Le temps de l'acceptation

Publié par Rimbaud le 04.10.2017
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            Dans toute maladie, il y a des stades. Logiquement, j’en suis à l’acceptation. J’hésite. Je recule d’un pas. Je mesure les risques. Je les jauge. J’ai ce sentiment assez net qu’elle s’accompagne d’une forme de renoncement. Un renoncement à la colère. Je ne l’éprouve pourtant ni envers moi-même – je ne me suis finalement que peu culpabilisé, je me sens bien davantage victime d’un virus que personne n’a réclamé (hormis ceux qui pratiquent le bareback) -, ni envers les autres, pas même envers l’inconscient qui me l’a transmis par ignorance, moi-même ayant probablement commis la même imprudence, le même acte irresponsable. Je pense ne pas être en colère, ni même ne jamais l’avoir été. J’ai ressenti bien davantage une forme de lassitude à rencontrer un obstacle de plus sur ma route. J’ai inscrit la contamination dans l’ordre d’une suite logique, d’un destin qui n’est pas le mien propre mais celui de tout être vivant ici-bas. Allons, non, ce n’est pas de la colère. C’est de la révolte. Une révolte ontologique, inséparable de la condition humaine, fruit des réflexions qui ont pris le monde pour objet, carburant qui donne du sens aux journées, qui évite de sombrer dans une léthargie ennuyeuse, austère, stérile. L’acceptation peut-elle annihiler cette révolte ou plus simplement l’affaiblir ? L’acceptation, n’est-ce pas jouir d’une tranquillité aveugle, avancer le pas léger, oublier dans le repos du quotidien la séro-homophobie ordinaire, les inégalités de traitement, l’insuffisance d’une volonté étatique, les refus de priorité d’un ordre mondial dans lequel l’humain est relégué au second plan ? Accepter est peut-être plus simple que ça. C’est faire la part des choses et valider la bourgeoisie de ma situation gagnée de haute lutte, saluer la chance inouïe de former un couple amoureux, poursuivre sereinement sa construction par des efforts répétés, cesser de se prendre pour objet d’étude, ne plus dresser la liste interminable des moindres petits effets secondaires, louer les progrès de la médecine qui m’assure une vie décente, porter mon attention sur les autres, dégager le temps et l’espace nécessaires aux problématiques de ceux qui n’ont pas ma « chance », faire sauter les guillemets que je viens de poser, mêler ma voix aux voix d’ailleurs, créer une parole qui soit dirigée, un discours qui ne tourne pas à vide, faire surgir les images  des hommes mutilés du langage, opposer au vide médiatique une parole sentie et vraie, substituer aux questionnaires le déploiement d’une analyse, inventer une révolte de la douceur, une révolte de la tendresse, une révolte de l’égalité, une révolte de l’utopie, une révolte positive, une révolte qui ne soit pas systémique, une révolte pour, une révolte positive, une révolte imaginative, une révolte inventive, une révolte constructive, une révolte attentive, ardente, patiente… pour que la solitude se conjugue à nouveau et que je sorte de moi-même, provisoirement ou définitivement.

Commentaires

Portrait de cbcb

j'en suis toujours aui stade de la colère ! d'autres avec quelques mimi périodes d'acceptation, de résignation ...

ej je vais aller me coucher !!! 

bonne nuit, petit Arthur !

Portrait de frabro

Rimabud, ce que tu décris avec tes mots à toi correspond à la défintion des phases du deuil que chacun de nous a ou a eu à faire : le deuil de ce que nous étions avant de nous savoir séropositifs, lorsque nous nous croyions immortels.

L'acceptation en est l'avant dernier stade, après la sidération (choc), le déni (non, ça n'est possible, ça ne peut pas m'arriver à moi) la révolte/colère, la tristesse pouvant aller jusqu'à la dépression, la résignation, l'acceptation, et enfin la reconstruction.

Le fait de rester bloqué sur l'une  de ces étapes constitue ce que les spécialistes appellent un "deuil pathologique", l'impossibilité d'accomplir ce processus jusqu'au bout, et le mal être plus ou moins grave qui en résulte. Les exemples foisonnent sur Seronet, il n'y a qu'à lire les blogs et forums pour s'en rendre compte.

Certains appellent le fait d'avoir été jusqu'au bout du processus la "méthode Coué". Ce en quoi ils se trompent : la méthode Coué c'est se cacher la réalité. L'acceptation, c'est tenir compte de cette réalité et l'intégrer.

Il n'y a pas de délai "normal" pour accomplir ces étapes, mais si l'on n'avance plus du tout il y a je pense nécessité de se faire accompagner par un professionnel de l'élaboration psychique.

Tu en est tout au début. Bon courage pour la suite. En tous les cas, ça nous vaut de beaux écrits qui nous incitent à réfléchir et parfois réagir.

Portrait de jean-rene

Moi, j'ai vécu l'annonce de ma séropositivté, il y a 32 ans, comme un véritable défi.

J'étais parti pour une une bonne petite vie bourgeoise : une situation professionelle peinarde si je ne faisais pas trop de conneries, une épouse adorable, une belle-famille de la "bourgeoisie de robe" qui m'avait accueilli à bras ouverts, moi le fils de divorcés et militant socialiste, et deux fils dont la masculinité m'avait permis de sublimer une homosexualité latente jamais vécue.  

