Réalité ou banalisation

Publié par Rimbaud le 05.08.2017
5 302 lectures

La question se pose de savoir si l’infection au VIH est une maladie comme les autres. C’est la stratégie des différents médecins que de nous rassurer (et ils ont raison car face à l’annonce, les dérives suicidaires sont loin d’être négligeables) : vous continuerez à vivre normalement ; l’espérance de vie des séropositifs est quasiment la même que les autres ; les traitements ont beaucoup moins d’effets secondaires ; on ne meurt plus du SIDA ; on devient même intransmissible

Dès lors, toute plainte peut passer pour jérémiades, instabilité psychologique, faiblesse de l’individu voire mauvaise foi. Dès lors, les médias cessent d’informer, le sidaction rapporte moins, les investissements sont en baisse, les gens se protègent moins, la recherche ralentit…

Voilà, c’est ça. Ce n’est plus qu’une maladie chronique au même titre que les autres. Moins invalidante même puisqu’un seul cachet doit être pris dans la majorité des cas. Non, le problème, ce n’est définitivement plus le SIDA. Le problème, c’est l’ignorance de la population qui n’a pas pris conscience du changement. C’est un simple problème de perception de la maladie. Les années 80 ont marqué. Le peuple en est resté aux Nuits Fauves et à Philadelphia. Ils ont des conceptions archaïques de la maladie. Voilà pourquoi les sidéens sont toujours traités comme des pestiférés. Le problème, c’est l’inégalité de l’accès au traitement. Le véritable scandale est de l’ordre de l’injustice dans le monde, non dans le traitement de la maladie. Le problème, c’est davantage un problème de civilisation qui n’accepte pas les différences.

Soit. Réalité ou processus de banalisation ?

Le VIH n’est-il plus La Maladie de la mort (Duras) ? Les traitements infligés pendant des décennies n’ont-ils pas des conséquences sur les organes ? Le malade peut-il poursuivre son chemin existentiel en ayant le même rapport à l’autre, le même rapport au corps, le même rapport à l’amour, le même rapport à la vie, le même rapport à la fatigue ? N’est-ce pas l’abolition de toute forme d’insouciance ? La question se pose de savoir ce que le virus a dès son entrée dans l’individu détruit et qui ne peut être retrouvé. 

Commentaires

Portrait de jean-rene

"Ce que le virus a, dès son entrée, détruit" en moi, c'est la possibilité de me projeter dans le futur du fait de la grande probabilité d'une mort proche (j'ai appris ma séroposiyivité en 85).

Depuis, même si l'efficacité des traitements a ramené cette probabilité pas loin de celle des sénonegs, je ne peux définitivement plus me projeter dans le futur et j'ai perdu une grande partie de ma joie de vivre.

En contrepartie, je saisis avec avidité chaque instant de bonheur possible, certain qu'il risque fort de ne plus se représenter à moi et je vis beaucoup plus dans l'instant présent.

C'est un effet positif du VIH.

Portrait de Rimbaud

En fait j'ai écrit ce texte pour montrer qu'un séronégatif de 2017 ne doit peut-être pas aborder le VIh "comme un ancien". Enfin, c'est davantage une interrogation que je formule. Et c'est difficile à accepter comme idée à cause des représentations communes liées au sida et aussi ce sentiment "d'être exclu" de la maladie. "C'est plus si grave", ce sentiment général est dur à vivre je trouve.

Portrait de Cmoi

Et tu as tout compris. Rester vivant était le seul et unique but il y a vingt ans, et c'était évidemment une victoire et et un aboutissement. Puis les années passent, et bien sûr ce n'est plus suffisant. Le rapport aux autres n'est plus le même, on s'interdit le hasard pour rencontrer quelqu'un. Le corps change, il y a un sentiment de lassitude, et on sait que ce n'est pas seulement le poids des années. Tu as cette chance extraordinaire de vivre un amour, et c'est quelque chose de très précieux pour tes années à venir. 

J'ai envie de citer Barbara :

Avec sa gueule de carême 

Avec ses larges yeux cernés 

Elle nous fait le cœur à la traîne 

Elle nous fait le cœur à pleurer 

Elle nous fait des matins blêmes 

Et de longues nuits désolées 

La garce elle nous ferait même 

L'hiver au plein cœur de l'été... 

La solitude. 

Tu vois, tu échappes déjà à ça ! 

Portrait de Rimbaud

L'amour n'est pas une chance. Je pense que c'est du courage au départ, celui de la confiance et d'accepter qu'un autre peuple votre solitude. Ensuite, c'est du boulot, des remises en question de la tolérance, de l'invention, de l'imagination, de la construction. C'est tout sauf une chance je pense. C'est davantage un choix.

