Presque mort, mais pas trop

Publié par Ferdy le 17.06.2012
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En fait, je crois avoir toujours cru que le VIH c'est moi qui l'avais choisi, comme j'aurais pu choper la tuberculose au 19ème siècle, la peste un peu plus tôt ou le choléra, la variole après tout pourquoi pas, il fallait que je fusse malade, enfin, pas totalement malade mais en état de l'être, c'est-à-dire, un être fragile et vulnérable qui a besoin d'un traitement pour survivre ou pour exister,

de toute façon, j'aurais mouru... j'aime bien affirmer des aberrations, par exemple si je devais vivre vieux, ce qu'à Dieu ne plaise, et bien je suis à peu près certain de développer la maladie d'Alzheimer, c'est comme ça, sitôt qu'il y aune maladie sexuellement compatible je m'y précipite, parce que quand même en 1988, je savais que j'avais une chance sur cinq d'être contaminé et je l'ai été, longtemps même j'ai cru qu'il s'agissait d'une sorte de suicide, celui auquel je n'osais pas songer, trop incertain dans son développement, et puis la vie m'a rattrapé, j'y ai cru, j'y crois encore, je vis, je souris à l'existence, je combats (tu parles !), je résiste autant que je peux, mais dans une lassitude peu glorieuse,

j'aimerais en fait vivre en étant mort, ce que ce petit virus redoutable parvient à englober, je me sens en sursis, c'est un avant-goût que je me coltine depuis 24 ans, je vis un paradoxe existentiel depuis tout ce temps et parfois cela m'amuse,

je dois préciser aussi qu'à l'âge de 17 j'ai failli crever, c'est assez étrange à cet âge-là, la perspective de mourir, on me promettait alors une hémoragie interne, quelques infections funestes et puis finalement, je regardais le paysage de la fenêtre de ma chambre d'hôpital, en me disant que c'était peut-être pour la dernière fois et sans plus, 

le truc funeste, c'est que personne ne vous apprend jamais à mourir, à aborder l'issue, on vous enjoint de croire à la vie, comme si c'était un placement acquis pour toujours,

évidemment je redoute la souffrance comme tout le monde, mais disparaître m'est totalement indifférent, je précise bien en tant que tel, car j'apprécie chaque jour qui passe, chaque rayon de soleil, chaque nuage, oh oui, tout ça, qu'est-ce que j'aime l'existence, sans doute par habitude depuis lors, à mon âge on lui trouve quelques attraits, mais au fond, cela m'est bien égal, par exemple je rêve de mourir dans le sommeil, mais j'aimerais aussi demeurer jusqu'à un âge avancé, même si je n'apprécie guère l'évolution de notre société, j'ai la faiblesse d'y croire encore,

c'est peut-être un truc inscrit dans mes gênes, j'aspire non pas à l'éternité mais à une vie patiente, attentive, qui me permettrait d'apprendre un peu plus sur le sort qui nous est promis, tout m'enchante, le paysage, les siestes, quelques lectures, un simple regard, un modeste échange, ah oui, j'aime la vie comme quelqu'un auquel on a promis la fin certaine, et pourtant je suis triste parfois, j'aimerais qu'elle soit plus aimable à mon endroit, et le pire sans doute aura été de ne pas croire en dieu, je veux dire par là à aucun d'entre eux, 

donc, un jour je m'arrêterai, et il n'y aura a priori aucun purgatoire, ni paradis, ni rien, juste le mot fin, et toutes ces misères endurées n'auront servi à rien, je partirai les pieds de vent, comme le disait si bien Rimbaud, poète éphémère bientôt converti au commerce, après la luxure et le génie si précocément advenu,

je ne laisserai rien, ni poèmes (je hais la poésie), ni rien, enfin, j'aurai peut-être eu l'illusion de croire que ma vie aura participé au renouvellement de l'humanité, quelle prétention, j'en conviens, avoir aimé m'aura grandi, mais au final je n'aurai servi absolument à rien, je me suis rêvé vivant sans y croire davantage, j'aurai seulement essayé la fuite, tant bien que mal. 

Commentaires

Portrait de jean-rene

Quel beau texte, Ferdy !

Il y a, dans ce que tu écris, tant de choses que je partage ! 

Portrait de Ferdy

c'est de croire en ce que nous avons en partage, à savoir un destin qui s'achève dans le meilleur des cas au fond d'un ravin recouvert de roses...

bon dimanche ! (n'oubliez pas d'aller voter, ça concerne tout ce qui se trouve encore en vie) biz, Ph. 

Portrait de romainparis

au final, est mieux que n'importe quoi, je pense. Déranger les bienveillants* avec ton impeccable écriture, n'est-ce pas une victoire de l'utile ?

*Dans ma bouche, cette appellation est une insulte 

Portrait de tessanne13

Je trouve un certain romantisme, celui d'un temps reculé, de siècles passés, avec toute mon estime, amitiés et bises, Tess
Portrait de zak

Comme le chantait Edith ' non rien de rien je ne regrette rien' -

séropositif à 27 ans 1 an après avoir engagé une vie de jeune homo - un berlinois rencontré à une expo de peinture une relation de 18 mois puis son décès et la vie qui continue jusqu à aujourd'hui  - des engagements associatifs - des problèmes de santé - des traitements - une santé retrouvée mais une sur-sous vie - un retour comme un exilé qui revient au pays et ne retrouve plus de place parmi les siens - un travail prenant - une absence de souffle vital - ni espoir ni désespoir - un apprentissage de la solitude - la certitude que lorsque que monté dans la barque je partirais pour l'au-delà personne ne le remarquera. Et ne pas en être troublé pour autant - avoir appris à renoncer à soi même  à ses désirs plutôt que les vivre comme une spoliation

chercher à savoir mourir comme ultime forme de savoir vivre...