Privé de vie privée

Publié par Ferdy le 17.07.2010
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Nos vies privées, enfin, ce qu'il en reste, font l'objet d'une convoitise que l'on ne soupçonne pas. A chaque passage sur la Toile, bingo, je laisse des empreintes. De la plus banale recherche d'une recette de cuisine thaïlandaise, en ouvrant mon blog ou mon courrier, mes sites d'information favoris et une petite contribution anodine sur un réseau social, de puissances machines indexent mes errances, mes lectures, mes fréquentations, mes contacts, mes pôles d'intérêt et, bien sûr, mes écrits.

La Machine décortique, sans se soucier des passerelles extravagantes qui se constituent, se tissent, en quelques instants. Parler d'un profil serait aberrant puisque je suis capable dans le même temps, ou presque, de butiner indifféremment de la critique littéraire et de la daube people, des liens m'expédiant vite fait vers des sites où je me fais l'impression d'être l'intrus, quand en fait je dois admettre que je suis pareillement bien partout, dans un chez moi démultiplié, sans souscrire à ce que je peux lire, apparemment en toute impunité, je me crois désengagé mais la Machine veille, archive, sans hiérarchiser, elle compile, stocke, accumule, engrange à l'infini, dans une boulimie de fichage obsessionnelle sans limite, sans fin, imperturbablement, elle doit, par ses données, en savoir plus que moi sur moi-même, plus que personne autour de moi n'en a jamais su et n'en saura jamais ;

aussi, je cherche à brouiller les pistes, foutaise, j'écume les sites de la plupart des sites des partis politiques, des associations dont j'ignorais jusqu'à l'existence, parfois même dans des langues que je ne connais pas, au bout du compte(ur), la Machine aura toujours le dernier mot, elle saura, avec une précision répugnante la fréquence de mes visites, le temps consacré à ces connexions, ce qui aura retenu mon attention à la micro-seconde près, tous les formulaires d'abonnement, les conditions générales que j'accepte sans les avoir lues, tout mon caché sera révélé, me poursuivra pour l'éternité, et ceci de la façon la plus indolore, avec mon consentement passif et dans une insouciance de souris de laboratoire soumise à des batteries de stimuli, de tests, d'expériences variées, tandis que je rechigne encore à révéler mon identité si je n'y suis pas contraint par les forces de police ;

ce que je croyais être mon identité de citoyen lambda, mes droits à un relatif anonymat, se trouvent à présent brassés, malaxés par des moteurs dits de recherche qui font de moi un consommateur dont les données peuvent être échangées, vendues, rétrocédées, analysées par n'importe quel organisme basé à 10.000 km de mon lieu de résidence, et ce n'est pas la CNIL qui saura me garantir contre aucune intrusion de l'un ou l'autre de ces méga prédateurs, j'aurai tout simplement, volontairement ou involontairement, mais spontanément livré des secrets que je suis le premier à ignorer l'existence ;

ma seule consolation, car je ne suis pas prêt de quitter cet outil merveilleux (l'Internet), sera peut-être de n'avoir encore jamais révélé ma couleur préférée...