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Publié par jl06 le 28.07.2019
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REPORTAGE. Emmaüs fonde sa première communauté agricole dans la Roya autour de Cédric Herrou

PAR CHRISTOPHE CIRONE Mis à jour le 20/07/2019 à 11:30 Publié le 20/07/2019 à 11:30 

Aujourd’hui encore, les actions de Cédric Herrou divisent la vallée de la Roya.

 

Aujourd’hui encore, les actions de Cédric Herrou divisent la vallée de la Roya. Photo Sébastien Botella

Le mouvement fondé par l’abbé Pierre vient de créer à Breil-sur-Roya sa première communauté agricole, autour de Cédric Herrou. Cette initiative met en rage ses détracteurs

On y grimpe par un sentier étroit et rocailleux, qui part de la RD 6204 et offre des vues spectaculaires sur la Roya, que l’on voit s’écouler en contrebas. Ce terrain en restanque est semé d’oliviers, la vie bercée par le chant des cigales. C’est sur ces terres appartenant à Cédric Herrou qu’Emmaüs vient de fonder sa première communauté 100 % agricole : Emmaüs Roya.

« C’est une première en France métropolitaine », confirme sur place Nicolas Coiffier, responsable des groupes communautaires. Emmaüs en compte 120 à travers l’Hexagone. Son conseil d’administration a validé cette naissance le 4 juillet dernier. Aux portes de l’Italie, cette petite communauté (7 à 8 compagnons à ce jour) tient une place particulière.

Depuis 2016, ces lieux ont cristallisé les passions autour des enjeux migratoires. Désormais, peu de migrants passent par la Roya. Les forces de l’ordre ont desserré l’étreinte. Avec son association « Défends ta citoyenneté », Cédric Herrou a décidé de porter un nouveau message, résolument positif : « Les migrants ne sont pas des voleurs, des violeurs ou des terroristes, mais des agriculteurs ! »

« CE NE SONT PAS DES BOULETS »

Ici, la plupart des compagnons Emmaüs sont originaires d’Afrique, demandeurs d’asile ou ayant obtenu le statut de réfugié. « Les compagnons ne sont pas considérés comme des travailleurs. On leur donne 350 euros net par mois avec logement, nourriture, fringues et Urssaf, explique l’agriculteur militant. On donne de l’activité à des gens qui ne peuvent pas travailler. L’État n’a rien proposé : nous, on propose quelque chose ! On veut prouver que ces gens-là ne sont pas des boulets. Ils sont motivés. »

Au-dessus des quatre cabanes et trois caravanes, aménagées en mode débrouille, poussent désormais fraises, aubergines, poivrons, tomates ou basilic. Objectifs : passer bientôt de 4 000 m2 de maraîchage à 1,5 hectare, de 500 à 1 000 poules pondeuses. Mais ces compagnons-là veulent d’abord cultiver l’entraide.

« DE LA POLITIQUE DE TERRAIN »

« C’est une famille. Ce sont mes colocs, sourit Patrick Jaubert, Niçois de 26 ans, en désignant ses partenaires africains. Au fur et à mesure, on voit leur confiance en soi se développer. Ensemble, on avance, on se tire vers le haut. » Michel Toesca, qui avait réalisé le film Libre, filme au plus près cette nouvelle aventure humaine : « Même si le hasard les a réunis là, ils forment un ensemble très cohérent. »

C’est durant la promotion de Libre que Cédric Herrou et Michel Toesca ont noué des liens avec Emmaüs. « Ils ont un côté punk qui nous ressemble pas mal », s’amuse l’agriculteur de 40 ans. Il ne s’en cache pas : cette action est aussi « politique. Pas au sens de la politique politicienne, mais de la politique de terrain. On veut dénoncer les carences de l’État, et le fait qu’il bousille la vallée de la Roya. »

Dans la vallée, de nombreuses voix lui renvoient le compliment. Et le chant des cigales n’a pas encore éclipsé les débats passionnés.

"JE ME SENS MIEUX ICI QU'EN ITALIE"

Atairu, demandeur d’asile nigérian, cultivait déjà la terre dans sa vie d’avant.Atairu, demandeur d’asile nigérian, cultivait déjà la terre dans sa vie d’avant. Photo Sébastien Botella

Il n’est pas devenu agriculteur. Il l’était déjà. Dans sa vie d’avant.