Ce que j'essaie de dire, c'est que le malheur des uns n'a jamais fait le bonheur des autres. Faire la liste de tous les drames passés, les conditions terribles, les multiples cachets, les effets secondaires lourds, lourds, lourds etc etc n'allège en rien le rapport au VIH d'un nouveau contaminé. Au contraire, ça l'en éloigne. Pour ma part, je n'ai pas besoin d'un éloignement, bien au contraire. Le virus est en nous et je ne veux ni l'ignorer, ni le laisser prendre le contrôle. La parole des survivants affaiblit ce rapport à la maladie parce qu'il minimise et qu'il dépossède en quelque sorte de sa maladie le néo-contaminé. Je pense que ce que tu décris est ou sera commun à tous, mais cette parole n'est plus portée que par les "anciens". Les autres doivent seulement se contenter de se réjouir d'être en 2017. Prends tes cachets et réjouis-toi. C'est insupportable. Se battre, se révolter, refuser, militer est aussi une façon de se soigner. Les anciens doivent cesser de croire qu'ils ont davantage de légitimité. Ils ont tords et ils font du mal à la mobilisation et aux séropos. Dider Lestrade l'a bien compris. On va le voir partout avec la sortie du film sur Act Up. Il a toujours son air désabusé car il l'est. Le film, à coup sûr, va émouvoir la France sans faire avancer les choses d'un pouce, au contraire. Les survivants seront vus comme des héros. La maladie d'un autre temps. Et tout le monde s'endormira soulagé de ne plus être dans les années 80. NEXT. 

Portrait de Cmoi

Je crois que c'est un peu plus compliqué que cela. J'ai vécu quelque chose d'assez rare chez les homos, une histoire de quinze ans, faite d'amour, même de passion, de projets réalisés ou non et c'est pas la mort qui nous a séparés, c'est le VIH et ses traitements. On était pourtant dans le même bateau, puisque séropos tous les deux. Mais l'époque trop anxiogène, les médicaments de ces années là très difficiles à supporter, peuvent venir à bout des meilleures volontées. Donc non, définitivement, aimer ce n'est pas seulement un choix. Pour le reste, tu as entièrement raison, les souvenirs d'anciens combattants ne font pas avancer les choses, et sont même potentiellement toxiques. Mais bon, pour encourager un nouveau séropositif, on peut tout de même lui dire que c'est mieux que si c'était pire ! 

Portrait de Rimbaud

Je suis en couple depuis douze ans, c'est pas si rare chez les homos : il y en a plein en fait des couples qui durent mais on ne les voit pas. Si on fréquente les sites gays, le milieu et autre, on finit par penser que c'est rare mais j'en ai croisé beaucoup ailleurs. Je ne dis pas qu'il n'y a pas tout un tas de raisons valables qui ont raison d'une relation amoureuse (pas de l'amour, l'amour dure toujours). On contraire, tu prêches un convaincu ! Aimer est un choix. Vivre à deux relève de l'exploit. ;)

Portrait de Rimbaud

Je pense que tu as un rôle important à jouer auprès des nouveaux séropos, mais dire que "c'est mieux qui si c'était pire" n'a aucun intérêt. En revanche, expliquer ce qui est commun à toi et à eux, ça c'est intéressant, et ça rapproche. Le présent, bordel, le présent! Le commun, le rapprochement, il y a une souffrance et des problématiques communes. ;)

Portrait de jean-rene

Cmoi wrote:

les souvenirs d'anciens combattants ne font pas avancer les choses, et sont même potentiellement toxiques.

Vraiment désolé de m'être exprimé  et de vous avoir ainsi  été "toxique" !

Portrait de Cmoi

C'était juste un petit trait d'humour, histoire de détendre un peu l'atmosphère, mais ça n'a pas l'air de fonctionner. Tu es en ébullition et je peux le comprendre. Vingt ans d'écart dans le vécu de cette maladie pose forcément un ressenti très différent, et quelques difficultés de communication. Néanmoins j'ai plaisir à échanger avec toi. 

Portrait de Rimbaud

Ne nous trompons pas : tout discours est légitime, intéressant, enrichissant. Mais si les anciens s'expriment depuis longtemps, ont des connaissances, du vécu et l'expérience, les nouveaux ont plus de mal à se situer dans tout ça... voilà pourquoi je mets l'accent là-dessus. C'est intéressant de réfléchir aux liens et aux relations des uns et des autres. Je suis heureux que vous ayez réagi et je vous en remercie : ça, ça m'aide. 

