent subitement. Les prostitués nous prennent pour cible principale, s’imaginant des clients faciles. Nous attirons les plus extrêmes, ceux qui pratiquent le sado-masochisme, les plans uro, scato, que sais-je. Dans l’imaginaire collectif, nous sommes forcément des dépravés, ce qui n’est pas faux, me concernant, mais c’est l’automatisme qui surprend. J’ai deux profils : celui où l’on voit des photos de mon visage qui ne provoque aucun intérêt, aucune discussion, aucune proposition (sans me prendre pour un mannequin, je ne suis pourtant pas totalement laid) ; et celui où l’on ne voit que mon torse, où j’annonce ma contamination et qui me permet de dialoguer avec de nombreuses personnes. Il y a les séropos, ceux qui sont inquiets parce qu’ils ont pris un risque, ceux qui font leur bonne action du jour, ceux qui sont attirés par le danger… pas un qui vienne voir qui se cache derrière le profil, pas un qui vienne regarder de face, planter son regard dans le mien. Nous sommes les fuyards d’une société qui nous a réduits à des chiffres, et ça semble convenir à tous. Je lui aurais parlé pourtant du trou en dedans, de l’amour impossible, soif inextinguible, et des rodéos corporels qui se nourrissent de la tendresse, de la complexité, de la caresse, d’une étreinte puis d’un baiser.

-          encore ton romantisme de midinette !

-          Ce que tu nommes romantisme n’est qu’une pâle copie de la violence qui animait les cœurs de Nerval, Musset, Hugo. Le romantisme est un désir d’infini, c’est la réconciliation avec nous-mêmes et la possibilité de nous rapprocher d’un autre. C’est la confrontation aux affres de la réalité, sans tourner le dos à la mort, sans nous broyer sous la presse de la grande machine de l’idéalisation. Il est l’impatience de ce qui n’est pas et conscience de ce qui a été. Il est la lucidité portée en boutonnière et il a la puissance du soldat courageux qui ne fuit pas sous la mitraille mais qui regarde le désert autour de lui et comprend qu’il est seul face à l’ennemi. Il y a de la grandeur à ne pas sombrer dans une télé-irréalité, à ne pas se fondre dans un discours-prosélyte  qui ne soit pas personnel, à ne pas s’aligner sur les autres, à sonder les dangers du conformisme tout en cherchant les signes discrets et cachés communs à ceux qui sont des frères. Tout semble mécaniser et cela convient aux esprits paresseux qui ne luttent plus, qui sont fatigués, qui acceptent, dans la patience des endormis, ce qu’on voudra bien leur donner et qui n’est qu’un ramassis d’images éculées et vouées à l’échec.

-          Que veux-tu à la fin ? Prendre du plaisir ou apprendre à connaître l’autre ?

-          Tu es totalement piégé par une pensée binaire et stérile. Je te plains. Comme tes étreintes doivent être rapides, tes baisers des poudres de langues, tes fellations des va-et-vient ennuyés, tes éjaculations des purges inutiles ! L’abandon à une bestialité foudroyante ne peut se faire que dans un saisissement total de l’individu, dans une adhésion pleine et entière à son histoire, ses valeurs, sa philosophie. La sexualité est une métaphysique glorieuse. Elle est une réponse. L’écrivain est le meilleur amant qui soit tant il devine, il pressent, il conçoit, il invente, il célèbre. Le sexe est un hommage à l’imperfection des hommes donc à la part d’humanité en eux. Que crois-tu ? Que j’aime ces corps lisses, imberbes, dessinés, surmontés d’un visage angélique, conformes à l’utopie des statues grecques ? Elles me laissent de marbre ces photos semblables, attendues, ennuyeuses, à la mise en scène passée. Je préfère la virilité d’un corps qui a vécu, qui a traversé le temps et en a compris la sulfureuse dangerosité, qui a parfois faibli et qui me raconte une part de son histoire. Une phrase juste, vraie, sentie et je me donne entièrement, sans condition, et j’en tremble.

-          Tu intellectualises tout, tu es un faussaire, un menteur inavoué : qui aurait envie de sucer l’abbé Pierre ? Or, c’était certainement la plus belle âme qui soit !

-          Je ne nie pas qu’il y ait des corps plus désirables que d’autres mais qu’est-ce qu’un corps bien fait s’il ne traduit pas un vécu, s’il ne fait pas rayonner la richesse du passé, s’il se mure dans une superficialité stérile, s’il est le paravent des terreurs enfouies ? Une fois de plus, tu exclus la possibilité merveilleuse de l’alliance des éléments. Pourquoi rejeter la beauté au nom de la laideur ? Pourquoi dissimuler l’enfance sous le masque de l’adulte ? Allons, va-t-en. Tu ne m’élèves pas. Je préfère cent fois ma solitude amère à ta pauvreté d’affamé.

-          Orgueil !

-          Et tu n’es que jugement, que jugement…

Commentaires

Portrait de ouhlala

trop foutu.

Portrait de ouhlala