Atairu, Nigérian de 37 ans, est arrivé fin avril à Breil-sur-Roya. Il a traversé le Niger et la Libye, avant de passer « deux ans et sept mois à Foggia », en Italie. « C’était très dur, surtout en Libye. Là-bas, ils tuent des gens tous les jours », raconte-t-il en anglais. Une fois en mer, un hélicoptère a repéré son embarcation, permettant à Atairu et ses compagnons d’être ramenés sur l’île de Lampedusa. Le voici, aujourd’hui, en train de cultiver la terre de l’autre côté de la frontière.

« Je voulais venir en France. J’ai marché jusqu’ici depuis l’Italie. Ça m’a pris deux jours, raconte le trentenaire. Il y a tellement de personnes qui souffrent en ville… C’est pour ça que je suis venu ici. J’aime cultiver la terre. Je suis un bon agriculteur, même si les méthodes sont différentes. Ici, je me sens beaucoup mieux. Mieux qu’en Italie, où je ne pouvais pas travailler. »

On le voit partir au village, juché sur un vélo, gilet fluo sur le dos. Atairu ne craint plus les contrôles : il est à présent demandeur d’asile. Il rend grâce à « Cédric, un homme bon pour moi », et à sa petite communauté. « Je l’aime. C’est comme une famille. »

Un soleil généreux inonde les plantations. Le mercure dépasse les trente degrés. Tandis qu’Aitaru gère des plants de tomate, plus loin, Halefom s’occupe des cucurbitacées. Lui est érythréen, et n’a que 25 ans. Arrivé il y a deux ans, il a obtenu le statut de réfugié voilà cinq mois. « En Érythrée, c’est compliqué. On a toujours un dictateur comme président », raconte-t-il d’une voix discrète.

Hafelom, lui, n’avait aucune notion agricole. « Avant, j’étais serveur dans un restaurant. J’ai appris ici l’agriculture. J’aime faire du maraîchage, récolter les olives… » Lui aussi respire mieux, depuis que l’étau des forces de l’ordre s’est desserré. Il savoure la vie en communauté, parle de « famille » à son tour : « On partage tout. »

Midi passé. Alors que le mercure dépasse les 30 degrés, toute l’équipe se retrouve côté cuisine, dans la cabane aménagée en bois. C’est Hossein, souriant Iranien âgé de bientôt 30 ans, qui tient les fourneaux ce jour-là. Il a passé neuf mois en France, dont trois ici. « Cédric et ses amis m’ont aidé. Ils sont très bons et gentils. Ils ont beaucoup de bonne énergie. » Avant d’arriver là, il a traversé huit pays. Et il n’a pas oublié « les gens pas bien, qui vous dénoncent à la police ».

S’il a fui son pays d’origine, c’est parce qu’Hossein « écrivait sur le gouvernement et la politique », assure-t-il. Car le jeune Iranien, cuisinier quand il le faut, est d’abord écrivain. Son troisième livre serait en passe d’être traduit en français et édité. Son thème ? « C’est un roman qui parle de réfugiés, de gens pauvres et affamés. »

"LES GENS DE LA VALLÉE SONT HYPER REMONTÉS"

André Ipert est un maire partagé. À l’image de Breil-sur-Roya, et de la vallée qui lui donne son nom. Depuis la médiatisation de son combat en 2016, la Roya s’est profondément divisée autour du cas Cédric Herrou, qui cristallise les tensions autour des questions migratoires. « M. Herrou a donné une image plus que détestable à la vallée, fulmine un habitant sous couvert d’anonymat. Plus rien ne se vend. Tous les commerces se cassent la gueule. Les gens en ont plein les bottes ! »

Ces tensions, André Ipert ne les nie pas. Même s’il estime que le climat s’est quelque peu apaisé, cet élu sans étiquette, de sensibilité de gauche, l’admet : « L’image est négative. L’État était défaillant, mais un appel d’air indéniable a été créé. Dans les moments de tension, ma priorité a été de préserver une forme d’unité du village. »

Aujourd’hui, c’est donc cette petite communauté agricole, aux portes de Breil, qui fait réagir le village. À commencer par son premier magistrat. « Emmaüs, ce n’est pas anodin. C’est une ONG qui a pignon sur rue, qui est sérieuse, salue André Ipert. Sur le principe, je suis entièrement d’accord qu’il [Cédric Herrou] puisse tenter de réinsérer des gens en déshérence ou des demandeurs d’asile - des vrais, dûment enregistrés. D’autant plus que l’on veut relancer l’agriculture biologique. Mais il ne faut pas que cela devienne une porte d’entrée à l’immigration clandestine ! »