Et puis, patatras, l'infarctus de mon père, la confirmation de la haine de ma mère à son égard, et mon premier échec professionnel m'avaient précipité dans une vraie dépression nerveuse et conduit à entreprendre une psychanalyse au cours de laquelle je pris conscience de la nécessité vivre cette homosexualité. J'en informai, au bout d'un an, mon épouse qui l'accepta (ô merveille!).
Mais, alors que j'avais toujours utilisé le préservatif depuis vingt ans de vie hétéro, que ce soit avant ou après mon mariage, je décidai de m'en libérer pour vivre ma vie homo, car cette vie-ci était, pour moi, enfin, une vie de liberté. Ce devait arriver, arriva donc : au bout de quatre ans, en 84, j'attrapais le VIH.

Je considérai l'annonce de ma séropositivté comme la rançon de ma témérité, comme une nouvelle à la mesure du défi que j'avais lancé au "comportement corect" qui avait été le mien jusqu'alors, en allant me saouler de sexe dans les backs-rooms. Il fallait que j'assume. Et j'assumai. A la fois, je pris contact avec un marbrier pour choisir ma pierre tombale, et je décidai de vivre. Pour cela, je fis une confiance totale à mon infectiologue et appliquai strictement ses consignes.

Mon entreprise ayant fait faire à ses employés un test sanguin, avait apris ma séropositivité avant moi! Elle me mit progressivement sur la touche mais sans me mettre à la porte. Je pris mes médocs pendant dix ans devant mon épouse et mes enfants  sans que nul ne me pose la moindre question. Lorqu'en 96, mon épouse me demanda si je n'étais pas séropo, je lui répondis par l'affirmative : elle avait mis dix ans à se faire à cette idée.

J'avais eu une enfance difficile. J'avais une vie d'adulte un peu compliquée. L'une était dans la continuité de l'autre. Je devais "faire avec". Mon fils aîné me reproche souvent d'être "un résigné". Peut-être parce que, ayant vécu mes cinq premières années pendant la guerre, je considère toujours les instants de bonheur comme des parenthèses dont il faut profiter à fond avant qu'elles ne se referment.

Ma séropositivité m'a permis de me faire, à AIDES, de vrais amis auxquels j'ai pu tout dire. Je suis, à présent un être PLUS FORT,maintenant que j'ai affronté une mort prochaine et que je force à me fréquenter ceux de mes proches auxquels je n'ai rien révélé (par égard pour mon épouse) mais qui s'en doutent, car il m'entendent parler de l'homosexualité et me voient prendre mes médocs.

La vie nous lance ainsi des défis et le mieux que nous ayons à faire, c'est de les relever.

Portrait de cbcb

(Sachant que le premier écrit à minuit et quelques, le deuxième à deux heures, le troisième à six heures du matin, un quatrième à 10 heures... ce sujet de réflexion n'aurait pas d'heure ...)

Merci Fabro pour ces explications.
Certains disent qu'il y a trois étapes, d'autres parlent de cinq, parfois sept !
Un "professionnel" m'a dit que les processus étaient les mêmes pour le deuil, la maladie, la maladie de l'autre ... Il m'a expliqué aussi que ces phases pouvaient se superposer, stagner, disparaître pour mieux réapparaître...

En fait, il reste le temps, le temps qui passe… le temps qui semble interminable parfois, et pourtant, il est passé, continue d’avancer… et nous avec…

PS : certains parlent de "méthode coué" ? Certainement ceux qui ont (sur)vécu ce processus !!!
(pfff...je n'en suis pas sûre...) Et je ne vois plus de psy !

Portrait de Exit

J'ai pourtant la sensation que tu as parfaitement accepté ton nouveau statut, ton romanesque prouve ta joie de vivre face au vih, j'en suis moi même ravi pour toi ! Ceci nous donne de nouvelles pensées sur un sujet tellement pationnant  qu'est le monde micro-organisme ! 

A lui qui m'a rendu positif, qui m'a ouvert les yeux face à cet autre monde qui nous tue et nous permet de vivre ! A cet homme, qui par son unicité est plusieurs à la fois...

Portrait de fighter48

Pensant accepter la maladie grâce aux medicaments qui me tiennent en vie (merci aux chercheurs), il me semblait etre dans l'acceptation car pas d'effets secondaires, c'est avec cette fraicheur que je suis partis voir mes parents mais avec la boule au ventre tout de même, pour à 45 ans annoncer"enfin" à mes parents  que j'étais gay ( chose qui ne se doutais pas du tout). Ils l'ont bien pris, une formalité difficile à annoncer pour moi, une formalité pour plus leur mentir, pour plus me mentir,en vu de preparer le terrain pour dire: "coucou, je vous presente votre gendre :-) . La réaction la plus dure a encaisser à été celle de mon père : " A ça va !!!  Comme tu as maigri j'avais peur que tu nous annonces que tu sois malade, je me posais des questons", et lachement j'ai répondu : " Non, çà va !!! vous inquiétez pas, niveau santé je suis en pleine forme ". Acceptation, protection, déni ?
Quelques jours aprés, second coup de massue, rappel à l'ordre avec mon chéri à qui je dis que je veux reparler à mon infectio du fait de vouloir alléger eviplera ( dans un but de prendre moins de medoc, et au vu de toutes les personnes qui allégent avec eviplera) il me rappelle qu'il y a pas assez de recul et que le professeur reynes m'a bien préciser qu'avec un risque de duplication je ne pourrais plus suivre ce traitement si le vih deviens plus fort que le medoc et de me rappeller à l'ordre en me disant que si j'allège sans consentement medical, c'est préservatif obligatoire :"je ne prendrai pas de risque !!! Je te fais confiance sur ta prise de medocs et on se fait confiance mutuelle sur notre fidélité". Je prends conscience que je suis bien malade, je me réfugie dans ses bras tel un enfant bléssé et des larmes roulent sur mes joues, . Déni.

L'acceptation dans le déni peut etre dirai-je pour moi.