Moi, séronégatif...

Publié par Rimbaud le 13.09.2017
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Il faudrait ne pas oublier les ressentis, les images, les conceptions que les séronégatifs ont des séropositifs. C’est un savoir nécessaire à la déconstruction des stéréotypes, à la compréhension de celui qui ne comprend pas, une condition utile à un dialogue possible et à une forme de réconciliation, de justesse. Le temps de mon infection n’étant pas encore trop éloigné, je dois faire l’effort de retrouver ce regard afin de le graver en moi. Il y a urgence car je sens que cette perception s’est déjà bien éloignée, qu’elle est même déjà morte, remplacée par la vie que je mène actuellement. Cela m’aidera à comprendre l’attitude des autres envers nous. Il y a bien sûr des études, des témoignages, des paroles rapportées mais rien ne vaut l’expérience personnelle. Il n’y a pas si longtemps, j’étais moi-même séronégatif… et je me demande ce soir quelle était ma façon de percevoir les personnes contaminées. Je suis à moi-même mon propre cobaye. Tentons une réincarnation (trois tours sur moi-même, serre-tête en or, bustier et bottines  rouges, culotte façon grand-mère et cape bleue : Wonderwoman, sors de ce corps !).

Quand je pense à cette question, un vide immense s’installe. Une absence de réponse immédiate. C’est déjà le signe que les questions liées au VIH demeuraient abstraites, lointaines, théoriques, conceptuelles alors même que j’ai été obsédé par la possibilité d’une contamination des années durant. Je n’ai rencontré qu’une fois dans ma vie un gay ouvertement séropositif. Un mec jeune, beau, attirant, mystérieux avec une sorte de sourire triste et intelligent au cœur du visage. Je dirais que c’est la tristesse, le premier sentiment qui est survenu. Une forme de compassion quand bien même je ne savais rien de sa vie. Dès lors, ignorant tout de la gestion du virus, l’imaginaire faisait son boulot d’imagination. J’étais triste car je l’imaginais immédiatement triste alors que je n’avais aucun indice pouvant me conduire à cette affirmation. Comme une empathie de principe. Sans fondement. J’éprouvais de la compassion pour lui, un sentiment irrésistible de l’aimer, de le serrer contre moi, de devenir le sauveur de sa vie, l’espoir inattendu pour lui, une sorte d’héroïsme niais de cour d’école, à la façon qu’ont les hommes de vouloir sauver une prostituée (il parait que c’est un fantasme récurrent). « Tu n’as besoin de rien, je ne sais rien de toi mais viens, je vais t’aider à vivre ». J’affirmais ainsi une sorte de supériorité sur lui. Tu es malade, je suis sain : je vais t’aider. Je réduisais son individualité à son seul statut sérologique. Je le considérais, sans en avoir conscience, finalement comme un sous-homme, un inapte courageux qui faisait mon admiration. Soupçonnant la sérophobie régnante, je me posais en défenseur de son propre combat quand bien même je ne cherchais au fond qu’à me valoriser, qu’à jouir de ma santé décuplée, par contraste. On mesurera ce mélange d’orgueil, de vanité, d’hypocrisie et de narcissisme cher à ceux qui se sentant investis d’une mission humaniste se saisissent des problématiques qui ne les concernent pas. R.I.P. Wonderwoman, B.H.L. est dans la place ! 

Pourtant, rien ne s’est passé avec ce garçon et là, il faut être totalement honnête : je n’avais aucune envie de coucher avec un séropositif. Aucune. Peu importe qu’il soit beau, qu’il dégage une forme d’intelligence, qu’il ait de l’esprit, le sens de l’humour, ou je ne sais quelle autre qualité. Il y a des millions de gays ici-bas, je ne vais tout de même pas choisir un séropositif ! Je ne vais pas courir le risque d’une contamination, subir le poids de ses examens médicaux, le voir dépérir année après année, maigrir, vomir, pour finalement sombrer avec lui dans un état dépressif (c’est grosso modo l’image cinématographique indémodable persistante). Hors de question. Ce qui est fascinant dans ce retour en arrière, c’est la simultanéité des émotions : le grand cœur se double d’un petit égoïste (à moins que ce ne soit l’inverse !). La grandeur d’âme d’une vision étroite de la question, la bonté de la bassesse, l’altruisme de l’égocentrisme, la compréhension de l’ignorance, l’ouverture de la fermeture.

Ce n’est pas de la méchanceté. Ce n’est même pas de l’indifférence. Chacun de nous est enfermé dans des conceptions éculées et des représentations erronées dès lors qu’il ne sait pas. L’image plutôt que le doute. L’affirmation plutôt que les points de suspension. N’importe quoi plutôt que le vide. L’esprit a horreur du vide, dit-on. Une fois de plus, c’est la question du savoir et de l’éducation qui se pose à la société, la question de la transmission… non plus du virus, mais de la connaissance.

Commentaires

Portrait de bubulle

Un regard sans concession. Ton beau texte 'pique' et ouvre vers le meilleur de soi. J'en veux encore! ;)

Portrait de Rimbaud

Le livre de ma mère... lui aussi est sans concession avec lui-même, quel texte fantastique, déchirant, universel ;)

Portrait de bubulle

Sur la mère et le fils,  si tu as plus beau encore à me conseiller, je suis preneur.

Je n'ai pas encore trouvé :)

Portrait de Rimbaud

Moi non plus... je le donne à lire très souvent... ;)

Portrait de bubulle

Je l'ai donné à lire ( à des amis ) et l'un d'entre eux a trouvé ça génant tant ça manquait de pudeur, de retenu.

Il y a détesté ce que moi j'y adorais.

Mais ce livre charnel parle du rapport à la mère et son appréciation dépend sûrement du lien que l'on a avec elle.

Bonne nuit sans aucun cauchemard à toi ;)

Portrait de Rimbaud

Moi je trouve ça pourtant pudique parce que le langage est beau, simple. L'impudeur (que j'aime parfois d'ailleurs) aurait été qu'il décrive ses parties de jambes en l'air mais non... c'est du remords posthume dont il est question et du dévouement de sa mère... ce n'est pas impudique... je comprends pourquoi il dit ça... comme l'absence de retenue, je comprends, c'est l'expression de l'enfant confronté à la mort... et malgré tout, il y a tellement de classe et d'élégance que ça reste pudique. Enfin, c'est mon ressenti.

Deux nuits sans cauchemar, jamais deux sans trois ;)