Mon épicière est formidable

Publié par Ferdy le 22.02.2013
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Cela faisait quelques jours que je n'avais pas eu besoin de me rendre chez Simone. En fait, je crois qu'elle finissait par me manquer. Au prétexte de quelques courgettes, j'y retournai hier un peu avant midi.

Gravement handicapée dans sa locomotion, Simone ne quitte jamais sa caisse ou ne s'aventure dans le magasin, lorsqu'elle s'y trouve obligée, que par la grâce d'un engin électrique sur trois roues qu'elle conduit prudemment à travers les rayons.

Mais, la plupart du temps, elle observe les rares clients ou vérifie les factures de ses fournisseurs, à l'abri derrière son comptoir protégé.

Elle a subi quatre vols armés en six mois, pour un butin somme toute dérisoire, mais lourds de conséquences quant au sentiment d'insécurité.

Quand elle est seule désormais, dans l'après-midi ou un peu avant la fermeture, la porte d'entrée est soumise au même contrôle qu'une bijouterie et l'ouverture se fait à distance, à l'aide d'une télécommande qu'elle porte autour du cou. Les caméras de surveillance n'ayant jamais permis d'identifier les sauvageons encapuchonnés qui venaient se servir en alcools avant de repartir avec la recette, dans une fuite aussi furtive qu'improvisée.

A son âge, 68 ans cette année, elle commence à ressentir un peu la fatigue et en a assez des mauvais traitements qui ont pu lui être infligés. Marre de recevoir des coups ou de se trouver menacée par une arme à feu, par des gamins en scooter qui ont plus ou moins l'âge de ses petits-enfants.

Mais là n'est pas le sujet. Le prix de la courgette a considérablement baissé depuis ma dernière visite. Un petit euro cinquante le kilo, une aubaine. Car si les fruits et légumes se maintiennent généralement dans une fourchette de prix relativement attrayants, il n'en va pas de même des produits de première nécessité qui affichent des coûts exorbitants pour une qualité très médiocre, de l'entrée de gamme plus cher que l'offre Gourmet du Monop.

On ne vient chez Simone que contraint et forcé, mais surtout pour se tenir informé de la petite vie de ce quartier excentré, car rien de ce qui est humain alentour ne lui est étranger. Aussi, comme je dépose ma récolte de courgettes sur la balance, elle me regarde et me demande :

- Philippe, vous connaissiez M. Courant ?

Je devine aussitôt qu'il s'agit d'un nouvel avis de décès. Sans tenir un compte précis, je crois qu'il ne serait pas exagéré d'en dénombrer environ un tous les deux mois. Mais je ne vois pas qui est ce monsieur.

- Mais si, vous savez, ce monsieur qui riait toujours de ses blagues en entrant. Alain, son prénom.

Je revois immédiatement l'individu, un homme sans âge et sans qualités, qui parlait tout seul, que je fuyais sans jamais répondre à ses tirades alambiquées, encore un patient de l'hôpital psychiatrique vaguement suivi en ambulatoire, souffrant de troubles de la personnalité, extraverti, alcoolique et border-line selon toute vraisemblance.

- Oui, bien sûr, je vois de qui vous voulez parler. Le mec un peu dingue, dis-je, en faisant un geste de moulinet éloquent de l'index de la main droite près de mon front.

 

- Eh bien, il est mort hier. On l'a retrouvé chez lui, crise cardiaque.

- (moi, à mi-chemin entre l'incrédulité et l'indifférence compassionnelle) Il paraissait assez jeune, non ? La quarantaine ?...

- 55 ans, c'est quand même jeune pour mourir de nos jours, précise Simone, un peu déçue peut-être par mon manque de réactivité chagrin.

- C'est étrange tout de même, finis-je par dire, sans réelle conviction, ils tombent comme des mouches par ici.

(En effet, la liste est longue, depuis six ans que je vis dans ce secteur, le nombre de décès accidentels, imprévisibles, semble dépasser le taux moyen de mortalité.)

Mais il y a d'autres clients qui attendent derrière moi et je ne peux malheureusement m'éterniser pour en faire avec Simone l'inventaire exhaustif, puisque nous connaissions tous ces morts, au moins par leur aspect, leurs signes distinctifs et même le plus souvent par leur prénom.

Enfin, Simone, revenue à la logique impérieuse et légère du commerce, me confie que pour elle, la meilleure recette pour les courgettes consiste à les faire revenir, coupées en dés, à la poêle avec un peu d'ail et du persil.

J'acquiesce, c'est aussi comme ça que je les apprécie.

Commentaires

Portrait de carotte

la "tenanciere" est plus jeune et plus allerte que ta simone ..........mais elle est tres sympa aussi et complimente aussi bcp ses clients ...........elle ma mm offert un soin /massage ds une tombolat .....mm si je n y vais pas souvent ca rend bien des services !!!!!!!!

Portrait de mona1515

ça craint ton quartier dis donc !!!!! ils tombent comme des mouches ,tu dis !!! bizarre!!!

y a pas un tueur en série qui se cache dans le coin??

c'est peut être simone la résponsable??

la prochaine fois ,fais analyser les courgettes....on ne sait jamais Tongue Out

gros bisou

Portrait de jean-rene

Splendide, Ferdy ta tranche de vie, avec Simone et ses cougettes !

Portrait de Muffin64

Tres drôle. Mais nous on va tous les enterrer comme dirait Sandrine " nous faisons partie de l'élite avec notre virus"