Dans la Roya, certains scrutent la situation de près. À l’image de Jean-Pierre Beghelli. Ce très droitier élu d’opposition à Breil livre une tout autre analyse. Pour lui, passer sous pavillon Emmaüs serait une façon déguisée d’employer cette main-d’œuvre. « C’est un vrai problème. Qu’il y ait une bonne intention au départ, c’est possible. Mais à l’arrivée, ça a foutu la vallée de la Roya en l’air ! Les gens sont hyper remontés contre cette situation. Alors que lui s’attire les bonnes grâces de gens qui ne connaissent pas la vallée. » Jean-Pierre Beghelli fulmine contre l’agriculteur militant : « Il a mis Breil dans une ratatouille qui n’est pas niçoise, et qui n’est pas parfumée au romarin. C’est trop facile de se cacher derrière l’humanitaire ! Je regrette que le maire ne soit pas intervenu de manière autoritaire. »

Le maire, justement, veille au grain. « On est dans une période pré-électorale. C’est certain que ça va être instrumentalisé. Ça l’a déjà été. » Au-delà des débats idéologiques, André Ipert s’inquiète des infractions aux règles de l’urbanisme. À ce niveau, les installations de la communauté pourraient « générer un trouble à l’ordre public. Il n’y a pas d’eau, pas d’assainissement, pas d’accès autre que ce chemin… »

Le maire indique avoir saisi le procureur de Nice, pour que « ces constructions sans autorisation soient réprimandées. Que ce soit M. Herrou ou M. Tartempion, la loi est la même pour tout le monde ! »

Dans le potager aménagé à flanc de colline, Patrick le Niçois et Halefom l’Erythréen partagent leur quotidien autour des valeurs de la terre.Dans le potager aménagé à flanc de colline, Patrick le Niçois et Halefom l’Erythréen partagent leur quotidien autour des valeurs de la terre. Photo Sébastien Botella

"ILS ONT BEAUCOUP À NOUS APPORTER"

Nicolas Coiffier, responsable national des groupes communautaires EmmaüsNicolas Coiffier, responsable national des groupes communautaires Emmaüs

Nicolas Coiffier, responsable national des groupes communautaires Emmaüs, explique pourquoi l'association a décidé ce projet.

Pourquoi Emmaüs a-t-il donné son accord à cette création ?

C’était une évidence partagée. La communauté existait déjà. Le mode de vie ici est très proche des autres communautés que j’accompagne. Ils ont construit eux-mêmes leur habitat, veulent vivre avec une indépendance financière, le travail leur permet de vivre et survivre : on retrouve tous les ingrédients d’Emmaüs, un mouvement venu de la base.

Que peut-il leur apporter ?

Cela leur donne une légitimité pour construire surle long terme. Cela donne un cadrage juridique à leur activité. Et cela les inscrit dans un réseau qui fait écho à leur combat.

Cela permet aux demandeurs d’asile et réfugiés de renouer avec une dynamique sociale ?

À Emmaüs, c’est par l’activité que l’on se remet debout. Ils renouent avec l’activité et en vivent, encore plus littéralement ici puisqu’ils mangent leur production. Cela permet aussi de retisser du lien social. Ils sont aidés, mais sont aussi aidants. C’est aussi comme cela qu’ils retrouvent la dignité.

À quelles difficultés risquent-ils d’être confrontés ?

Comme tout agriculteur, ils dépendent de certains aléas. On découvre aussi de nouvelles démarches administratives. Et on a une attention particulière à la position des autorités françaises : s’il devait y avoir de nouvelles arrivées massives de migrants, on pourrait assister au retour de tensions fortes avec le déploiement des forces de l’ordre.

Une telle communauté peut-elle faire des émules ?

On pensait développer une activité agricole, justement. Être dans du local, du solidaire et du sain, c’est cohérent pour nous. Je suis convaincu qu’ils ont beaucoup de choses à apporter au mouvement Emmaüs

 

Commentaires

Portrait de Lowie

Eux aussi seront des survivants.

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juste de belle personne  ....

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