Je ne suis pas en ébullition par rapport au VIH, je suis en ébullition tout court. Je ne vois pas la vie autrement que comme un engagement. Mais j'essaie d'être réfléchi. Cmoi, j'avais saisi le trait d'humour mais derrière se cache une réalité : c'est bien la première chose qu'on nous dit : c'était pire avant. Je ne critique pas, c'est difficile de savoir quoi dire en pareille circonstance mais je trouve aussi intéressant de dire que ça ne console pas. Ce qui est difficile à entendre, c'est que ça renvoie l'aidant à une forme d'impuissance. 

Portrait de Cmoi

Moi aussi, et pour ça effectivement il n'y a pas besoin du VIH. Je crois d'ailleurs que les grands sujets qui ne cesseront de t'interpeller ne seront pas très différents que pour n'importe qui d'autre. La vie, la mort, l'amour, la difficulté d'être, c'est toujours la même chose, le reste ce n'est que de la littérature. Je pense qu'il y a trois phases dans la vie avec ce virus : une première assez obsessionnelle, c'est très présent, on ne pense exclusivement qu'à ça. Puis on oublie pas, mais on s'habitue, on passe à autre chose, et la vie redevient presque comme avant. Enfin une troisième période, beaucoup plus compliquée, où des années de traitement se rappellent à toi. Ton corps est fatigué et il te le fait savoir. Pour ceux qui commencent à se soigner aujourd'hui, il est permis de penser qu'ils ne connaîtront peut-être pas, ou en tous cas beaucoup moins ces moments là. 

Portrait de Rimbaud

La première phase durera moins longtemps à l'heure actuelle, quoique cela dépend des personnes et du rapport aux médocs. Dans l'hypothèse où le traitement est très bien toléré, on peut penser qu'elle durera moins longtemps qu'avant certainement... est-ce une bonne chose ? Sur le plan égoïste oui. Sur le plan social, je m'inquiète. Cela peut conduire à une forme d'indifférence ou d'inaction... quand on voit l'évolution chez les jeunes, c'est dramatique. 

Les écorchés vifs sont souvent en colère, à fleur de peau, on peut rarement discuter avec eux. Ils sont peu réfléchis. Je ne pense pas en être un. Je suis trop apaisé mais, et ça rejoint le début de ma réponse, apaisé ne veut pas dire oublier, ne pas prendre en compte etc.

Portrait de Cmoi

À cette expression. On peut être apaisé et "écorché vif", c'est à dire présenter une hypersensibilité aux gens, aux événements, à la vie en général. Ça me semble être ton cas, c'est pour cela que j'ai employé cette formule te concernant. 

Portrait de Rimbaud

Dans ce sens-là, oui, j'adhère :) 

Et la première phase, elle a duré combien de temps chez toi ?

Portrait de Cmoi

Si je suis franc, ça a été très long, mais l'époque était différente et on ne traitait pas aussi tôt qu'aujourd'hui. J'ai appris que j'étais séropo en Décembre 1997, et je n'ai commencé les traitements que fin 2001. Donc tu vois, ça fait déjà quatre ans à attendre le coup d'envoi. Tu ajoutes à ça un an d'effets indésirables avec les médocs de ces années là, et tu as cinq ans de foutus en l'air à ne penser qu'à ça. Ce n'est plus la même chose depuis qu'on traite beaucoup plus tôt, avec des médicaments un peu plus acceptables. J'espère que je ne suis pas en train de te saper le moral, c'est vraiment pas le but. Par contre après, j'ai passé douze à treize ans sans aucun problème, avec une vie quasiment normale. Depuis un an, c'est différent, je ressens vraiment les années de traitement, et c'est ce qui m'a fait demandé un allègement à mon médecin. J'ai la conviction qu'avec les nouvelles molécules, les parcours seront très différents. 

Portrait de Rimbaud

tu ne me sapes pas le moral du tout. Moi je pense que j'ai déjà une vie normale en fait. Je suis déjà au stade2. J'ai totalement l'habitude d'intégrer à ma vie la venue d'un événement. Rien dans ma vie n'est affectée par le vih, rien du tout. Je l'ai déjà dit ailleurs, c'est le tabac ma véritable maladie (vais bientôt m'y attaquer). Mais vivre bien avec ne veut pas dire l'oublier. C'est comme être homo, tu ne peux pas l'oublier, ça fait partie de toi. Au contraire, le vih fait partie de ma vie et il doit entrer totalement et dans mon champ de pensée, et dans mon champ d'action. :)

Portrait de jean-rene

Rimbaud wrote:

 c'est bien la première chose qu'on nous dit : c'était pire avant.

Personnellement, je ne dis pas :  "c'était pire avant", je dis : "c'était différent".

