A propos des soins funéraires

à la fin, ça me gave.

Je sais ce n'est pas très gentil et je ne souhaite pas envahir les articles sérieux qui sont consacrés à cet enjeu majeur. Il y va de la dignité des disparus et de l'attention portée à leurs proches. Par parenthèse, je me demande aussi ce que la confédération des thanatopracteurs aurait à y gagner. Vider le corps de ses substances périssables, ça va chercher dans les combien ? Et pour quoi faire ?

Par exemple, j'aimerais bien être empaillé, puis posé près de la cheminée dans un rocking-chair. C'est a fortiori illégal et de mauvais goût, selon certains. Mais si cela devait être le combat de toute une vie, j'aimerais moi aussi pouvoir survivre à ma mort et comme les pharaons Égyptiens voir édifier quelques pyramides dans mon lieu de résidence, savoir mon corps rempli d'aromates et vidé de ses tripes pour laisser à ma descendance l'image d'un homme paisiblement assoupi près de la cheminée, en attendant ce mausolée promis à cette putain de vie éternelle.

Que l'idée même puisse encore faire débat et mobiliser quelques associations charitables relève déjà, selon moi, de l'absurde. Lorsque le délai moyen légal des funérailles ne devrait pas excéder une semaine, ce cher disparu que je serai un jour se fout pas mal de savoir si on l'aura nettoyé de toutes ces cochonneries que je véhicule sans le savoir, gaz et sang compris, et quant à l'odeur ou à l'aspect de mon cadavre, ce ne sera jamais que l'extension assez naturelle et nauséabonde qui m'aura toujours accompagné.

Pour être plus concret, il me paraîtrait un peu plus utile de se préoccuper davantage des droits du vivant plutôt que de ceux du mort. Cette affaire ne fera sans doute pas l'unanimité, mais toute cette histoire de réunions interministérielles infructueuses sur une chose aussi dérisoire me désole. Évidemment, il n'est certes pas très glorieux de se trouver logé à la même enseigne qu'un lépreux ou un pestiféré. Mais je ne vois pas non plus en quoi la cause de leur décès serait susceptible de m'intéresser davantage, le jour où ce petit cœur fragile aura décidé de cesser de battre. On pourrait bien me lâcher en mer, comme Oussama Ben Laden, ou m'enfouir au fond d'un pré que je n'en aurai rien à battre.

Bien sûr, il me sera rappelé que l'entourage, famille, proches et alliés seront satisfaits de me faire leurs adieux dans un état encore décent. Un simple petit maquillage cependant saurait satisfaire à leur recueillement. Il repose en paix. On dirait qu'il dort. Bref, tout ce baratin autour de la mort m'exaspère. Un cadavre, c'est un cadavre. Quand j'achète chez le boucher un rumsteak, je ne demande pas à rencontrer ses géniteurs, ni à savoir quelle était la couleur des yeux de la carcasse dépecée (d'origine France.) On me répondra, et à juste titre que ce n'est pas comparable, le régime carnivore justifie toute l'indifférence, surtout à l'égard d'un bovin.

Mais le corps humain, réputé incomestible, devrait ainsi être présenté avant l'inhumation ou la crémation dans un état de beauté étincelante. Même si on se fout pas mal de savoir dans quelles conditions il vécut, avec quels maigres moyens parfois, et dans quelle solitude le plus souvent.

Toute cette histoire esthétique me turlupine car c'est là même l'expression de la plus hypocrite appréhension de la mort. Le cadavre doit être plus beau que nature, apaisé, détendu, maquillé et coiffé comme un mannequin, et bien entendu sans cette odeur infecte qui envahit les entrailles. La pourriture inhérente à tout être vivant devrait ainsi être aspirée par ces spécialistes de la conservation des corps, comme s'il y allait de l'honneur du disparu qui aurait oublié de se brosser les dents avant de partir.

Cette supercherie du petit complot funéraire repose sur des postulats aberrants. Est-il vraiment nécessaire d'aller embrasser le front d'un cadavre à la morgue, et si oui pourquoi, au nom de quelle imbécile croyance ? N'aurions-nous pas mieux à faire à nous en occuper ou à nous en préoccuper lorsque celui-ci était encore en vie ?

Cette histoire de soins funéraires me paraît enfin des plus absurdes, lorsque la stigmatisation qui touche les personnes séropositives (vivantes) est encore loin d'être résolue.

Elle mériterait un peu plus d'attention et de courage de la part de celles et ceux (associations, etc.) qui s'engagent sur le marché de la thanatopraxie, comme si c'était ici la victoire d'une cause à proprement parler inutile et dont le cadavre se soucie comme un poisson d'une pomme.