Nous, nous étions, plus ou moins "condamnés à mort". Les séropos récents, eux, sont "condamnés à vivre avec".

En réaction à cette condamnation à mort, nous pouvions, comme je l'ai rappelé dans ma première intervention, en tirer du positif en goûtant à fond de la vie et en vivant dans l'instant présent.

Je comprends très bien que les séropos récents se posent, à présent, la question : "comment vivre avec ?" car vivre avec le VIH, c'est se demander, à chaque instant, si on va contaminer l'autre, et c'est vivre avec le risque de regards de commisération ou de sainte horreur de la part de certains autres, et tout cela n'est pas facile à vivre.

Portrait de Rimbaud

je trouve que tu as trouvé la formule juste : "condamné à vivre avec". La question de la contamination semble résolue, me trompe-je ? Observant + indétectable = non contaminant. Pour ce qui est du rapport social, en revanche, là il y a de quoi agir... Merci Jean-René !

Portrait de jean-rene

Rimbaud wrote:

 La question de la contamination semble résolue, me trompe-je ? Observant + indétectable = non contaminant.

Je le croyais aussi, mais lis le sujet "Couple sérodifférent" de Tomanonyme. tu verras que ce qui est résolu pour toi (et pour moi) ne l'est pas pour tous.

Portrait de Cmoi

Mais vivre toute son existence avec le sentiment de purger une peine, ce qui est le cas d'une condamnation, n'augure pas des jours heureux. 

Portrait de Rimbaud

ben tant qu'on ne m'aura sorti la preuve d'un cas de couple sérodifférent observant CV indétectable et fidèle qui se soit contaminé... moi je maintiens que la barrière n'est que psychologique. ;)

Cmoi : c'est une condamnation injuste, au même titre que toutes les maladies... mais je maintiens que la spécificité, c'est la voie sexuelle et le fait qu'on aurait pu l'éviter... 

On reparlera de tout ça mais je vous laisse car je pars demain pour un petit road trip Italie-Corse... on part en ballade mon vih et moi, je vais lui faire prendre l'air et lui montrer la vie ! ;)

Merci à tous les deux d'avoir autant échangé avec moi sur ce post, ça fait très plaisir (et c'est très constructif !).

Portrait de jean-rene

Bonne ballade. En Italie, tu peux peut-être parler de ton VIH, mais en Corse que je connais, reste discret, ils sont restés très tradis.

Portrait de Rimbaud

Je ne vais pas en vacances pour parler de mon vih mdr trop drôle ! 

Portrait de Cmoi

Donc je n'ai rien posté pour te souhaiter d'excellentes vacances, après cette longue discussion qu'on a eu aujourd'hui. Voilà c'est fait, très sincèrement. Prends soin de toi. (profites en pour essayer de ne fumer qu'une cigarette sur deux) 

Portrait de Sealiah

Un S- aborde le sujet VIH en 2017?En lisant pas mal de messages de nouveaux S+ j'ai pas eu l'impression qu'ils l'abordaient avec les connaissances actuelles sur le sujet, bien au contraire.Le discours que tiennent les S+ ayant un long vécu avec le VIH, je pense faire parti de ceux-là ,n'est pas  de dire qu'en 2017 ils sont mieux logés que nous mais que le regard qu'ils portent sur leur propre situation ne correspond pas à la réalité actuelle.Il m'est parfois très difficile de répondre à un nouveau contaminé qui écrit que sa vie est foutue, qu'il ne pourra plus avoir de vie amoureuse,amicale,professionnelle,que sa famille va le bannir,qu'il va mourrir.Ce discours est dépassé.

Nous avons évolués pendant , pour les plus anciens encore vivants , plus de  37 ans de vie avec le VIH et avons constatés les progrés.Nous sommes à même de les apprécier.Pour ma part je ne pense plus que ma vie est foutue.Je l'ai pensé parcequ'à l'époque il n'y avait rien.

Ton "taff" Rimbaud est, puisqu'à te lire tu pense "VIH 2017",  de transmettre cette connaissance 2017.Il y a du boulot.Le climat social est à la discorde.Je suis pour l'entente mais cette voix est minoritaire .Il n'y a pas d'opposition entre anciens et nouveaux S+.

(Je relis le fil de la discussion).Comme Cmoi j'ai vécu 22 ans en couple( 1985-2007) et malgrè ma bonne volonté le VIH a mis fin à cet amour.Nous venons de vendre la maison , notre projet commun.Aprés 10 ans de séparation(2007-2017).Aimer est certes un choix, faut-il pour celà qu'il soit commun.Je te souhaite beaucoup de bonheur.